Bref retour en arrière entre deux projections du FCVQ. Samedi 24 septembre, c’était au tour du réalisateur et directeur de la photographie originaire de Québec Jean-Claude Labrecque d’accorder au public une classe de maître, après celle, la veille au soir, de l’incontournable Larry Clark (lequel était présent dans la salle). Une véritable leçon de technique cinématographique accompagnée de quatre courts-métrages datant des débuts du bonhomme à l’Office National du Film du Canada, comme chef-opérateur / caméraman puis comme réalisateur. Projetés dans le désordre chronologique, ses réalisations (ou co-réalisations) d’abord, ses contributions photographiques à des films livrés par de grands cinéastes québécois ensuite (ici Gilles Groulx pour qui il éclaira aussi l’emblématique Chat dans le sac), ses travaux révèlent un style visuel de haute tenue, signature élégante et alerte d’où ressort aussi un goût prononcé pour l’innovation et pour la maniabilité des images. Une culture de l’expérimentation que Labrecque confie avoir acquise dès son entrée à l’ONF (dans les années soixante), alors lieu de bouillonnement et de créativité.
C’est de cette avant-garde et de ces recherches stylistiques dont témoignent les quatre courts programmés en début de séance.
60 Cycles, seconde réalisation de Labrecque, est un documentaire sur la course cycliste du Tour du Saint-Laurent. En observateur avisé des techniques de retransmission télévisuelle de ce sport mais soucieux d’aller plus loin, Labrecque fait entrer son sujet dans le cadre cinématographique au lieu de plier sa technique à celle induite par le cyclisme. Son court-métrage est ainsi l’occasion d’exprimer une grande mobilité de l’image, établissant un parallèle naturel entre la compétition et son filmage. Travellings au plus près des coureurs, plongées vertigineuses, contreplongées audacieuses (l’objectif se substitue à la route en toute fin de film), cadrages elliptiques qui renforcent l’aspect aérien de la course (les cyclistes apparaissent et défilent en haut d’une côte, sans qu’on voie les roues toucher terre) : 60 Cycles est un exercice de style fonctionnant comme une boucle et où brillent aussi le portrait touchant de sportifs se donnant à fond (on garde en tête ces chutes et déceptions des plus malchanceux, mais aussi le sourire éclatant de ce cycliste que la caméra côtoie quelques minutes avant de remonter le cortège).
Documentaire sur la beauté et la diversité des paysages canadiens, Canada, pays vaste prolonge le propos technique de 60 Cycles : plongées impressionnantes, expérimentation poussée du grand angle et des panoramiques, filmage risqué (ce plan survolant de près — en hélicoptère — le train à Calgary et qui valut à Labrecque d’être attendu par la police à l’atterrissage). En quelques minutes, Labrecque rapproche la variété des climats et des décors naturels du pays à la mixité des techniques cinématographiques déployées. Un avant-gardisme de rigueur pour une réalisation destinée au pavillon du Canada à l’exposition universelle d’Osaka en 1970 (projection triangulaire).
Plus classique, Mémoire en Fête, réalisé par Léonard Forest en 1964, retrace l’histoire du séminaire de Québec. C’est à la fois une photographie contrastée, vivante, des lieux au moment du troisième centenaire de leur fondation, et un éclairage plus feutré de ce qu’ils furent au XVIIIe siècle. Une certaine illustration de la survivance propre au Québec, où rusticité et culture forment un tout inaliénable.
Réalisé par Gilles Groulx la même année, Un jeu simple s’intéresse au hockey et à l’équipe des Canadiens de Montréal. Devenu un classique du patrimoine cinématographique québécois, Un jeu simple dresse le portrait de véritables héros sportifs nationaux, le légendaire Maurice Richard en tête, lequel fut expulsé des séries éliminatoires par le président de la LNH après avoir frappé un arbitre en 1955. Entre captation en couleur des mouvements des joueurs sur la glace et acclamations de la foule saisies en noir et blanc, moments de jeu mémorables mais aussi tragédie (la blessure au cou du hockeyeur Lou Fontinato, les émeutes de mars 1955 suite à l’expulsion de Richard), Un jeu simple introduit une dimension spectaculaire dans le regard documentaire. C’est aussi un champ d’expérimentation dans le mariage des pellicules, puisqu’il était alors impossible d’étalonner ensemble couleur et noir et blanc.
Technicien hors pair, Jean-Claude Labrecque s’est montré aussi pointu que synthétique sur les questions de foyer, de focales, de lumière et de chimie de l’image cinématographique. Sa classe de maître, si elle fut parfois un peu trop circonscrite à la technique, permit de mesurer l’excellence de la facture du cinéma québécois des années 60. Une signature visuelle rehaussée d’histoires d’hommes et de rencontres, comme cette fois où, visitant Cinecittà, il se retrouva dans un studio voisin à ceux où tournaient chacun à part, Fellini, Antonioni et John Huston ! Définitivement, une rencontre au sommet.
Stéphane Ledien
Le Chat dans le sac, film de Gilles Groulx (1964) photographié par Jean-Claude Labrecque