Tandis qu’à Gérardmer, Nicolas Zugasti et quelques joyeux contributeurs assistent au défilé des bonnes et mauvaises surprises du festival du film fantastique, l’actualité cinématographique est aussi marquée, du côté du Québec (où la neige ne manque pas en ce jour de tempête) par la sortie en salles du thriller La Peur de l’eau, sympathique polar adapté du roman On finit toujours par payer de Jean Lemieux (paru aux Éditions de la courte échelle, spécialistes du genre). Partant d’une intrigue criminelle classique qui se réclame du whodunit traditionnel, le réalisateur Gabriel Pelletier livre au premier plan une galerie de portraits saisissants, tantôt sombres, tantôt drôles, et finalement drôlement sombres. Ce n’est qu’en toile de fond que se déploient les motifs inquiétants du meurtre à caractère sexuel et du trafic de drogue, esthétique brutale dans un paysage de carte postale où dominent l’image de la plage et des falaises balayées par le vent. La Peur de l’eau peut ainsi se (conce)voir comme un polar touristique, l’incursion du crime urbain dans un univers paisible, attrayant et curieux – original ne serait pas le mot, convenons-en – jeu d’opposition entre sauvagerie humaine et beauté de la nature.
Tout commence par la découverte du cadavre de Rosalie Richard (Stéphanie Lapointe, la gagnante de la deuxième édition de la Star Académie version québécoise, en 2004) la fille du maire des Îles-de-la-Madeleine. L’enquête échoit au timide agent de la Sûreté du Québec André Surprenant (Pierre-François Legendre en anti-héros attachant), un policier intuitif mais effacé, plus prompt à dresser des contraventions qu’à traquer un meurtrier. Il est secondé dans sa tâche par l’agent Geneviève Savoie (Brigitte Pogonat), une jeune flic affublée d’un appareil dentaire et au visage figé dans une perpétuelle expression de surprise – ses mimiques rappellent la shérif Marge Gunderson, interprétée par Frances McDormand, dans le Fargo des frères Coen. Assez vite, Surprenant collecte, sous l’œil admiratif de sa collègue, les indices qui viennent brouiller la piste initiale du meurtre commis par un psychopathe, et déterre de sombres histoires de drogue, de chantage, de conflits d’intérêt entre habitants des îles. En reconstituant patiemment – et aussi à partir de rumeurs, illustrées avec un sens de l’à-propos visuel – les événements, Surprenant se dote d’un nouveau regard sur sa communauté. Une auscultation que viennent compliquer l’hostilité à son égard de notables et/ou de délinquants locaux, et le parachutage du sergent-détective Gingras (Normand D’Amour, l’inquiétant « ange exterminateur » de 5150, Rue des Ormes), une « huile » de la police de Montréal rompue aux nouvelles méthodes d’investigation et de profilage criminel. Raillé par l’expert venu de la métropole qui le voit comme le représentant typique d’une « police de campagne », bousculé par ceux qu’il questionne et ébranlé dans ses convictions, Surprenant va transcender son manque d’assurance et vaincre sa phobie de l’eau pour mieux naviguer dans celles, troubles, de l’affaire Rosalie Richard…
Comme dans les bons vieux Miss Marple de Dame Agatha Christie – influence revendiquée par Gabriel Pelletier – La Peur de l’eau égrène ses révélations et fait ses preuves, à l’instar de son policier anxieux, au fur et à mesure d’un récit fluide sachant user, sans en abuser, de flashes-back inventifs et dynamiques (comme cet étonnant « raccord parfait » entre la scène de la reconstitution du soir du meurtre et la soirée originale, dans le bar où Rosalie a bu son dernier verre). Mais aussi, de vignettes brutales insérées dans la narration comme autant de ruptures de ton destinées à rappeler que par-delà les manèges verbaux (Surprenant ne cesse de marmonner des « excellents » et des « exact ») et les affectations de langage (confrontation ludique des accents), l’histoire reste celle d’une nature humaine éprouvée à l’aune des jalousies et des convoitises – exactement comme dans les Miss Marple où cette nature, disait la détective anglaise, « est partout la même » : on retiendra comme moment fort de mise en scène, le filmage du meurtre en plongée ce fameux soir fatidique, intensité d’une mort coagulée dans un bleu nuit profond cinglé par la pluie, comme dans les polars étasuniens les plus efficaces ; ou encore la sécheresse de la confrontation finale entre Surprenant et l’un des protagonistes de l’affaire, sur un bateau filant à toute allure vers les rives de la vérité et de la transfiguration de son personnage principal.
Tout en amenant, avec les tensions qui s’imposent, son récit vers la résolution d’une enquête primordiale pour la légitimité de son héros trop humain pour être iconique (même si, par son regard amoureux, l’agent Savoie tend à le sublimer), Gabriel Pelletier applique d’habiles coups de pinceau sur la toile. Cela, afin de livrer, plus qu’un simple polar, une peinture de caractères où, derrière le prétexte du « qui l’a tuée ? », pointent la parodie, l’humour noir et la satire grinçante de la condescendance de la grande ville et des mœurs parfois frustes de la campagne (crudités, indélicatesses et « on dit » à tout-va). Considérant que le réalisateur œuvra surtout pour les genres de la comédie (La Vie après l’amour en 2000, Ma tante Aline en 2007) et du fantastique (Karmina, 1996, comédie à effets spéciaux considérée comme culte dans la Belle Province, et sa suite, K2, en 2001), il n’y a là, a priori, rien de surprenant. Et pourtant, ça l’est.
Stéphane Ledien
> Film sorti en salles au Québec le 27 janvier 2012
> À lire prochainement : notre « brève rencontre » avec le réalisateur Gabriel Pelletier.
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