Cette année, la nuit spéciale concoctée par le festival a clairement jouée le décalage total en oubliant les sempiternels slashers et autres DTV en solde pour enfin renouer avec l’esprit festif des cinéphiles qui ne demandaient qu’à se lâcher. Et dans cette optique, la Nuit Fantastique composée de Tucker et Dale fightent le mal, New Kids Turbo (film hollandais anar et complètement chtarbé du bulbe où toutes les transgressions sont permises et hilarantes, donc absolument indispensable !) et Juan of The Dead, remplit parfaitement son office, proposant trois bandes axant avant tout leur intérêt sur la manière de libérer les zygomatiques des spectateurs.
Tucker et Dale fightent le mal, premier film d’Eli Craig ouvre ainsi le bal et propose de suivre un délirant détournement de tous les codes en vigueur dans les traditionnels films d’horreur où des étudiants partis faire la fête en pleine forêt obscure se font décimer un à un par des rednecks dégénérés. Le film joue ainsi à fond sur le décalage qui s’installe dans la perception des évènements par des jeunes complètement formatés par des décennies de Vendredi 13 et ses ersatz. Des motifs et codes tellement bien intégrés qu’ils définissent à leurs yeux la réalité d’un monde totalement étranger à leur milieu protégé. En clair, ce sera la cambrousse Vs les bobos urbains et l’affrontement sera riche en étincelles.
Dale et Tucker sont deux bouseux américains qui viennent de faire l’acquisition d’une résidence de vacances qu’ils vont retaper afin de profiter eux aussi de leur temps libre pour s’adonner à leur loisir favori, la pêche. Alors qu’ils chargent leur camionnette de tout l’outillage nécessaire (tronçonneuse, faucille, cisailles, marteau, clous, essence, débroussailleuse, etc) acheté à la station service/supérette du coin, ils croisent le pick-up d’un groupe de jeunes venus se ravitailler au même endroit. Ces derniers émettent d’emblée un jugement faussé par leur conditionnement culturel et voient dans ce duo, certes bourru et peu avenant, les représentants des spécimens responsables de tous les faits divers sanglants inimaginables. Pourtant, Tucker et Dale sont sympas et n’aspirent qu’à un peu de tranquillité, voire un soupçon d’amour pour Dale, le plus nounours des deux, qui s’est entiché de la sculpturale Alison. Mais sa manière de l’aborder elle est ses amies pour entamer la discussion et créer un premier contact révèle une maladresse que les donzelles prendront de facto pour l’expression d’un dérèglement comportemental. Les rapports entre les deux groupes vont rapidement s’envenimer lorsqu’au cours du bain de minuit des adolescents Dale plonge pour sauver de la noyade Alison, ses amis croyant alors à un enlèvement alors que Tucker et Dale ne l’ont emmené avec eux que pour la soigner. Le leader des jeunes, Chad, persuade ses potes de retrouver les deux péquenauds et leur faire la peau pour libérer leur amie. Malheureusement, un des leurs se tue accidentellement (se croyant poursuivi par Tucker armé d’une tronçonneuse rugissante, il s’empale sur une branche), renforçant aux yeux des autres le statut de psychopathes des deux campagnards. Les quiproquos et autres malentendus ne vont faire que s’accentuer, par des actions mal comprises ou des bribes de paroles entendues hors de leur contexte, et engendrer de nombreux gags très drôles malgré le résultat tragique pour les victimes. Tucker et Dale fightent le mal renvoie ainsi à l’excellent Shawn of the Dead dans sa volonté de rendre hommage au genre en y appliquant une grille de lecture délirante et rafraîchissante. Mais au contraire du film d’Edgar Wright, Eli Craig ne parvient jamais à dépasser son postulat de base et demeure engoncé dans son approche au second degré, n’engendrant aucune réflexivité ou émotion. Dommage mais en l’état, le film est parfaitement réjouissant, jouant adroitement sur les contrastes entre les personnages d’étudiants excessivement apeurés, Chad complètement obtus jusqu’à l’obsession, Alison la compréhensive et les attachants Tucker et Dale. Sans être un futur classique en puissance, Tucker et Dale fightent le mal est plus qu’une simple comédie potache en plongeant nos deux loosers eux-mêmes dans la fiction d’horreur balisée dont ils ignorent les codes, la sincérité de leurs réactions s’avérant aussi touchantes qu’amusantes.
Nicolas Zugasti
Bande-annonce de Tucker et Dale fightent le mal d’Eli Craig, en salles le 1er février 2012