Quinze après le premier Scream lancé, Wes Craven tente de réactiver avec Scream 4 (DVD dispo depuis le 05 octobre 2011) une franchise plombée dès la première séquelle mais le réalisateur s’avère incapable d’ausculter intelligemment le genre. On peut d’emblée présumer de la faillite de l’entreprise sans avoir vu une seule image puisque la promo du DVD propose comme phrase d’accroche « 10 ans après, la peur retrouve son vrai visage ». Seulement, il y a dix ans, il était question du pitoyable Scream 3 qui se fourvoyait déjà dans une redite insensée et faussement virtuose des éléments séminaux de la saga. Pas vraiment ce que l’on peut considérer comme un modèle à reproduire ou exploiter. Pourtant, c’est précisément dans cette direction que va s’élancer Scream 4, alors qu’il y avait de quoi faire un film autrement plus passionnant.
L’idée de revisiter la franchise à l’aune de la nouvelle génération fan d’horreur et des nouveaux codes qui en ont découlé, tout en questionnant l’évolution de ses personnages emblématiques (Sydney, Gale, Dewey) était vraiment intrigante, malheureusement, sa réalisation dévoile une réflexion postmoderne pataude et complètement dépassée.
Et cela commence dès la première séquence où Craven se lance dans un peu subtil jeu de poupées gigognes voyant s’emboîter les uns dans les autres les extraits de plusieurs séquelles de Stab, la fiction dans la fiction apparue dans Scream 2 et adaptant le livre de Gale Weathers relatant les évènements du premier Scream. Une mise en abyme censée démontrer la maîtrise de Craven sur son œuvre et les interactions de sa narration mais qui ne fait que souligner sa platitude, son incapacité à se renouveler et à porter un regard pertinent sur l’évolution du genre. Parce que pour Craven, le fleuron représentatif de l’horreur actuelle se nomme Saw et ses suites et plus généralement la mouvance dit du torture porn ou les remakes de classiques du genre. Il limite d’emblée la portée de son semblant de réflexion en n’intégrant pas à son corpus des films à la violence plus malsaine et brutale comme ceux de Rob Zombie (The Devil’s Rejects, Halloween 1 et 2), The Descent de Neil Marshall ou La Colline a des yeux d’Alexandre Aja (remake enterrant l’original signé…Wes Craven), sans parler de la vague d’horreur asiatique mêlant préoccupations existentielles et une ambiance anxiogène. Au lieu de travailler le rapport de Scream avec ces films qui, eux, reviennent à une horreur plus viscérale, moins rigolarde (ou cynique), il préfère s’intéresser au tsunami post-Scream justement. Et le peu qu’il a à dire sur le genre se limite à un retour vers une horreur plus parodique et que la copie ne vaudra jamais l’original. Effectivement, cela valait le coup de revenir à Woodsboro dix ans après Scream 3.
La volonté affichée par Craven est de se livrer à un remake de Scream, il fait revenir toutes les personnes emblématiques de la franchise, des interprètes (Neve Campbell, Courteney Cox, David Arquette) à son scénariste, Kevin Williamson, et se confronte à un nouvel environnement technologique (portables, blogs, vidéos mises en ligne, facebook, etc.), soit déterminer si un tel projet est soluble ou non dans les réseaux sociaux. Mais cela n’aboutit à aucune réflexion ou du moins dramatisation de cette nouvelle donne puisque les comptes facebooks, la caméra vidéo « vissée » sur le crâne d’un des protagonistes, les sonneries anxiogènes des smartphones et tout le reste ne serviront qu’à un vague décorum presque totalement déconnecté des ramifications de l’intrigue, n’engendrant aucun nouvel enjeu, aucune nouvelle terreur. Pire, le projet du nouveau tueur au masque de pleureur de rejouer les scènes marquantes de Scream et les monter pour une diffusion sur le net ne sera que rapidement évoqué (on peut même dire carrément balancé !) dans la dernière bobine, au moment des justifications d’usage. L’intention était excellente et aurait pu déboucher sur un film qui opposerait pertinemment les générations qui se télescopent dans le film en soulignant la prégnance des images comme évolution majeure de leurs différences. Mais non, Craven en fait un slasher qui tente d’être plus malin que la moyenne en dissertant sur la nouvelle vague de l’horreur. Enfin, une partie. Pour le coup, Wes Craven a vraiment réussi son coup et livré un vrai remake de son premier film : dévitalisé, stupide dans sa surenchère et sa volonté de revisiter les éléments constitutifs de la franchise.
Et n’oublions pas d’évoquer les jumpscares d’une débilité affligeante et le personnage de Trévor qui dans le genre fausse piste que l’on charge un max pour attirer les soupçons et détourner l’attention, était plutôt gratiné, terminant de faire de Scream 4 un film aussi inepte que vain.
Finalement, ce qui effraie le plus est de voir le réalisateur se contrefoutre totalement de son sujet puisque les innombrables auto-citations transforment rapidement le film en véritable parodie digne des derniers Scary Movies. Surtout, Craven, comme Lucas avec sa saga intergalactique, semble prisonnier de la franchise qui lui a ouvert les portes de la renommée publique mais l’a dans le même temps enfermé dans un genre qu’il n’avait abordé dans les années 70 que par défaut (à l’époque l’horreur et le porno étaient les deux genres les plus accessibles aux apprentis réalisateurs sans le sou). Scream 4 pourrait être envisagé comme une mise à mort inconsciente et à laquelle le réalisateur ne peut totalement se résoudre. A ce titre, soulignons que le seul enjeu intéressant est celui consistant (pour le tueur, extension filmique de Craven) à tuer Sydney, à s’en débarrasser définitivement pour passer à autre chose. Or, cette dernière s’avère aussi increvable que la figure du mal ultime qu’est Michael Myers. Mais Craven n’aborde précisément et justement ce point que dans le climax.
Et puis, le cinéaste ne se montre capable que de figurer des amorces de réflexivité. Alors par des répliques ampoulées déclamées par Dewey, Gale et Sydney il tente de redonner une facture plus mature à son entreprise et va même jusqu’à convoquer l’ombre tutélaire du grand Hitchcock. C’est sans aucun doute cette référence qui rend l’entreprise totalement risible. Car franchement, cette tentative de faire une version de Fenêtre sur cour pour ado est complètement à côté de la plaque et s’impose de manière particulièrement pachydermique. On aperçoit ainsi un poster bien apparent du film dans la chambre de la cousine de Sydney, une inscription voyante sur le tableau derrière les geeks de seconde zone tenant le club vidéo du lycée (difficile de ne pas remarquer cette prestigieuse référence), sans parler du personnage de la blondinette nommée Marnie dans la séquence poupée russe du début, pour bien montrer que les influences sont autrement plus respectables. En tout cas, cette référence à la limite de l’ingérence donne, au final, la scène la plus intéressante du film voyant Kirby (Hayden Pannetière a bien « mûri » depuis Heroes !) et Jill observer impuissantes, à travers la fenêtre, le meurtre de leur copine dans la maison d’en face. Intéressante parce que seule Sidney réagit immédiatement en se précipitant de l’autre côté, soulignant plutôt pertinemment des modes d’action différents séparant ces générations.
Scream 4 est un ratage vraiment dommage car l’idée de ramener Sydney sur les lieux maudits de son adolescence et de la confronter à un traumatisme encore très prégnant laissait augurer d’une certaine puissance narrative. Mais Craven ne la traite que du bout de la caméra, s’activant principalement autour de la nouvelle génération (la propre cousine de Sydney – décidément, on en sortira jamais de cette famille – et ses copains). Or, c’est justement dans le traitement de ce statut de victime que le film aurait pu décoller en proposant une approche nouvelle. Mais pour ce genre de réflexion et de dramatisation inédite, mieux vaut se tourner vers le Halloween 2 de Rob Zombie dans lequel il s’intéresse aux conséquences, sur la pauvre Laurie Strode, des évènements décrits dans sa version du film de Carpenter. Mais Zombie n’a pas l’aura (surestimée) de son aîné et ce film se contentera d’une sortie DVD en catimini.
Certes, on pourra louer qu’avec Scream 4, Wes Craven démontre une fringante capacité à tourner en dérision son propre travail et le genre, mais la vision du produit fini ne fait qu’entériner le fait que Craven se moque avant tout de son public.
Nicolas Zugasti