Chaque génération a son Sherlock Holmes. Les plus jeunes imaginent aisément pour se représenter le personnage de Conan Doyle les traits de Robert Downey Jr, tel qu’il apparaît dans les films de Guy Ritchie, ou ceux de Benedict Cumberbatch et Jonny Lee Miller dans les séries Sherlock et Elementary. Mais pour beaucoup, penser à Sherlock Holmes remet en mémoire le village allongé et sérieux de Basil Rathbone, dont les films des années quarante passaient encore en boucle trente ans après à la télévision française.
Rathbone a d’ailleurs tellement marqué le détective que, lorsqu’en 1954, la télévision américaine décide de remettre en selle l’homme au deerstalker (la fameuse casquette), sa pipe et son archet, c’est à Ronald Howard qu’elle fait appel. Et Ronald Howard, fils du célèbre Leslie Howard — le mollasson dont Scarlet est amoureuse dans Autant en emporte le vent — a le même style de visage que Basil Rathbone. Et il possède la même distinction britannique que le grand Basil. C’est normal, Ronald est natif de la perfide Albion alors que Rathbone, curieusement, a vu le jour en Afrique du sud.
Alors que le grand Sherlock n’est toujours pas démodé, bien au contraire puisqu’il est à nouveau décliné sous toutes les formes, y compris flanqué d’une Watson féminine dans Elementary, Artus Films a eu la riche idée de ressortir en DVD les 39 épisodes d’une demi-heure de Sherlock Holmes, produits entre 1954 et 1955 par Sheldon Reynolds et tournés en France. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on retrouve tout au long des différents génériques un grand nombre d’acteurs français. Citons Jacques François, Delphine Seyrig, Sacha Pitoeff, Nicole Courcel, Jacques Dacqmine, Grégoire Aslan et de nombreux autres seconds rôles. Mais on a également la surprise de découvrir, au fil des épisodes, Paulette Goddard, Dawn Addams ou Michael Gough, l’Alfred des Batman de Tim Burton.
Beaucoup de ces histoires courtes sont tirées de Conan Doyle lui-même, les autres scénarios étant principalement écrits par Charles et Joseph Early, Lou Morheim, Sheldon Reynolds et quelques autres. Outre la rencontre entre Sherlock et le Dr Watson, interprété par Howard Marion-Crawford, dans le premier épisode et la présence quasi systématique et inefficace de l’inspecteur Lestrade (Archie Duncan), le reste de la série est toujours composé de la même manière ou presque : souvent, Holmes et Watson vaquent tranquillement à leurs occupations dans leur appartement du 221B Baker Street lorsque quelqu’un vient taper à leur porte pour leur apporter une affaire incroyable. Enfin, toujours incroyable pour Watson, qui roule des yeux devant le mystère, alors que Holmes, fin stratège, pose quelques questions et a déjà une idée précise de la solution. D’autres fois, l’action démarre d’abord et ce n’est qu’ensuite que l’on vient chercher de l’aide auprès des deux amis. Qu’ils aillent enquêter dans des châteaux, des chambres d’hôtels, des bars, un repère de faux-monnayeurs ou un train, les deux héros fonctionnent à peu près à l’identique. Et lorsqu’il faut un bon coup de poing pour se débarrasser d’un importun, c’est toujours Watson qui s’en charge.
Doit-on également le préciser ? L’humour est omniprésent dans chacune des énigmes, certains épisodes frisant même la parodie. C’est le cas de The Case of the Texas Cowgirl, où une sorte de Calamity Jane vient quérir les bons services du détective. La différence de langues, d’accents et de comportements entre Américains et British est ici épinglée et l’actrice principale, Lucille Vines qui joue la cowgirl, en rajoute juste ce qu’il faut. Mais les Américains, qui produisent la série, ne tiennent pas à être les seuls dindons de la farce et c’est bien souvent que, au fil des récits, ils se moquent des habitudes de leurs cousins d’outre-Atlantique. Ainsi, dans The Case of the French Interpreter, Watson cherche Holmes jusque dans le club où ce dernier se retire quelquefois. Or, dans ce club très britannique, il est interdit de s’adresser à quiconque en parlant. Mais Watson a des choses importantes à dire à son détective préféré et il ose briser la loi du silence. Ainsi, les Américains fustigent-ils avec humour des mœurs qui leur semblent bien ridicules.
Chaque nouvelle histoire amène son lot de surprises : c’est Watson soupçonné de meurtre, ou une momie égyptienne qui rit, ou le son d’un violon fantôme, etc. On se laisse facilement prendre, d’autant que les trois cinéastes qui signent la totalité de la série (Jack Gage, Sheldon Reynolds et Steve Previn) ne prennent pas de détours et traitent simplement mais efficacement chaque histoire en un temps record. Dès l’introduction, rythmée par la musique de Paul Durand, le spectateur est dans le bain.
Alors à ceux qui, selon leur âge et leur goût, pourraient demander ce que ce Sherlock-là pourra leur apporter de nouveau, eux qui connaissent sur le bout des doigts les aventures de leur héros incarné par Rathbone, ou Christopher Lee, ou Robert Downey, ou dans les deux séries actuelles, la réponse est toute trouvée : complémentaire, mon cher Watson !
Jean-Charles Lemeunier
Série Sherlock Holmes (1954-1955) édiée en DVD par Artus Films depuis le 15 mars 2016.