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Ce qui impressionne de prime abord dans Marie-Octobre (1958), édité ces jours-ci en version restaurée DVD et Blu-ray par Pathé, c’est la manière dont Julien Duvivier filme son décor. L’essentiel de l’action se déroule dans une vaste demeure entre dix personnages et le cinéaste parvient à saisir dans un seul plan non seulement ceux-là mais aussi la majesté du lieu où ils se trouvent, du sol au plafond. On se croirait dans les Ambersons d’Orson Welles, tant Duvivier met d’habileté à rendre le décor imposant, ce qui n’est pas une évidence. Il n’y a qu’à voir la manière anodine qu’a, à la même époque, Jean Delannoy pour placer son action dans le château des Saint-Fiacre pour se dire qu’en matière de mise en scène, Duvivier s’impose haut la main.

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C’est d’ailleurs la mise en scène plus encore que l’histoire elle-même qui fait tout l’attrait de ce Marie-Octobre. On peut comprendre pourquoi les jeunes Turcs de la Nouvelle-Vague ont tant décrié cette qualité française dont Duvivier autant que Delannoy et Carné et Autant-Lara et Christian-Jaque et quelques autres étaient les tenants. Dans cette histoire de Résistance et de traître qui a livré le réseau dix ans auparavant — qui est-il ? Lequel des dix ? Voire des onze si l’on tient compte de la gouvernante incarnée par Jeanne Fusier-Gir —, les personnages sont un peu simplifiés au profit de ce qu’ils représentent : Paul Guers en curé conventionnel, même s’il s’avère qu’il est un ex-coureur de jupons (le comédien vient de disparaître ce 27 novembre) ; Lino Ventura en ancien catcheur devenu patron d’une boîte à strip-tease ; Paul Frankeur qui veut justement voir à la télé la retransmission du match de catch ; Daniel Ivernel en médecin ; Serge Reggiani en petit imprimeur cerné par les dettes, etc, etc. Tous ou presque sont encore, bien entendu, amoureux de la somptueuse Marie-Octobre, incarnée avec grâce et intelligence par Danielle Darrieux. Dominant cette petite troupe, Paul Meurisse est tel qu’il sera dix ans plus tard dans L’armée des ombres de Melville, portant dignement et élégamment une belle assurance.

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Forcément, avec un tel casting, Duvivier est aux anges. On peut ajouter encore Bernard Blier, Noël Roquevert et Robert Dalban, tous un peu réduits à la personnalité qu’ils trimballent de film en film dans ces années cinquante : Blier en notable, Roquevert en vieux grincheux, Dalban en prolo. Les échanges sont vifs, dialogués par Henri Jeanson, et le huis-clos apparente cette adaptation par lui-même d’un roman de Jacques Robert à un mystère à la Agatha Christie. C’est là où Duvivier montre qu’il maîtrise parfaitement sa caméra, qui regroupe ou isole chacun des protagonistes par une série rythmée de plans plus ou moins rapprochés. Le suspense joue, qui fait que l’on peut soupçonner à tour de rôle l’un ou l’autre des anciens résistants. Au centre de toutes ces confidences, de toutes ces accusations resurgissant du passé, le portrait d’un homme, Castille, chef du réseau qui a trouvé la mort lors de l’attaque par les Allemands. L’histoire est proche de celle de Jean Moulin et, dans le film, l’attention est portée sur ce grand absent du drame qui est au cœur du film.

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Le nom de guerre de Danielle Darrieux dans le film, Marie-Octobre, pourrait renvoyer à ces feuilles mortes qui ont recouvert la mémoire des résistants. « Le soleil sortira à peine », chante Cabrel dans sa chanson Octobre et tout se passe comme ci, dès que l’enjeu de la soirée a été donné aux convives, peu d’entre eux voulaient que le soleil éclaire la trahison annoncée. « C’est du passé », disent les uns. « À quoi cela servira-t-il de savoir qui est le fautif ? » s’interrogent les autres et très vite, pour tous ceux qui veulent que justice soit faite, la question se pose sur l’identité de celui qui devra faire le sale boulot. Car si coupable il y a, il n’est pas question de dénoncer le salaud à la police. Même Paul Meurisse, instigateur de la rencontre avec Danielle Darrieux, semble douter de l’utilité de tout ceci. Le film brosse une sorte de bilan désenchanté de la période. Dix ans après les faits, qui cela intéresse-t-il encore ? Comme si, pour oublier la guerre et les torts causés, il valait mieux tout enterrer. L’automne est tombé sur les convictions.

Grand classique attachant, Marie-Octobre laisse malgré tout un peu sur sa faim. On attendait de Jeanson et Duvivier davantage de profondeur encore. Beaucoup plus de méchanceté et de noirceur. Reste la force des acteurs. Et quels acteurs ! Rien que pour eux, rien que pour Darrieux, rien que pour tous les autres, le film est un régal.

Jean-Charles Lemeunier

Marie-Octobre
Année : 1959
Origine : France
Réal. : Julien Duvivier
Scénario : Julien Duvivier, Jacques Robert, d’après un roman de Jacques Robert
Dialogue : Henri Jeanson
Photo : Robert Lefebvre
Musique : Jean Yatove
Montage : Marthe Poncin
Avec Danielle Darrieux, Paul Meurisse, Bernard Blier, Lino Ventura, Noël Roquevert, Robert Dalban, Paul Frankeur, Serge Reggiani, Paul Guers, Daniel Ivernel, Jeanne Fusier-Gir…

Marie-Octobre, édité par Pathé en DVD et Blu-ray restaurés en version 2K le 7 décembre 2016.

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