C’est connu, Hawks disait qu’il plaçait sa caméra à hauteur d’homme. Deux westerns italiens que vient d’éditer Artus Films, disposent plutôt la leur à hauteur… d’auteur. Ces deux films ont, c’est évident, un ton particulier, souvent irritant mais, à n’en pas douter, ils possèdent une approche différente, un point de vue. The Belle Starr Story (1968, dont le titre italien est Il mio corpo per un poker), qui raconte à nouveau les méfaits de cette hors-la-loi déjà incarnée, entre autres, par Gene Tierney (La reine des rebelles, 1941, Irving Cummings) et Jane Russell (La femme aux revolvers, 1952, Allan Dwan), est signé par un certain Nathan Wich, pseudo habituel de Piero Cristofani. Dans le bonus, Alain Petit explique qu’il fallut faire plusieurs recoupements, à travers des interviews croisées, pour comprendre que Cristofani avait rapidement été remplacé à la tête du film par Lina Wertmüller. D’où la place prépondérable que tiennent ici les femmes dans cet univers machiste.
Mais si Elsa Martinelli, qui joue Belle Starr, est bien au centre du récit, le film n’en est pas pour autant féministe, ainsi que l’augurent Alain Petit et d’autres commentateurs. Certes, la belle Belle tient la dragée haute aux hommes, y compris à son père (incarné par l’acteur yougoslave Vladimir Medar) et, lorsqu’elle veut un homme (Luigi Montefiori, qui apparaît sous son alias classique de George Eastman), elle fait mine de perdre au poker, d’où le titre italien. Malgré tout, Belle Starr n’hésite pas à se comporter avec les autres femmes, surtout l’Indienne Jessica (Francesca Righini), d’une manière très masculine. Belle a beau avoir sauvé Jessica d’un viol et d’une pendaison, elle la traite comme une simple servante. À moins que Lina Wertmüller ait voulu politiser le scénario en signifiant que la différence de classes sociales existait aussi dans l’Ouest américain ? On ne prête qu’aux riches et Lina a prouvé par la suite, avec des films comme Mimi Metallo blessé dans son honneur (1972) ou Film d’amour et d’anarchie (1973) qu’elle savait, à l’image des grands cinéastes italiens, mêler la politique à n’importe quel sujet.
Malgré ce postulat auteuriste, Belle Starr hésite entre plusieurs styles : le western classique, avec la partie de poker inaugurale, la bluette avec les rapports qui lient Eastman et Martinelli, aussi amoureux que violents, et l’utilisation de paysages à cent lieues de l’aridité habituelle des westerns. Ici on trouve de la verdure, beaucoup de verdure même, et une jolie cascade filmée sous toutes les coutures. Enfin, la dernière partie qui met en scène un vol de diamants, bascule dans un autre genre, le film de gangsters. Tout cela fait de Belle Starr un western spaghetti à part, cuisiné d’une manière particulière, pas entièrement réussi mais qui tranche avec la production habituelle.
Que dire alors de Matalo ! (1970) de Cesare Canevari ? Qui n’est pas à proprement parler un auteur, en tout cas pas officiellement reconnu pour tel, et qui commet un film à nul autre pareil, comme si Bresson avait posé des étriers sur ses chaussures de ville et envoyé valdinguer tous les poncifs culs par dessus têtes. Et si l’on retrouve quelques-uns des lieux communs des westerns made in Italy — des desperados sales et dégénérés, un sauvetage inespéré de la pendaison, une ville fantôme, un butin que se disputent lesdits méchants, etc. —, ils sont filmés d’une manière complètement anormale pour le tout venant, avec une économie de dialogues, des gros plans envahissants et un héros joué par Lou Castel, le tenant du cinéma d’auteur européen (Bellocchio, Fassbinder, Wenders, Liliana Cavani, Benoît Jacquot, Danie Schmid, François Weyergans et quelques autres). Un héros d’ailleurs étrange, non-violent, et qui va en fin de compte utiliser une arme inappropriée au western.
Il est clair que, même si, en 1970, le western est un genre qui se meurt en Europe et qui commence à fuiter dans toutes les directions, à commencer par la veine parodique (Trinita date de cette même année), Matalo ! reste un film étrange et étrangement fascinant, parfois à la limite du supportable, et que l’on est pourtant content d’avoir découvert.
Jean-Charles Lemeunier
2 DVD édités par Artus Films le 5 avril 2016