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Venus présenter l’anthologie The Theatre Bizarre lors du 13ème festival Extrême Cinéma de la cinémathèque de Toulouse, Richard Stanley, Fabrice Lambot et Jean-Pierre Putters se sont gentiment prêtés au jeu des questions/réponses. L’occasion de savoir ce que devenait le réalisateur sud-africain depuis son deuxième et dernier film, Le Souffle du démon datant déjà de 1992, d’en apprendre un peu plus sur sa passion, et de discuter de Theatre Bizarre, du cinéma de genre en France, sa difficile émergence, avec les duettistes de Metaluna Productions. Par contre, il ne sera pas du tout question de l’éviction de Stanley du plateau de L’Île du Docteur Moreau au profit de John Frankenheimer, votre serviteur ayant tout simplement omis d’aborder le sujet. De quoi mériter la lacération en place publique, on vous l’accorde. En attendant, place aux trois compères.

Revue Versus : Richard, d’abord, c’est un plaisir de vous retrouver derrière une caméra. Qu’avez-vous fait durant toutes ces années ?
Richard Stanley : Et bien, j’écrivais des scénarios à Hollywood. Ce n’était pas très satisfaisant mais cela payait les traites.
Comme j’étais plus intéressé par le surnaturel,j’ai décidé d’écrire l’histoire du château de Montségur. J’ai passé trois ans éloigné de toute cette industrie jusqu’à l’année dernière lorsque David Grégory m’a retrouvé.

Revue Versus : Depuis combien de temps vivez-vous en France et plus précisément dans la région Midi-Pyrénées ?
R.S : Quatre ans. Cela fait Quatre ans que je me suis installé dans la petite ville de Montségur.

Le château de Montségur

Revue Versus : Sur internet, en recherchant votre trace, j’ai vu que vous portiez un grand intérêt à la mythologie Cathare puisque vous avez tourné quelques documentaires sur la question. D’où vient cet intérêt ?
R.S : Je me suis rendu compte que les anglophones ne comprenait pas très bien cette histoire, aussi, j’ai commencé à m’intéresser à tout ce qui touche à l’Occitanie dont on retrouve beaucoup de traces dans les villes de la région et bien évidemment dans le centre de Toulouse. Cette mythologie est passionnante et je la considère d’un niveau égal à celle de la Terre du Milieu de J.R.R Tolkien. J’ai donc tenté de porter cette culture inconnue hors de France à l’attention des anglais et des américains. Et j’ai découvert des choses dans le sud de Montségur qui m’ont complètement perturbé et j’ai voulu en savoir plus sur ce qui était arrivé à l’époque.

Revue Versus : Et qu’est-ce qui vous a à ce point perturbé ?
R.S : J’ai réalisé qu’il y avait de nombreux points de cette Histoire encore incompris, mystérieux. Les Cathares ont été persécutés, ils ont trouvé refuge à Montségur pendant la croisade dont leur extermination a fait l’objet. C’étaient des pacifiques et on les a combattu avec une extrême violence et férocité. Ce qui était intéressant à l’époque était cette ancienne tradition païenne du culte de la déesse. J’aimerai vraiment un jour parvenir à faire un film sur un sujet aussi difficilement accessible. Pour moi, cela a trait aux origines de la culture gothique. Et puis, leurs connaissances quant au fonctionnement du monde – aussi bien d’un point de vue cosmique, astrologique qu’arithmétique – étaient grandes. Ils étaient d’une fascinante intelligence, plus que nous ne pouvons l’envisager.
Le premier documentaire que j’ai réalisé (The Secret Glory of SS Obersturmführer Otto Rahn) concernait Otto Rahn (officier SS qui mena plusieurs expéditions en Ariège à la recherche du Graal qu’il pensait trouver à Montségur. Personnage dont l’histoire inspira les premières et troisièmes aventure d’Indiana Jones – Ndr).

L’officier S.S Otto Rahn

Revue Versus : Hier soir, Scarlett Amaris, votre scénariste, a dit que l’histoire de The Mother of Toads vous avait été inspiré, voire dictée, par l’utilisation d’une planche de ouija. Est-ce également une planche de ouija qui vous a incité à venir vous installer dans le sud de la France ?
R.S : Non. Par contre, ce qu’a dit Scarlett est parfaitement authentique. Nous avions plusieurs idées pour le scénario et la planche de ouija nous a aidé à aboutir à ce qui allait devenir Mother of Toads. La plupart du temps, on passe beaucoup de temps sur l’écriture du script mais là, c’est allé extrêmement vite.

Revue Versus : Votre attirance pour l’ésotérisme existait-elle depuis toujours ou est-elle venue suite à vos recherches effectuées sur les cathares ?
R.S : Cela a toujours été, depuis mon enfance en Afrique où ma mère exerçait en tant qu’anthropologue. De par son travail, j’ai donc grandi dans un environnement de sorciers, un environnement où des choses magiques arrivaient. C’était devenu familier pour moi alors que pour un enfant normal se pourrait être effrayant. En Afrique, lorsque vous êtes blanc, on vous invective constamment sur le fait que ce n’est pas votre pays. Spécialement en Afrique du Sud. Aussi, je me suis rapproché d’une culture avec laquelle j’avais des affinités, à laquelle je pouvais connecter mon système de croyances.
Poster intrenational de l’anthologie The Theatre Bizarre

Revue Versus : Passons à vous Fabrice et Jean-Pierre. A quelle occasion vous êtes-vous rencontrés ?
Fabrice Lambot : Nous avons fait connaissance à l’époque où il écrivait son premier Craignos Monsters, en 1992, lors d’un de mes passages à Movies 2000. J’étais collectionneur de raretés en VHS, d’affiches, et je lui en avais proposé pour sa boutique. J’ai écourté la conversation pour aller jouer au tennis avec mon frère, ce qui a permis de révéler la passion de Jean-Pierre pour ce sport. De là est né notre amitié.

Revue Versus : Qui a eu l’idée de monter une boîte de production ou était-ce une décision commune ?
F.L : En fait, c’est moi qui ai eu l’idée. Au départ, c’était une association créée pour aider à faire mes courts-métrage. Et puis après, on a décidé de se lancer vraiment, mus par notre amour du cinéma de genre et parce qu’en France il y en a peu. On pensait avoir la capacité de le faire.

Revue Versus : Trouver les fonds pour produire vos films a-t-il été difficile ?
F.L : C’est difficile, oui, mais on y arrive.
Jean-Pierre Putters : On a obtenu différentes aides, pas seulement pour Theatre Bizarre.
F.L : Oui, il y a eu la région, les chaînes de télé, le CNC, les distributeurs, les plateformes de VOD.

Revue Versus : Vous arriviez, malgré tout, à susciter un certain intérêt ?
F.L : Maintenant ça va mais c’est vrai qu’au début, il faut arriver à se faire connaître. Actuellement, on a un projet de film chez Canal+ dont on attend la réponse, trois projets de « French Frayeurs » en développement, les préventes de Theatre Bizarre, etc. Le seul « guichet » devant lequel on a eu du mal, c’est le CNC qui reste réfractaire au financement du cinéma de genre. De tous les « French Frayeurs », il y en a eu un seul qui a bénéficié de l’avance sur recettes, c’est Djinns de Sandra et Hughes Martin car ils ont insisté sur le thème de la guerre d’Algérie.
J.P.P : Peut-être faudrait-il justement détourner l’objet du film pour obtenir gain de cause…
F.L : Oui, on ne peut pas se présenter avec uniquement l’envie de faire un slasher.
J.P.P : Regarde Le Pénitent (projet de court de Fabrice Lambot en attente de financement depuis plusieurs années – NdR), ce n’est pas un film de genre et pourtant le traitement s’en rapproche.
Metaluna Productions, c’est aussi un fanzine (ici la couverture du numéro 6)

Revue Versus : Sur Theatre Bizarre, comment est venu l’idée de faire appel à six réalisateurs d’horizons si différents ?
F.L : En fait, tout est parti de David Grégory qui voulait rendre hommage au Grand Guignol. On a commencé par discuter des réalisateurs à contacter. En premier lieu, Richard que David connaissait et savait qu’il résidait en France, à Montségur, depuis quelques années. Puis on a essayé d’amener sur le projet des réalisateurs français qui ont finalement tous refusés. Les réalisateurs d’Amer, Hélène Cattet et Bruno Forzani, ont longuement hésité avant de finalement décliner l’invitation, trop pris par le tournage de leur deuxième long. Nous étions déçus sur le coup mais il y aura plus de réalisateurs français sur le second opus de The Theatre Bizarre.
J.P.P : Il y en aura déjà au moins deux puisqu’ils bossent sur le même segment. Il s’agit d’Alexandre Bustillo et Julien Maury.

Revue Versus : Vous-même Fabrice, cela vous intéresserait de signer un sketch ?
F.L : Oui, peut être. En fait, j’avais surtout dans l’idée de réaliser le fil rouge du deux ou du trois. J’aimerai bien développer l’idée que j’ai pour ce fil conducteur. En plus, c’est toujours difficile de convaincre un réalisateur de le mettre en scène, c’est une partie assez ingrate, donc autant que ce soit moi qui m’y colle.

Le fil rouge du premier, réalisé par Jérémy Kasten, met en scène Udo Kier en monsieur loyal décrépi.

Revue Versus : Comment s’est passé la collaboration avec Richard et les autres réals ?
F.L : Cela s’est super bien passé car en fait, je les connaissais déjà pratiquement tous avant. Donc c’était un peu comme une réunion de famille. Et les autres réalisateurs qui sont venus étaient comme d’autres membres de cette famille puisqu’ils se connaissaient entre eux. Le dernier arrivé était Buddy Giovinazzo et cela faisait des semaines et des semaines qu’il nous disait qu’il voulait participer. Au départ, j’essayais de convaincre une réalisatrice française qui a finalement refusé. Du coup, on s’est naturellement tourné vers Buddy qui voulait tellement le faire.
Ce qui était bien, c’était l’entraide entre les réalisateurs. Karim (Hussain), en plus de son segment a été chef-op’ sur Mother of Toads et The Accident de Douglas (Buck). Douglas a monté trois segments, le sien, celui de Tom Savini, celui de Karim. Moi-même j’ai participé au fil rouge et à The Accident – une journée passée à bloquer la circulation sur la portion de route sur laquelle nous tournions. On s’est tous entraidés. Même Jean-Pierre qui a fait à manger à toute l’équipe de Mother of Toads.
J.P.P : Et dans des conditions épiques…
F.L : Oui, surtout sur celui-ci où j’ai accepté tout ce que Richard a demandé et l’on s‘est retrouvé à tourner dans des sites différents à chaque fois éloignés de quarante à cinquante kilomètres, parfois difficiles d’accès ou sans réseau téléphonique.

Revue Versus : Quelles étaient les contraintes imposées aux cinéastes ?
F.L : Déjà, une contrainte de durée, chaque segment devant faire entre dix et vingt deux minutes. Ensuite, il y avait la condition que chacun devait en plus être co-scénariste de l’histoire qu’il mettait en images. Et évidemment, il y avait un plan de tournage à respecter. On a rajouté seulement une demi-journée pour tourner la scène de la piscine de Mother of Toads.

Revue Versus : D’ailleurs, c’est à partir de ce moment dans le sketch que la bande son est constituée de croassements, de soupirs, rappelant Suspiria de Dario Argento. C’était un hommage conscient ?
R.S : J’ai plus travaillé le son pour rappeler Phenomena. Mais mon intention était avant tout de lier la mythologie occitane, H.P Lovecraft, Argento, bien sûr. Le titre Mother of Toads renvoie à son Mother of Tears. Le but recherché était une fusion de styles disparates. Et peut être parvenir à créer un matériel trop dangereux à regarder, une sorte de version DVD du Necronomicon de Lovecraft (petit rire malicieux).

Revue Versus : A propos de cet écrivain, seriez-vous intéressé par une adaptation de l’un de ses écrits ?
R.S : J’adorerais, notamment montrer des aspects peu illustrés de son œuvre. Tout ce qui touche à l’horreur cosmique de ses Grands Anciens.

Revue Versus : C’est finalement assez ironique, étrange même, que ce soit un réalisateur étranger qui s’intéresse à la mythologie française.
R.S : Oui. On connaît évidemment plus les mythes anglais tels Jack l’éventreur ou Sweeney Todd, largement exploités et représentés alors que Rennes le Château, par exemple, a fait l’objet de nombreux écrits sans que l’on s’y intéresse vraiment. L’histoire de Montségur est aussi fantastique puisqu’elle entretient des liens avec la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. En visitant certains lieux, j’ai pensé à Mario Bava, Kill Baby, Kill.

Kill Baby, Kill de Mario Bava

Revue Versus : Dans quelles conditions The Theatre Bizarre sera-t-il distribué ?
F.L : Il sortira normalement en DVD en avril chez Wildside. La sortie sera décalée s’il y a une exploitation en salles. On l’a envoyé à des petits distributeurs mais on travaille également à obtenir la carte de distributeur de manière à éventuellement le sortir nous-mêmes dans un tout petit circuit de quatre ou cinq salles.

Revue Versus : Concernant le segment de Karim Hussain, Visions Stains, la voix-off était-elle prévue dès le départ ? Je pose la question car le sketch aurait très bien fonctionné sans.
F.L : Beaucoup de gens l’ont fait remarquer. En fait, Karim avait décidé dès le début qu’il y aurait la présence d’une voix-off. Dans les premiers montages, elle était même encore plus présente et on trouvait justement que ça annihilait un petit peu ce que l’on voyait à l’image. Il la retravaillé et même réenregistrée en lui donnant un peu plus de vie parce qu’elle était encore plus monotone. Mais c’était vraiment sa volonté de produire un détachement par rapport aux images. Nous sommes très contents du résultat mais effectivement, de nombreuses personnes nous ont dit que ça marcherait toujours, même sans. Je ne sais pas. Peut-être…

Revue Versus : L’anthologie est un genre à part entière dans le cinéma d’horreur. Etiez-vous attiré par cet aspect ou avez-vous simplement saisi l’opportunité offerte par David Grégory ?
F.L : Je ne suis pas du tout un fan d’anthologie. En général, on aime certaines parties plus réussies que d’autres mais on arrive jamais à atteindre une certaine homogénéité qualitative.
J.P.P : Il y a des exceptions. Tales from the Darkside, je pense.
F.L : M’ouais. Mais par le concept même, il est toujours difficile d’avoir quelquechose d’égale qualité. Avec The Theatre Bizarre, ce qui est drôle, c’est qu’à chaque vision, je l’ai maintenant vu une quinzaine de fois, ce ne sont jamais les mêmes que je préfère ! Ce qui m’intéressait vraiment, au départ, c’était de travailler avec des personnes que l’on connaît déjà, en famille. Et pour le second, les réalisateurs avec lesquels on va collaborer font plus ou moins partie, eux aussi de la famille. Le challenge étant de réussir à dégager une certaine cohérence, une thématique, de l’ensemble. Je pense vraiment que sur The Theatre Bizarre nous y sommes parvenus.

Revue Versus : D’autant que, comme J.P.P le faisait remarquer lors de la présentation du film au public, il y a cette objetisation de l’homme qui transparaît vraiment.
F.L : ça n’a pas été voulu, c’est vraiment arrivé un peu par hasard. On s’en est rendu compte lors du montage même si c’était déjà présent au moment de la réception des scénarios. Et c’est aussi pour cela que l’agencement a été difficile. Notamment pour les segments I Love You de Buddy et Sweets de David qui ont pratiquement le même point de départ, une femme quitte son compagnon, même si le traitement diffère largement. C’est vrai que la femme est très présente dans chaque sketch.
J.P.P : Ce n’est pas tellement qu’elle soit présente, c’est surtout qu’elle détient le pouvoir.
F.L : Exactement et c’est aussi cela qui est intéressant car cela donne une unité à cette anthologie.

Revue Versus : Pour celle-ci, c’est donc venu par hasard mais est-ce que pour les prochaines, vous allez essayer, peut être pas de dégager une thématique commune mais au moins un fil directeur, même ténu ou ce sera vraiment selon la liberté de chacun ?
J.P.P : Ce serait intéressant d’en tenir compte pour les prochaines, oui.
F.L : Non, je ne pense pas. Un moment, on avait parlé d’imposer un thème en demandant à chacun de réaliser sa version de la même histoire. Pas sûr que cela aurait été intéressant. Je crois qu’il faut les laisser envoyer leurs scénarios, on verra par la suite.
J.P.P : Oui mais je crois qu’il faudrait dégager assez tôt un point commun, cette spécificité qui a été cette fois-ci involontaire. Sans vraiment imposer quoi que ce soit mais c’est un élément à ne pas négliger.
F. L : Je ne sais pas. Je pense que cela découlera des histoires que l’on nous enverra.
J.P.P : Dans Mandragore, le court de Fabrice Blin présenté en ouverture de la soirée, le rôle principal est une femme également…
F.L : D’ailleurs, ce qu’il nous a le plus manqué sur le premier, c’est une réalisatrice.

Revue Versus : J’ai remarqué au générique que Pauline Pallier était monteuse sur certains segments. Elle a réalisé des courts-métrages, des documentaires, Docteur Gore notamment (présenté l’année dernière lors de la 12ème édition d’Extrême Cinéma – NdR). Est-ce que cela l’aurait intéressé ?
F. L : Oui mais l’une des conditions pour participer est d’avoir tourné un long-métrage. Pour les prochains, on a vraiment envie qu’il y ait une femme. On a pris contact avec certaines. De même, on avait émis l’idée de constituer entièrement une anthologie avec uniquement des réalisatrices. Je serai plutôt pour mais Severn Film, la boîte de prod’ de David, moins car on pourrait nous reprocher de les enfermer, les mettre à l’écart.

Merci à Richard Stanley, Fabrice Lambot et Jean-Pierre Putters pour leur disponibilité. Et merci à Clarisse Rapp pour les photos et tout le reste ainsi qu’à toute l’équipe d’organisation.

Et pour en savoir un peu plus sur la passion qui anime Jean-Pierre Putters, direction le strapontin de la dame en rouge.

Propos recueillis et traduit par
Nicolas Zugasti

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