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« La vie est plus vide que la tête d’un adjudant-chef. Il ne s’y passe rien. Il faut tout inventer ! »
Signée par Henri Jeanson, cette ligne de dialogue donne le ton de La fête à Henriette, le film de Julien Duvivier à l’affiche en 1952 et que Pathé ressort ce 13 septembre en DVD et Blu-ray, dans une très belle version restaurée en 4K.

 

La vie est vide et deux scénaristes, interprétés par Henri Crémieux et Louis Seigner, vont vouloir y remédier en inventant sous nos yeux un film. Avec ses impasses, ses ratures, ses retours en arrière, ses corrections et quelques échauffements entre les deux cerveaux en ébullition surpris en plein travail.

Nos deux amis, ils l’expliquent au début, viennent d’être déboutés par la censure. Le film qu’ils ont écrit ayant atterri dans la poubelle d’Anastasie — le joli nom donné à la paire de ciseaux qui coupe sans rechigner textes et images —, les voilà donc obligés de se remettre à l’ouvrage. Oui, mais ils n’ont plus d’idée. Et lorsque Henri Crémieux se saisit d’un journal où puiser une quelconque inspiration, il lit deux faits-divers qu’il juge insipides. Deux faits-divers qui sont en fait le sujet de films célèbres : Le voleur de bicyclette de Vittorio De Sica et Le petit monde de Don Camillo de Julien Duvivier. Première petite baffe donnée au « bon goût « de la critique, couplée avec une autocritique amusée de la part de Duvivier — on peut aussi une voir une embardée du scénariste Jeanson contre son confrère René Barjavel qui signe Don Camillo.

Dès l’ouverture, La fête à Henriette se présente donc comme une fantaisie sur le septième art, avec son lot de coups de griffe gentillets et de moqueries. Les deux scénaristes vont alors laisser vagabonder leurs esprits tout en vaquant à leurs occupations. On les voit ainsi, pendant qu’ils échafaudent un possible scénario, se lever le matin laissant chacun une maîtresse dans leur lit — ce qui n’empêche pas Louis Seigner de glisser, au passage, quelques doigts curieux dans le corsage de leur secrétaire (Micheline Francey) —, faire leur toilette, déjeuner, etc. Crémieux est extravagant, voit partout des courses poursuites échevelées avec la police et des crimes crapuleux tandis que Seigner le ramène constamment à la normale, au réel. À la simplicité.

 

Le récit qu’ils inventent est simple : suivre la journée d’une jolie Parisienne, Henriette (Dany Robin), qui célèbre en ce 14 juillet sa fête et son anniversaire. Elle jouera à cache-cache avec son amoureux photographe (Michel Roux), rencontrera un mauvais garçon sympathique (Michel Auclair), connaîtra quelques péripéties tout autant policières que burlesques et amoureuses, se payant même le luxe d’un personnage de destin aveugle (Paul Œttly) tout droit sorti de chez Prévert. « C’est de la démence », assure même le scénariste sage (Seigner) qui remballe aussitôt cette incongruité sortie de l’imagination débordante de son confrère. Dès le départ, Duvivier et son coscénariste s’amusent avec la matière filmique. Ainsi le générique, empli de tirets et de points d’interrogation puisque le film n’existe pas encore. Au bout du métrage, alors que La fête à Henriette est enfin à l’écran, le vrai générique sera dit par Michel Auclair, comme si l’on se retrouvait chez Sacha Guitry.

De la même manière que le scénario divague d’un genre à l’autre, Duvivier se divertit à mettre en images toutes ces manigances : ici, ce sont des plans obliques, là un enchaînement de bals populaires au son de la même musique de Georges Auric mais jouée par des orchestres différents. On pense à l’utilisation qu’il fit de la valse de Maurice Jaubert dans Un carnet de bal, avec toujours autant de virtuosité. On pense au sketch du même film avec Pierre Blanchar en médecin avorteur, filmé lui aussi de traviole.

 

Pour plaisant qu’il soit, le film ne reçut pas à sa sortie que de bonnes critiques. Dans le bonus, Éric Bonnefille, auteur de Julien Duvivier, le mal aimant du cinéma français chez L’Harmattan, cite les mauvaises humeurs des grandes plumes de l’époque (Georges Charensol, Georges Sadoul et quelques autres) qui reprochèrent au film de ne pas avoir assez parlé du monde du cinéma de l’intérieur, de n’en avoir pas moqué quelques aspects et d’avoir utilisé l’érotisme sous prétexte de ridiculiser les films qui attiraient ainsi leur clientèle. Il est vrai qu’Henriette méritait d’être beaucoup plus mordant et qu’ici, Jeanson a versé de l’eau claire dans sa vachardise. Plutôt qu’un véritable règlement de compte comme a pu l’être The Player d’Altman, La fête à Henriette est une œuvre sympathique parce que jamais linéaire ni convenue, avec ses petits moments jouissifs dus aux dialogues de Jeanson. Lequel, l’air de ne pas y toucher, brocarde les politiciens et les journalistes, mais aussi la célébrité et ces gens qui se précipitent vers la première inconnue venue en quête d’un autographe, parce qu’on leur a proclamé qu’elle était célèbre.

 

Lorsque Henriette rentre chez elle, c’est-à-dire chez ses parents (Paulette Dubost et Alexandre Rignault), sa mère raconte : « Avec ton père, on s’est connus le 6 octobre, épousés le 6 février et, le 14 juillet, tu étais là ! » Comptez bien : les parents ont visiblement couché dès la première rencontre et la mère est immédiatement tombée enceinte. La censure n’y a visiblement vu que du feu. De même, nos deux compères introduisent dans leur histoire des personnages gratuits mais hauts en couleurs et incarnés par de très grands acteurs : Saturnin Fabre et Carette. Le premier surgit alors que Dany Robin attend sagement son presque fiancé à la terrasse d’un café. Le dialogue avec un autre consommateur est assez extraordinaire. Le second est un malfrat digne de la meilleure tradition du cinéma français. Si Carette semble malgré tout sacrifié, Fabre se taille, l’espace d’une séquence, un moment à sa démesure. Malgré tout ce qu’ont pu écrire les critiques de l’époque — des angles insolites et des contre-plongées qui ne font pas oublier Orson Welles, des poncifs que Duvivier et Jeanson savent frelatés, un manichéisme naïf, etc. —, ce sont ces petits pas de côté qui font tout le charme d’Henriette et qui rendent le film si attachant : l’apparition d’un acteur, une phrase assassine, une main qui s’égare, une accélération soudaine… On ne peut les citer tous, le film en est rempli.

Jean-Charles Lemeunier

La fête à Henriette
Origine : France
Année : 1952
Réal. : Julien Duvivier
Scén. : Julien Duvivier et Henri Jeanson
Dialogues : Henri Jeanson
Photo : Roger Hubert
Musique : Georges Auric
Montage : Marthe Poncin
Durée : 108 minutes
Avec Dany Robin, Michel Auclair, Michel Roux, Henri Crémieux, Louis Seigner, Hildegard Knef, Micheline Francey, Julien Carette, Daniel Ivernel, Saturnin Fabre, Claire Gérard, Odette Laure, Jeannette Batti, Paulette Dubost, Alexandre Rignault, Paul Œttly…

Sortie chez Pathé en DVD et Blu-ray dans une version restaurée en 4K le 13 septembre 2017.

« La fête à Henriette » fait également partie d’un coffret DVD/Blu-ray de cinq films que Pathé consacre à Julien Duvivier, avec « La belle équipe », « La fin du jour », « Voici le temps des assassins » et « Marie-Octobre ». Sortie le 13 septembre 2017.

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