C’est un rendez-vous désormais très attendu par tous les amateurs de westerns : la sortie régulière, chez Sidonis, de petites perles ou de films totalement inédits sur nos écrans. Regardons de plus près trois d’entre eux.
La reine des rebelles
Il existe de nombreuses raisons à l’envie de voir un film : le sujet, le réalisateur, les acteurs… Pour La reine des rebelles (Belle Starr, the Bandit Queen, 1941), ce n’est pas tant le réalisateur, Irving Cummings, qui suscite la curiosité que la présence au générique de ce film de la Twentieth Century Fox de Gene Tierney et Dana Andrews, le coupe vedette mythique de Laura et de Mark Dixon détective. Tous deux avaient déjà figuré dans un film de John Ford cette même année (Tobacco Road) et se retrouveront encore dans Iron Curtain en 1948. Mais ici, Dana Andrews n’a encore qu’un rôle subalterne, celui d’un officier nordiste amoureux de la flamboyante Belle Shirley (Gene Tierney), une sudiste convaincue qui tombera dans les bras de Sam Starr, farouche rebelle sudiste (Randolph Scott). Dans ce triangle amoureux, la caméra n’a d’yeux que pour une déesse. Patrick Brion, dans le bonus, fait remarquer que Belle Starr se place dans la lignée d’Autant en emporte le vent, sorti deux ans auparavant. Même paysage sudiste, même demeure aux colonnades, même femme forte qui ne veut pas s’en remettre au sort et décide de prendre son destin à deux mains. Dans ce rôle, Gene Tierney est aussi flamboyante que ne l’était Vivien Leigh.
Comme le conseillera John Ford quelques années plus tard, Cummings et son scénariste Lamar Trotti choisissent d’imprimer la légende. Dans la réalité, Belle Starr, mariée une première fois à un voleur abattu par le shérif à sa poursuite, rejoint le gang de Sam Starr, l’épouse et planifie plusieurs vols de chevaux et autres méfaits. Rien de bien ébouriffant et surtout pas grand chose à voir avec ce côté sudiste et rebelle que le film lui octroie, même si la belle Belle a vu son frère tué par les nordistes et a servi d’agent aux troupes sudistes, fréquentant d’ailleurs, au passage, Quantrill, les frères James et les frères Younger, autant de personnages de l’ouest pas forcément recommandables.
Dans La reine des rebelles, c’est donc Gene Tierney qui règne d’une main de fer sur la troupe. Méritant totalement le prénom de son personnage, Gene est un atout de taille dans la vision de ce film qui, convenons-en, reste assez conventionnel si ce n’est, toutefois, l’originalité de la place accordée aux femmes. Elizabeth Patterson, par exemple, en mégère que personne n’a jamais réussi à apprivoiser, pas même son mari (Chill Wills), n’hésite pas à tirer au fusil sur tout ce qui bouge. Belle Starr est de cette trempe-là, tout en étant bien entendu beaucoup plus féminine que la trouble-fête précitée.
La reine des rebelles repose sur une jolie idée de légende et d’immortalité, qui démarre et clôt le sujet. Elle est très certainement à mettre au crédit de Lamar Trotti, un scénariste qui savait jongler avec bonheur entre le mythe et la réalité (voir le très beau Vers sa destinée qu’il écrivit pour Ford sur la jeunesse de Lincoln). Il conclut son histoire par une séquence particulièrement réussie, que l’on me gardera bien de dévoiler ici.
On peut convenir que Gene Tierney est l’une des plus belles actrices des années quarante à Hollywood. Elle n’est bien sûr pas la seule et Linda Darnell, héroïne des Rebelles de Fort Thorn, se pose là. Cette piquante brune texane, souvent vouée aux rôles exotiques (Mexicaines, Indiennes) avait déjà, à l’époque du tournage des Rebelles, affronté plusieurs démons, liaisons terribles avec Howard Hughes et Joe Mankiewicz, alcoolisme, etc.
Les rebelles de Fort Thorn (1950, Two Flags West, Robert Wise) a le même point de départ que Major Dundee (1964) de Sam Peckinpah : prisonniers dans les geôles nordistes, des soldats sudistes acceptent de porter l’uniforme de l’Union pour combattre les Indiens… en pleine guerre de Sécession. Ce qui semble motiver Robert Wise dans ce western atypique, c’est le rejet de la guerre, quelle qu’elle soit. Pas plus les combats fratricides des soldats blancs que ceux qu’ils livrent contre les Indiens ne trouvent grâce à ses yeux. D’où le superbe finale qui transforme un happy end traditionnel en une victoire au goût amer.
Trois grandes figures masculines traversent le film : le colonel sudiste (Joseph Cotten), qui trahit son uniforme dans l’espoir d’une fuite vers le Sud ; le commandant du fort (Jeff Chandler), un major que sa claudication (due à une blessure de guerre ?) a éloigné des combats de la guerre civile, ce qui lui fait vouer une haine aussi farouche que commune envers les Confédérés et les Indiens ; un capitaine au cœur noble (Cornel Wilde) qui, bien que nordiste, fait confiance à Cotten et à ses hommes. Entre ces trois là, se dresse une silhouette : la belle Elena, veuve du frère du major. Les trois, c’est flagrant, sont amoureux d’elle mais aucun ne peut avouer ses sentiments : le premier est son beau-frère et dirige le fort, le second hésite à se déclarer tout en roucoulant. Le troisième, enfin, qui trouve la donzelle lui aussi à son goût, a d’autres chats à fouetter et cherche à reprendre l’uniforme gris, celui des sudistes, qu’il regrette d’avoir ôté.
Dans ce festival de non-dits, Robert Wise affirme haut et fort, à cinq ans du grand conflit mondial, son dégoût de la guerre. L’héroïsme n’est pas spécialement mis en valeur et la manière qu’a Jeff Chandler de traiter les Indiens est tout sauf honorable. Le choix de l’acteur est d’ailleurs judicieux : Il vient de tourner cette même année 1950 La flèche brisée (Broken Arrow de Delmer Daves), film dans lequel il incarne le grand chef apache Cochise et pour lequel il obtiendra l’Oscar du meilleur second rôle. Chandler reposera sur sa tête la longue chevelure blanche de l’Indien dans Au mépris des lois (The Battle at Apache Pass, 1952, de George Sherman) et Taza, fils de Cochise (Taza, Son of Cochise, 1954, de Douglas Sirk). Le voir ici interpréter un officier raciste en dit long sur l’état d’esprit de Wise.
La violence de l’attaque du fort et la mort hors cadre de deux des principaux personnages (ne comptez pas sur moi pour que je vous révèle lesquels), hors cadre et glaçante surtout pour l’un des deux, prouvent également combien Wise est un libéral, bousculant les idées toutes faites. Sa grande force est aussi de ne pas rendre monolithiques tous ces êtres qui se débattent dans cette aventure. Tous ont des zones d’ombres, ce qui les rend encore plus passionnants.
Comme d’habitude dans cette collection de westerns de légende, Patrick Brion et Bertrand Tavernier interviennent dans les bonus et enrichissent nos connaissances, tant sur le film que sur la période. Tavernier fait remarquer que le film présente quelques incohérences et des problèmes de géographie (la situation du fort par rapport à l’espace environnant). Il va de soi que, loin d’être parfait, ne postulant pas au rang de chef d’œuvre, Les rebelles de Fort Thorn n’en est que plus intéressant.
Dans l’Ouest lointain, les forts ne sont pas les seuls à s’appeler Thorn. Les juges aussi, surtout lorsqu’ils ont la carrure de Joel McCrea. Le juge Thorne (avec un E), héros de Stranger on Horseback (1955, Jacques Tourneur), prête son nom au titre français que l’on a donné au film, Le juge Thorne fait sa loi. Un titre aussi ridicule que les couleurs sont bizarres (elles sont en Ansco Color et non dans l’habituel Technicolor). Cet étranger qui arrive en ville comme il en repartira, à dos de cheval, est dans la lignée du héros de western tel qu’on se le représente dans les années cinquante, seul contre le groupe. C’est Gary Cooper qui, dans Le train sifflera trois fois (1952, High Noon, Fred Zinnemann), se voit refuser l’aide de tous face aux méchants qui veulent lui trouer la peau. C’est John Wayne qui, pour des raisons diamétralement opposées, refuse dans Rio Bravo (1959, Howard Hawks) l’aide de quiconque, si ce n’est un vieux boiteux, un ivrogne et un freluquet pour tenir tête à une bande de malintentionnés. Les spécialistes soulignent d’ailleurs que Zinnemann était de gauche et antimaccarthyste, ce qui n’était pas forcément le cas de Hawks. Doit-on poser sur Stranger on Horseback de Tourneur une telle grille de lecture politique ? On a beau essayer, on n’y arrive pas. Par contre, comme l’explique Bertrand Tavernier dans un des bonus, Joel McCrea était un membre de la Christian Science et, en tant que tel, non-violent. C’est pour cette raison que son imperturbable juge Thorne ne porte pas d’arme, sait se défendre d’un seul coup de poing contre le premier emmerdeur venu, et n’utilisera son fusil qu’en dernier recours. Car le juge ne fait pas sa loi mais applique LA loi, celle qui dit qu’un homme accusé de meurtre (le fils du potentat local) doit être jugé par un tribunal. On peut comprendre Tavernier lorsqu’il raconte qu’il avait été déçu par sa première vision du film. Il est vrai que Jacques Tourneur, avec des films d’épouvante comme La féline ou Vaudou, avec des films noirs tels que La griffe du passé ou Nightfall, avec des westerns comme Le passage du canyon ou des films de guerre dans la lignée de Berlin Express nous a habitués à beaucoup mieux. Or, Tavernier nous donne une magistrale démonstration du talent de Tourneur dans Stranger on Horseback, avec une mise en scène en sourdine, des acteurs formidables (en particulier John Carradine) et des séquences très belles : celle de l’arrivée de McCrea qui longe un enterrement ou le moment où il traverse la ligne des ennemis et fait s’éparpiller leur groupe.
Il est clair que Stranger on Horseback est un film qu’on ne peut se contenter d’avaler pour passer au suivant. Si on le fait, il risque de ne pas laisser de grandes traces dans la mémoire. Il mérite au contraire qu’on prenne le temps de mieux l’analyser, de le revoir, de ne pas s’intéresser qu’à l’action principale mais plutôt à la manière dont elle est racontée, sans coup d’éclat mais avec une maîtrise étonnante.
Jean-Charles Lemeunier
DVD parus le 17 janvier 2012