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Projeté hier soir samedi 25 septembre au Théâtre du Petit Champlain transformé pour l’événement, comme le palais Montcalm, en salle de cinéma — d’ailleurs bien agréable même si ses capacités d’accueil sont limitées — , Sunflower Hour du Britanno-Colombien Aaron Houston faisait l’ouverture de la section « expérience(s) » du FCVQ. Et quelle ouverture ! Excellente comédie inventive et parfaitement rythmée, Sunflower Hour adopte la forme du « documenteur », ces faux documentaires dont les meilleurs exemples restent aujourd’hui encore Spinal Tap et Belles à mourir. Sauf qu’ici, il n’est pas question d’un groupe de rock mais de marionnettistes plus ou moins doués, tous en lice pour devenir le nouvel animateur d’une émission canadienne pour enfants de type « Rue Sésame », « Sunflower Hour », produite par un ancien roi du porno inventeur de la double pénétration à l’écran et reconverti depuis dans ce qui constitue, à ses yeux seulement, la suite logique de sa carrière ! Cynique et peu scrupuleux, ce producteur traite sa femme comme une moins que rien. Laquelle gère les castings et, pour damer le pion à son odieux mari, choisit comme candidats potentiels quelques-uns des plus extravagants et des plus illuminés de tous les acteurs et artistes à la petite semaine défilant dans son bureau pour décrocher le fameux rôle. Il y a là David, le timide et maladroit maladif, seul doué de la bande malmené par sa famille ; le moraliste de droite Leslie, fils de révérend qui compte se servir de sa marionnette pour faire passer ses messages homophobes ; l’ado gothique qui se fait appeler Satan’s Spawn et se verrait bien mettre à sac l’émission ; Shamus, le doux dingue qui pousse un peu loin le culte de ses origines irlandaises et ne s’est jamais séparé de sa marionnette Jerry depuis l’enfance. Une belle brochette de personnages déphasés qu’une équipe documentaire suit à la trace, le temps que le producteur décide lequel des quatre sera l’heureux élu.

Brillamment écrit et interprété et maniant un humour qui n’hésite pas à taper en-dessous de la ceinture, Sunflower Hour — que le public du Festival international de cinéma de Calgary (CIFF) découvrait aussi de son côté ces jours derniers — conserve sa vigueur sur toute sa durée : 90 minutes de comédie pour adultes qui n’affichent aucune baisse de régime et se paient le luxe de surprendre le spectateur à chaque séquence. Les situations loufoques s’enchaînent, où l’hypocrisie du « politiquement correct » canadien comme celle du show-business se trouvent épinglées. Partant d’un concept original, Aaron Houston double le défi comique d’une contrainte technique, véritable gageure narrative : raconter son histoire du point de vue de l’équipe chargée de réaliser le documentaire sur les coulisses de l’embauche du nouvel animateur. Ce choix de mise en scène pourrait facilement sombrer dans l’artifice mais Houston assume le côté absurde des situations filmées (David gravement chahuté par ses frères, les regards ironiques de la mère de « Satan’s Spawn » sur sa fille, les reproches de la femme de Leslie à son époux qu’elle juge passif) et, sans cultiver l’ambiguité entre fiction et réalité, renforce au contraire l’aspect ludique de son entreprise. Le style documentaire, caméra à l’épaule et tournage léger, permet de s’immiscer dans l’intimité la plus extrême des personnages, tout en faisant entrer dans le champ un autre protagoniste participant à la dynamique de la comédie et rompant avec l’idée d’une captation objective : le réalisateur du documentaire lui-même, que Satan’s Spawn ne cesse de bousculer après qu’il l’ait appelée par le prénom qu’elle déteste plus que tout. Deux strates d’humour se chevauchent ainsi et interagissent, pour le plus grand bonheur du spectateur.
L’autre force du film vient de la caractérisation que crée Houston via la caméra de son faux documentariste : chaque personnage se double d’une seconde incarnation, celle de la marionnette qu’il s’est choisie pour décrocher le poste d’animateur du show pour enfants. À ce titre, Shamus s’avère le plus hilarant et le plus fascinant, un savant jeu de champs / contrechamps entre l’homme et sa marionnette nous faisant entrer dans la tête de cette personnalité dédoublée dont l’issue identitaire se révélera là aussi très drôle. Manipulant (comme pour les marionnettes…) avec classe le mauvais goût, les blagues salaces et les idées sexuelles gentiment débridées, Sunflower Hour est l’archétype du film de festival qui, en une projection, rehausse l’enthousiasme d’une programmation officiellement ouverte avec des produits calibrés mais pompeux (voir Café de Flore). Aaron Houston a signé là un film à mourir de rire, un vrai.



Stéphane Ledien

Une réflexion sur “« Sunflower Hour » de Aaron Houston (ouverture de la section « expérience(s) »)

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