Franchement, il est bien gentil, M. Jourdain avec sa prose, mais il n’est quand même pas le seul. Tenez, pour ne prendre qu’un exemple, quand j’étais gamin, je lisais des fumetti et je le savais même pas ! Je me régalais avec les histoires de Zorry Kid et ses saucissons qui se baladaient dans le décor sans me rendre compte que c’était une bédé italienne, signée du grand Jacovetti. Les phylactères, semblables à des nuages de fumée, ont fait surnommer ces bandes dessinées du nom de fumetti. Et la bonne nouvelle pour nous, c’est que plusieurs d’entre elles ont inspiré des cinéastes. Pas les plus grands certes, à l’exception de Mario Bava.
Citons ainsi Duccio Tessari qui, avec Tex et le seigneur des abîmes, adapte le Tex Willer d’Aurelio Galleppini. Le déjà cité Mario Bava réalise Danger Diabolik d’après le personnage créé par les sœurs Giussani. Kriminal, la créature de Max Bunker (alias Luciano Secchi) dessinée par Magnus (Roberto Raviola) hante les filmos d’Umberto Lenzi et de Fernando Cerchio. Ce sont les mêmes Magnus et Bunker qui donnent à Satanik ses lettres de noblesse. Et, c’est là où je voulais en venir, Satanik est adapté à l’écran en 1968 par Piero Vivarelli. Une production qui lance chez Artus Films une nouvelle collection DVD, baptisée Fumetti.
S’il n’y a pas de fumée sans feu, l’histoire du 7e art prouve bien qu’il peut en revanche exister des fumetti sans beaucoup de feu. Car entre nous, le scénario de Satanik n’est pas des plus originaux. Qu’est-ce qui fait alors qu’on ait tellement envie de voir ces fumetti sur grand écran ? Sans aucun doute les détails.
Prenons celui qui est relevé par Luigi Montini, interprète du film, dans l’un des suppléments (qui sont d’ailleurs l’un des points forts des collections d’Artus Films) : l’héroïne, une vieille biologiste très moche, boit une potion de rajeunissement et perd connaissance. La caméra balaie le corps étendu sur le sol : la laideur est devenue, on s’en doutait, une ravissante jeune femme super gaulée. Et ses fringues classiques et vieillottes se sont métamorphosées en petit chemisier seyant et minijupe. Bravo la formule ! C’est bien là que réside le charme de ces productions : dans leur style. Les couleurs, la musique, les acteurs, l’érotisme sage, la façon de filmer, tout respire les années soixante et la pop culture. À tel point que l’image du film, ce qu’il véhicule en termes de fantasmes (voir l’affiche et ses deux jolies silhouettes, l’une en maillot jaune et l’autre vêtue en Fantômas sexy rouge), est peut-être plus forte que le film lui-même. Et, curieusement, même si après la vision de Satanik, on se dit que ouais, bof, c’est pas mal, un peu décevant, on est malgré tout heureux de posséder le DVD dans sa collection.
Il ne reste plus qu’à souhaiter les prochaines sorties d’autres films inspirés de fumetti. Pour cela, on peut faire confiance à Artus qui dégotte toujours des raretés.
La preuve en est donnée avec les trois autres films nouvellement édités chez lui.
La vendetta di Lady Morgan (1965, La vengeance de Lady Morgan) nous aide à poursuivre la connaissance de l’œuvre de Massimo Pupillo (dont Artus a déjà sorti Cinq tombes pour un médium (sous le titre Le cimetière des morts-vivants) et Vierges pour le bourreau. Là encore, les suppléments (les commentaires d’Alain Petit et les interviews de Pupillo et de Paul Müller) sont passionnants. Lucas Balbo nous y raconte une curieuse histoire. Les années 60 étant à l’américanisation des noms italiens, Pupillo a signé plusieurs films sous le nom de Max Hunter. Cinq tombes pour un médium ayant été traficoté par le producteur Ralph Zucker, le film fut finalement signé de ce nom. Or, lorsque ce dernier mourut en 1982, tout le monde en conclut qu’il s’agissait de Pupillo. D’où la grande surprise des organisateurs du festival de Rome qui, en 1996, rendant hommage entre autres à Massimo Pupillo, eurent la surprise de le voir débarquer bien vivant. C’est à cette occasion que Balbo put faire l’interview du cinéaste. Pupillo, c’est évident, donnait la préférence à la première partie de sa carrière et aux nombreux documentaires qu’il signa alors. Il considérait visiblement sans conséquence ses petits films d’horreur fauchés, devenus pourtant cultes au fil du temps. Le plus incroyable est que les auteurs du document perdent la trace de Pupillo après cette rencontre. Ils ont pourtant contacté son fils, musicien de jazz, mais sans réponse. Il semblerait que Pupillo soit mort depuis, mais rien n’est moins sûr.
La vengeance de Lady Morgan, qui mêle fantômes et vampires, doit son charme à l’atmosphère gothique qui s’en dégage. Vu le peu de moyens dont a bénéficié Pupillo, ce film est une réussite.
Il plenilunio delle vergine (1973, Les vierges de la pleine lune), que Luigi Batzella signe sous le nom de Paolo Solvay, est beaucoup plus érotique. Auteur d’un fabuleux dictionnaire du cinéma bis (Stracult), le journaliste italien Marco Giusti est emballé par ce qui est pour lui le premier film de vampires lesbiennes. Il déclare même qu’il s’agit du meilleur rôle de Rosalba Neri – j’avoue qu’à tout prendre, je la préfère dans La bestia uccide a sangue freddo (La clinique sanglante ou, admirez le titre de la sortie en salles, Les insatisfaites poupées érotiques du Dr Hichcock)) de Fernando Di Leo. Confrontées à des jumeaux incarnés par Mark Damon, ces Vierges de la pleine lune jouent à fond la carte de la beauté de ses actrices, usant malheureusement d’un scénario qui, à cette époque, commence à être usé jusqu’à la corde : le voyageur esseulé, le château occupé par des vampires… La seule originalité, que Giusti a raison de relever puisque c’en est une, est que le Dracula habituel est ici UNE vampire, qui s’inspire beaucoup de la comtesse Bathory et de ses bains de sang (Rosalba Neri porte dans le film le titre de comtesse Dolingen de Vries).
Enfin, et c’est une évidence à propos du dernier film que nous commenterons ici, Sergio Garrone n’est pas Pasolini (ça se saurait) et son Lager SSadis Kastrat Kommandatur (1976, Horreurs nazies) n’a rien de commun avec Salo et son insupportable vision des tortures. Ces Horreurs-là appartiennent au sous-genre de la nazisploitation, plus ou moins lancé par le Portier de nuit de Liliana Cavani et des films tels que l’inoubliable (!!!) Gretchen sans uniformes d’Erwin C. Dietrich ou la série des Ilsa de Don Edmonds (dont le dernier épisode fut tourné par Jesus Franco). Les Italiens vont s’engouffrer dans ce filon, de Tinto Brass (Salon Kitty) aux œuvrettes de Luigi Batzella, Bruno Mattei, Cesare Canevari et Sergio Garrone. Dans chacun d’eux, et c’est le cas avec Horreurs nazies, les filles sont toutes à poil et les mecs en uniformes SS (parfois, quand ils se déshabillent, ils n’enlèvent que la veste).
Il est évident que c’est ici la curiosité qui prime. On sait que ces films existent, on sait qu’ils ne sont pas génialissimes mais on désire malgré tout les voir et Artus comble ainsi nos envies.
Jean-Charles Lemeunier
Collection sortie en DVD le 1er avril 2014 chez Artus Films