« On se connaît ? » demande le jeune pilote à son vieux collègue. Tous deux, dans deux vaisseaux différents, font partie d’une escadrille terrienne venant à bout de ses ennemis. « On se connaît ? » questionne donc le jeune. « Non, nous ne sommes pas de la même époque ! »
En 1979, les spectateurs suivent les aventures de Buck Rogers, le jeune pilote du XXe siècle endormi dans l’espace et réveillé cinq cents ans plus tard — il a fait très exactement un bond de 1987 à 2491 —, devenu l’un des as des batailles spatiales. La série s’appelle Buck Rogers au XXVe siècle et a pour héros Gil Gerard. Le jeune pilote, c’est lui. Celui à qui il s’adresse, Gordon dans l’épisode, est incarné par Buster Crabbe. Il fut le premier Buck Rogers en 1939, dans le serial du même nom réalisé par Ford Beebe et Saul Goodkind. Trois ans auparavant, il portait l’uniforme intersidéral de Flash Gordon dans un autre serial, signé Frederick Stephani et Ray Taylor. Donc Crabbe/Gordon, Rogers de 1939, parle à son successeur quarante ans plus tard. Magie de la télévision. Et il continue : « J’ai fait ce genre de choses bien avant que vous ne soyez né ! » Et Gil Gerard, qui fait le malin parce que son personnage est censé avoir cinq cents ans de plus dans les pattes : « Vous croyez ? » « J’en suis sûr ! », affirme Buster Crabbe.
Ce genre de dialogue, qui fait tout le sel de l’épisode Planet of the Slave Girls (La montagne du sorcier), va être typique de cette série qui ne se prend pas du tout au sérieux.
Car Buck Rogers au XXVe siècle, que les éditions Elephant rééditent dans un somptueux coffret, c’est, dans le désordre, une ambiance disco, un héros dilettante, des filles sexy, des costumes abracadabrants, des décors qui le sont tout autant et sont signés dans les premiers épisodes… Victor Hugo, des filles sexy —Comment ? je l’ai déjà mentionné ? —, des méchants bien méchants, des guests stars en veux-tu en voilà et, enfin, des filles sexy qu’un rien habille.
Ne croyons pas que les pénuries de scénarios n’appartiennent qu’au présent, avec nos Star Wars 7, Hunger Games 4, Avengers 3, Rocky 7, Les Tuche 2, Les visiteurs 4, etc. Jusqu’à un Blade Runner 2 à venir et un insupportable Joséphine s’arrondit qui explose le périnée de nos écrans. Cela a toujours été et, en 1979, deux ans après le succès sidérant et intersidéral de Star Wars, le producteur Glen A. Larson, qui en avait déjà piqué quelques idées ça et là pour sa série Battlestar Galactica, s’est dit qu’il pourrait bien poursuivre sur sa lancée. Et puisque George Lucas rappelait dans son film toute l’estime qu’il avait pour les anciens serials, pourquoi ne pas aller chercher dans le stock inépuisable et reprendre à son profit le personnage de Buck Rogers ? Issu d’une bande dessinée de 1929 — elle-même adaptée d’une nouvelle —, le personnage connut une première heure de gloire au cinéma grâce au fringant Buster Crabbe qui l’incarne. Une fois récupéré par Larson, l’effet mode joue à un tel point qu’en 1980, Mike Hodges va chercher Flash Gordon, autre héros intergalactique né lui aussi de la bédé et ayant connu lui aussi un passage par le serial sous les traits du même Crabbe. Un mec aux pinces d’or, n’en doutons pas !
Les mauvaises langues ont toujours prétendu que Larson avait puisé la plus grande partie de son inspiration dans Star Wars. Il n’y a pourtant point d’hyperespace ici, seulement une « grille stellaire » qui rend malade Buck la première fois qu’il la traverse. Les casques de certains militaires font penser, il est vrai, à celui de Vador mais lui-même ne s’était-il pas inspiré des samouraïs ? Et puis nous avons ce gentil robot, Twiki, qui hésite entre des borborygmes dignes de La Denrée dans La soupe aux choux, et un phrasé plus argotique, appris de Buck Rogers lui-même, et qui est dit en v.o. avec la voix de Mel Blanc, celui-là même qui doublait les Tex Avery ! Twiki est donc à mi-chemin entre R2-D2 et C-3PO. Ce petit robot sympathique porte sur son ventre un ordinateur enfermé dans une boîte, au look de flipper, qui répond au nom de Dr Théopolis car, au XXVe siècle, les computers et les humains dirigent la planète à parts égales. Ce docteur-là est aussi bavard que le Hal de 2001, Odyssée de l’espace. On apprend aussi, au cours d’un épisode (Alerte au gaz), que la retraite se prend à 85 ans ! Ajoutons à cela quelques looks aliens pas piqués des hannetons, prétextes à gags. Buck entre dans un bar, repère le joli dos d’une jolie blonde et lui demande si elle vient souvent ici. La jeune femme se retourne et exhibe une belle trompe d’éléphant. Gag.
Dans le rôle de Buck Rogers, nous avons donc Gil Gerard qui, s’il a tourné d’autres films tant au cinéma qu’à la télé, n’est guère connu que pour ses aventures au XXVe siècle. Il est plutôt grassouillet dans sa tunique serrée futuriste, assez proche de celles de Cosmos 99 — qui a duré de 1975 à 1977 et s’est donc arrêtée seulement deux ans avant Buck Rogers. Grassouillet donc, mais sympathique à force de décontraction, Gil Gerard parvient à imposer sa désinvolture et son sens de la dérision.
En deux saisons et trente-sept épisodes (soit douze DVD), nous assistons à d’incessants allers-retours entre les planètes d’une ou l’autre des galaxies et la Terre — en fait New Chicago, dont on ne voit toujours que la même rue et le même bâtiment — dans les premiers épisodes, il s’agit du célèbre hôtel Bonaventure de Los Angeles. Les trajets peuvent être très rapides, genre aller chercher du secours sur Terre et revenir cinq minutes plus tard. La vitesse de la lumière ne connaît pas de radars. Quant aux différentes planètes, elles sont prétextes à de jolis décors et des costumes parfois cocasses, du gouverneur aux allures de sultan (joué par Roddy McDowall, transfuge de La planète des singes) aux légères tenues très échancrées de toutes ces dames interplanétaires – mais je vous en ai peut-être déjà causé.
L’une des planètes n’est même qu’une gigantesque salle de jeu et le titre de l’épisode, Vegas in Space, sera repris par Troma en 1991 mais, dans ce dernier, les membres de l’équipage seront obligés de se travestir en femmes pour mener à bien leur enquête. Ce qui n’est pas le cas de Buck Rogers.
Chaque épisode de la série contient son lot de bonne humeur et de surprises, telles ces apparitions de stars plus ou moins sur le déclin : Henry Silva, Jack Palance, Cesar Romero, Gary Coleman — le gamin de Arnold et Willy —, Peter Graves, Ray Walston, McDonald Carey ou Vera Miles. D’autres sont en devenir, comme Jamie Lee Curtis, Dennis Haysbert futur président de 24 heures chrono, Dorothy Stratten — playmate assassinée par son mari en 1980 à l’âge de 20 ans et qui deviendra le sujet du film Star 80 — et Morgan Brittany, qui fera ensuite les belles heures de Dallas et de La croisière s’amuse… tout un programme ! Les scénarios restent simplistes : Buck Rogers et la jolie Wilma Deering (Erin Gray) luttent systématiquement contre des méchants. Et le plaisir réside bien évidemment dans la représentation de ces derniers. En filigrane, une histoire d’estime et d’amour se dessine entre les deux principaux personnages, même si Buck continue à faire du gringue à tout ce qui porte jupette. Comme lorsqu’il se retrouve sur la planète des Amazones et qu’il préfère reporter un rendez-vous galant avec Wilma pour passer la soirée avec deux charmantes — et beaucoup plus dangereuses — demoiselles.
Force est de reconnaître qu’au fil des histoires, les scénaristes de la série inventent des détails qui deviendront, plus tard, les incontournables de la SF. Prenons le cas d’Unchained Woman (Les évadés du puits d’enfer), dans lequel Buck doit sauver la toute jeune Jamie Lee Curtis d’une prison extra-terrestre. Dans le désert qui entoure le pénitencier souterrain, vivent de terrifiantes pieuvres des sables qui rappellent fortement les vers de sable géants de Dune, que David Lynch ne filmera qu’en 1984, mais que les auteurs de la série devaient connaître par le bouquin de Frank Herbert. Cela dit, la fameuse pieuvre des sables est si crédible qu’à côté d’elle, celle d’Ed Wood semble avoir passé toute sa jeunesse dans le grand aquarium de San Francisco. Plus précurseur encore est le robot humanoïde indestructible, une idée qui renvoie directement à Terminator (1984).
Autant dire que c’est véritablement un plaisir inattendu de revoir ces séries des années glorieuses. Nous sommes à des années-lumière de Game of Thrones ou des 100 et de leur pyrotechnie numérique. De leurs multiples personnages, leurs rebondissements, leurs éliminations inattendues de héros, etc. Nous sommes dans des scénarios beaucoup plus simplistes, au ton bon enfant et à l’humour omniprésent. Celui d’une époque future — et pourtant révolue — que l’on retrouve avec amusement.
Jean-Charles Lemeunier
Coffret Buck Rogers au XXVe siècle édité par Elephant Films le 20 janvier 2016