Si le gothique était une charade, mon premier serait un château isolé et lugubre. Forcément. Dans lequel se baladeraient la nuit de jolies filles perdues et effrayées. Va pour mon deuxième. Pour mon troisième, on choisirait un monstre bien moche qui, rien qu’en apparaissant, ferait pousser des cris d’orfraie à mon deuxième. Mon tout, on l’a dit dès le début donc n’essayez pas de faire les fortiches en prétendant que vous avez deviné, mon tout est le film gothique. Il pourra être britannique et cela donnera la brillante série des Dracula de la Hammer. Américain, il fera un tour réjouissant du côté d’Edgar Poe en compagnie de Roger Corman et Vincent Price. Et s’il est italien, cela peut aller du meilleur (Mario Bava, Riccardo Freda) au grand n’importe quoi.
Artus Films, qui nous a déjà régalés à plus d’une reprise avec le genre, sort deux nouveaux titres : Metempsycho (1963, Le manoir maudit) d’Antonio Boccaci — qu’il signe sous le nom plus anglo-saxon d’Anthony Kristye — et Contronatura/Schreie in der Nacht (1969), coproduction italo-allemande d’Antonio Margheriti. D’ailleurs, le DVD de ce film comporte les deux versions, italienne et allemande. Davantage curiosités que chefs-d’œuvre, les deux sujets méritent toutefois qu’on s’y arrête un instant. Filmé en noir et blanc, Le manoir maudit dispose de tous les ingrédients précédemment cités : le château qui fait peur, les filles qui s’y paument, le monstre hideux dont le maquillage relève davantage de la bulle de chewing-gum qui vous a pété en pleine poire que du travail d’un Jack Pierce ou d’un Bud Westmore, voire, pour rester côté transalpin, d’un Eugenio Bava, le papa de Mario. Ajoutons-y une vieille châtelaine, une histoire de malédiction/réincarnation, des filles jolies mais bêtes, et qui aiment se fourrer dans des situations inextricables, un père pas vraiment inquiet du sort de sa progéniture, bref du classique fauché somme toute assez réjouissant. Quelques mecs se baladent par là, que l’on soupçonne les uns après les autres d’être les méchants, dont un plutôt rigolo avec un turban hindou sur la tête qui semble sortir d’une version cheap du Tigre du Bengale. Ou du Kali Yug, déesse de la vengeance du bien-aimé Mario Camerini. Mais là s’arrête la ressemblance.
Évidemment, il serait trompeur de faire croire qu’un tel film peut effrayer. On s’amusera en revanche de raccourcis historiques, genre l’héroïne rencontre un jeune homme au bord d’une rivière et lui jure son amour quelques minutes plus tard. Qu’est-ce qui fait qu’on tienne jusqu’au bout de cette curieuse histoire ? Une certaine patte, un look, des images qui font qu’on s’y accroche. D’autant plus qu’à la fin, on n’aura pas toutes les réponses aux questions que l’on se pose, du style à qui appartient la voix masculine que l’on entend dans la chambre de torture ? Si quelqu’un a la réponse, je suis preneur.
D’une meilleure facture — Antonio Margheriti, qui signe ici de son pseudo habituel d’Anthony M. Dawson, n’a plus à faire ses preuves —, Contronatura est malgré tout plus bavard et mélange plusieurs éléments : la reconstitution des années vingt, le spiritisme, une histoire de meurtres et de vengeances à travers la mort. Dans un entretien accordé à Sergio Baldini et retranscrit sur le site Nanarland, Margheriti avoue que Contronatura, qu’il a écrit, réalisé et produit, « est un film très personnel ».
Les cinq personnages qui, bloqués par la pluie et des torrents de boue, se voient contraints de demander l’hospitalité dans un manoir du genre lugubre, ont tous, nous l’apprendrons au fur et à mesure, quelque chose à se reprocher. Et c’est, éclairés par des bougies parce que le courant a sauté, qu’une vieille dame immobile — nous apprendrons qu’elle est en transe — et son fils (Luciano Pigozzi, connu aussi sous le pseudo d’Alan Collins) se livrent avec leurs invités impromptus à une séance de spiritisme. Il faut reconnaître que tout cela est assez lent et peu choquant, pas plus les scènes saphiques à peine esquissées que les différents meurtres. Reste une atmosphère très pesante dont Margheriti sait tirer les meilleurs effets. À noter, parmi les participants forcés au spiritisme, la présence de Claudio Camaso, dont la ressemblance avec son frère Gian Maria Volonté est assez frappante.
On change complètement de cadre et d’atmosphère avec deux films britanniques également édités par Artus Films, deux productions fantastiques qui nous donnent l’occasion de nous intéresser à leur acteur principal, l’Américain Bryant Haliday. Il incarne le Grand Vorelli, un ventriloque qui pratique l’hypnotisme dans Devil Doll (1963, La poupée diabolique) de Lindsay Shonteff et un détective dans Tower of Evil (1974, La tour du diable) de Jim O’Connolly. Mais ce n’est pas pour ses rôles que Haliday s’est fait un nom mais pour les films d’art et essai en provenance d’Europe et du reste du monde qu’il a distribués aux États-Unis grâce à sa société Janus Films. Ceux de Bergman, Fellini, Truffaut, Eisenstein, Antonioni, Kurosawa, Ozu…
Filmée en noir et blanc, La poupée diabolique va nous réserver plusieurs surprises. Le film s’engage d’abord sur une des voies majeures du cinéma fantastique britannique, celle de la marionnette de ventriloque qui prend le dessus sur son manipulateur, dont le meilleur exemple reste l’un des sketches de Dead of Night (1946, Au cœur de la nuit), celui réalisé par Alberto Cavalcanti. Mais ne nous emballons pas car, comme un bon spectacle de magie, tout n’est qu’illusion. L’histoire suit donc un journaliste du genre cynique, joué par un autre Américain, William Sylvester, qui n’hésite pas à balancer sa copine (Yvonne Romain) dans les pattes de l’hypnotiseur pour obtenir un papier juteux. Exception faite d’un petit western tourné au pays, Devil Doll marque les réels débuts derrière la caméra de Lindsay Shonteff, un Canadien qui s’est retrouvé à diriger le film parce que son copain Sidney J. Furie, lui aussi Canadien et beaucoup plus expérimenté, avait décliné l’offre de Devil Doll pour une autre production, sans doute Wonderful Life avec le chanteur à la mode Cliff Richard. Et, l’année suivante, Furie signera The Ipcress File (Ipcress, danger immédiat) avec Michael Caine, sujet d’un tout autre calibre.
Film tout à fait honnête, Devil Doll présente un autre avantage, mis en valeur par les bonus du DVD : il nous parle d’une époque disparue où les histoires sortaient en Europe et aux USA dans des versions différentes, plus ou moins pimentées de filles à poil. Si la version retenue par le DVD nous montre fugitivement le sein de la plantureuse Sandra Dorne, les scènes alternatives exposées dans les bonus éclairent d’un jour nouveau ce type de production. Au cours de son enquête, Sylvester téléphone à un copain journaliste à Berlin (Alan Gifford) pour qu’il se renseigne sur Vorelli. Gifford est sur son lit et, de la salle de bains, sort une fille en sous-vêtements. Dans la variante, la copine est seins nus. Beaucoup de films anglais de l’époque ont connu ainsi des doubles versions : on peut citer, parmi les plus connus, Jack the Ripper (1959, Jack l’éventreur, Robert S. Baker et Monty Berman) ou The Flesh and the Fiends (1960, L’impasse aux violences, John Gilling).
La tour du diable est nettement un cran au-dessous. Dans les années soixante-dix, la Hammer commence à être en perte de vitesse et la Amicus est tout aussi bringuebalante. Que dire alors de Grenadier Films, qui produit cette Tower of Evil ? Le casting n’est pourtant pas honteux : aux côtés de Haliday, on retrouve des gens tels que Jill Haworth, Jack Watson et deux vieux de la vieille, Dennis Price et George Coulouris. Le premier a acquis son titre de noblesse avec King Hearts and Coronets (1949, Noblesse oblige, Robert Hamer), face au multiple Alec Guinness. Quant au second, il a tout de même démarré en 1933 et faisait partie, en 1941, de la distribution du Citizen Kane d’Orson Welles. Non, ce qui pèche le plus, c’est tout autant l’histoire originale (c’est vite dit) de George Baxt que la réalisation à l’emporte-pièce de Jim O’Connolly. Le petit père O’ veut faire plaisir à son public sans se poser les bonnes questions. Certes, son île et le phare qu’elle abrite sont glauques à souhait. Mais n’est-ce pas pour attirer le public sur autre chose que le manque de moyens qu’il filme des filles nues qui hurlent ? Des giclées de sang ? Des ralentis, des coups de zoom, des gros plans de hachoirs ? Des lumières qui clignotent dans des laboratoires improbables ? Côté maquillage, décors et effets spéciaux, il se pose aussi là : les monstres sont à mourir de rire et la statue de Baal ferait s’évanouir n’importe quel archéologue. Mais n’est-ce pas là finalement le but ultime d’O’Connolly ? Nous faire sursauter et surtout nous faire marrer, puisque c’est la direction plus ou moins prise par l’horreur anglaise dans les seventies ?
Jean-Charles Lemeunier
Le manoir maudit et Contronatura : 2 DVD Artus Films distribués par Arcades et sortis le 3 mai 2016.
La poupée diabolique et La tour du diable, 2 DVD Artus Films.