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Sans prétendre que le résultat aurait été meilleur ailleurs, notons pour commencer que De bon matin souffre de maux typiquement français : mise en scène asthmatique, comédiens à l’avenant, scénario faussement original derrière des clichés bien-pensants. Ce scénario, pourtant, est prometteur, et surtout d’actualité. Jean-Pierre Darroussin campe Paul, un employé de banque en fin de carrière, poussé petit à petit par une direction plus jeune, vers la sortie. Jusqu’à ce (bon) matin où il se rend au travail et y abat son nouveau boss (Xavier Beauvois) ainsi que son associé (Yannick Renier), avant de se retrancher dans son bureau et de se remémorer ce qui l’a poussé à en arriver là.

De bon matin est ainsi, en premier lieu, un exercice d’écriture raté. Epaulé au scénario par Olivier Gorce et Sophie Fillières, Jean-Marc Moutout tenait pourtant une idée plaisante, presque versusienne. L’idée de vouloir s’en prendre aux banques, et à ceux, qui dans celles-ci, exploitent les plus faibles, était intéressante et se nourrissait en même temps de la réalité. Combien d’employés de bureaux ont récemment exprimé leur désarroi quant à leurs conditions de travail détériorées par la faute d’un renouvellement des managers, souvent jeunes et obnubilés par les profits et leur réussite propre ? Combien d’entre eux, comme la plupart des Français, se sont-ils faits berner par les cours de la Bourse, la crise de 2008, et celle en cours ? Dans le microcosme du monde de la banque, De bon matin trouve un terreau propice à remuer un malaise contemporain. Mais une fois les meurtres commis, le film s’enlise dans une structure en flashbacks qui décline les ingrédients qui ont poussé Paul à passer à l’acte.

L’exercice d’écriture est raté dans la mesure où De bon matin se relève difficilement de sa puissante scène d’ouverture. S’en suit un déroulé convenu et didactique sur le quotidien d’un homme qui se détériore petit à petit. Avec, comme passage obligé du « genre », la contamination de la cellule familiale. L’ambiance froide du film semble faire appel à Haneke, mais quelques maladresses tirent définitivement le métrage vers les normes du téléfilm. Que le personnage de Paul nous soit sympathique (au-delà de la lutte qu’il engage contre ses patrons), c’est une chose. Qu’il faille l’idéaliser en faisant de lui et sa femme un couple accueillant dans leur famille un jeune africain, après avoir séjourné à de nombreuses reprises en Afrique (Moutout ne nous épargnant pas l’album photo où l’on découvre Paul, fournitures scolaires à la main devant une école), demeure un choix, au final, plutôt compliqué à assumer. Comme s’il fallait forcer le trait du personnage et souligner que tous les banquiers ne sont pas mauvais, et qu’ils ne méritent pas tous d’être mis au ban de la société sous prétexte que les règles ont évolué…

On ne saura, par contre, reprocher à Moutout d’aller fouiller là où le cinéma français s’aventure très rarement, dans le monde de l’entreprise. Son premier long-métrage, Violence des échanges en milieu tempéré, s’attaquait déjà, frontalement, aux dérives libérales de notre monde. Moutout suit à la trace les derniers signes d’humanité dans ces entreprises profiteuses. Le personnage qu’incarne Darroussin est un vieux de la vieille, une espèce en voie de disparition. Dans sa mise en scène, le cinéaste enferme son personnage dans un univers froid, blanc, où les baies vitrées jouent leur importance comme pour imposer un manque de transparence dans les relations humaines. C’est la baie vitrée du bureau où Paul s’enferme, comme celle de sa maison, depuis laquelle il observe, de dehors, sa femme et son fils. Le travail sur les décors étant sans doute la part la plus réussie de la direction artistique du film. Et de ces mêmes décors viennent aussi les meilleures idées de scénario, bien qu’un poil didactiques elles aussi. Comment mettre en scène la lente agonie professionnelle d’un homme autrement qu’en soulignant qu’à chaque bataille perdue avec le patronnat, Paul perd de son intimité sur son lieu de travail (passant d’un bureau dans une pièce où lui seul travaille, à un open-space où il n’est plus qu’un employé parmi tant d’autres) ?

Si Moutout arrive à retranscrire et dénoncer avec force et justesse ces injustices des temps mordernes, il peine malheureusement à rendre son discours passionnant. La faute à une mise en scène le plus souvent impersonnelle (malgré quelques piqûres oniriques et un chouia fantastiques, mais dans les deux cas, toujours vaines), à des comédiens rarement dans le bon ton et souvent dans la récitation. Et surtout, donc, à ce scénario sclérosé, dont le poids de la critique qu’il fait du monde des banques d’aujourd’hui, n’est rien d’autre que pesant. Si c’est bien l’effet recherché par Moutout, on regrette que cette pesanteur rime ici davantage avec ennui qu’avec malaise.



Julien Hairault

Le film sort en salles le 5 octobre 2011 en France.

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