Jusqu’ici, les cinéastes habitués de la Croisette avaient fait preuve d’un certain professionnalisme, nous offrant à chaque fois (du moins pour ceux dont on attendait vraiment quelque chose – à la différence de Dumont, il ne faudrait pas qu’il y ait méprise !), un film de qualité, relevant bien souvent le niveau général de la sélection dans laquelle il concourait. C’était le cas de Moretti, de Malick (nous tenterons de revenir dessus rapidement, mais écrire sur ce film-somme n’est pas évident, et enchaîner les projections n’aide pas à l’analyse d’un seul film), ou de Van Sant à Un Certain Regard. De Kaurismäki, on espérait un petit vent de folie venue du Nord, un petit film tendre et poétique comme il sait les faire, avec un sens du décalage à chaque fois salutaire. Quelle ne fût pas notre déception devant ce qu’il faut bien appeler un désastre.
Les longs applaudissements nourris à la fin de la projection de Le Havre, le dernier film du Finlandais, laissent pourtant perplexe. D’abord parce que le film ne semble pas les mériter. Ensuite, parce que cela trahit un aveuglement de la part d’un public cannois qui se complaît à ne pas demander autre chose d’un cinéaste que ce qu’il fait depuis le début de sa carrière. Car Le Havre est balisé de son premier à son dernier plan, avec comme point d’orgue cette sophistication typiquement Kaurismäkienne de faire « sous-jouer » les comédiens. Alors quand ceux-ci s’expriment dans une langue différente (le français) de celle du cinéaste, il suffit de quelques minutes pour contempler l’ampleur du naufrage et les limites de cette non direction d’acteurs totalement risible et ringarde.
Ringard, le terme sied plutôt bien à ce film naïf comme le sont tous les films de Kaurismäki. Et Le Havre est aussi bien-pensant que ne pouvait l’être la veille le film de Nadine Labaki (Et maintenant on va où ?). L’histoire, c’est celle d’un cireur de chaussures (André Wilms, dont le personnage est le seul à avoir un minimum de consistance), qui recueille chez lui un petit Africain clandestin. Alors que la police est à ses trousses (Darroussin dans son imper noir qui n’exprime rien), le quartier, qui nous fait l’effet d’une France vieillotte et rance (la femme du cireur s’appelle Arletty ! – pauvre Kati Outinen qui lutte pour sortir dans son mauvais français des répliques de l’ordre : « Oh regarde, le cerisier est en fleurs ! ») – qui passe son temps entre la boulangerie et le bistrot du coin, se met en quatre pour sauver l’enfant et le faire partir vers Londres où il retrouvera sa mère. Il y a dans les dialogues des allusions directes à l’actuelle politique de reconduite aux frontières du gouvernement Fillon, mais ni mise en scène, et tout simplement énoncées comme telles, ces situations n’offrent rien d’original au métrage, si ce n’est un discours politique convenu qui ne s’adresse d’ailleurs qu’à des convaincus. Nous sommes ici dans un conte, certes, mais cela n’excuse en rien la pauvreté générale d’un script couru d’avance.
Car Le Havre est tout sauf un film courageux. D’aucuns argumenteront que le film est poétique, et que son charme, désuet, ne peut que plaire. Mais qui peut marcher dans cette combine qui consiste à refuser d’insuffler du rythme dans un récit aussi caricatural et mal fagoté (mis à part le soin porté aux décors, la mise en scène se réduit à poser la caméra et à mettre les comédiens devant) ? Apparemment les 2000 spectateurs du Théâtre Lumière sont tombés dans le piège lors des trois présentations du film ce mardi. On se sent alors bien seul à vouloir souligner que Le Havre, de notre point de vue (enfin du mien) a plus à voir avec une négation pure et dure du cinéma, qu’avec le conte poético-social qu’il prétend être. Et le pire, c’est qu’on a tout juste décroché un seul sourire, pour une blague qui dans un autre film, serait sans doute passée inaperçue. Ça en dit long du caractère anachronique et sans intérêt de l’entreprise.
Julien Hairault
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