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Troisième film français en compétition de ce Festival de Cannes, L’Apollonide de Bertrand Bonello était précédé, à l’instar de Sleeping Beauty, d’une réputation sulfureuse. Et pour cause, l’action de ce film se passe dans une maison close au tournant du vingtième siècle, où une dizaine de jeunes femmes vendent leurs charmes à de riches parisiens, le tout sous la direction de la maîtresse des lieux : « Madame », interprétée par la toujours rayonnante Noémie Lvovsky. Le film est une plongée presque en apnée dans ce milieu, à l’exception d’une rafraîchissante scène d’extérieur où le groupe s’échappe à la campagne pour se détendre. Pour le reste, Bonello filme donc l’envers du décor, les coulisses du plus vieux métier du monde. Sa caméra se perd avec une certaine volupté dans les couloirs et les chambres de cette maison cossue qui abrite des travailleuses. Avec beaucoup de respect et de politesse, le cinéaste filme le quotidien de ces jeunes femmes qui s’entraident et vivent ensemble dans la joie, comme dans les peines.

Mais Bonello ne s’arrête pas là, malheureusement. Car si « l’ambiance » de son métrage a de quoi fasciner, grâce notamment à une mise en scène chiadée et une lumière magnifique, le réalisateur de De la guerre ne peut pas s’empêcher de tomber dans le piège du « film français auteurisant », accouchant ainsi de clichés au mieux amusants, au pire complètement grotesques et déplacés (du sperme qui sort par les yeux de l’une des prostituées… on vous laisse imaginer la scène) ; de même que l’utilisation d’une musique pop et donc anachronique à l’intérieur même de la maison laisse quelques séquelles dommageables sur notre perception du métrage. Car Bonello tient là un sujet en or, qu’il gâche donc par endroits à force de frimer, de nous montrer combien il sait filmer, composer un plan, et demander le meilleur de ses comédiens. Tous ici sont parfaits, d’Adèle Haenel et Hafsia Herzi chez les filles, en passant par Louis-Do de Lencquesaing et Xavier Beauvois pour les clients, représentants d’une bourgeoisie décomplexée. La vraie réussite de L’Apollonide réside d’ailleurs dans le discours que le film porte sur les mœurs de notre société, celle d’il y a un siècle comme celle d’aujourd’hui.

Deux scènes importantes viennent souligner cet ancrage social et même politique du film. La première, réellement critique envers le discours ambiant d’aujourd’hui, met en scène un client qui récite les conclusions d’un travail d’anthropologue qui conclut que la taille de la tête des prostituées est comparable à celles des criminels, et donc inférieure à la taille moyenne d’une personne « saine ». Bonello, consciemment ou pas, signe là un véritable manifeste filmé de la prostitution, idée entretenue par les beaux décors de la maison close, et l’Humanité qui s’en dégage. Dès lors que cette idée se propage dans la maison, les conditions de vie des jeunes femmes vont se détériorer. Alors que le récit touche à sa fin une fois que la maison close ait mis la clé sous la porte, le cinéaste s’autorise une dernière séquence très contestable, qui vient appuyer de façon grossière tout ce qui avait été murmuré avant pendant près de deux heures. Ainsi les derniers plans du film proviennent de notre présent, du Paris d’aujourd’hui. Bonello y abandonne une image de cinéma pour celle, plus crasse de la télé. Il y filme un Paris qui vit dans l’urgence, avant de laisser au spectateur comme dernier plan, celui de prostituées faisant le trottoir au bord de la route… bien loin de la sérénité et du confort des maisons closes d’antan.

De ce film inégal qui met deux heures à souligner que d’un tournant de siècle à l’autre, la prostitution est passée du rang de réconfort pour les nantis à celui d’activité criminelle et totalement fragile, découle une impression globale partagée entre le rejet d’une œuvre poseuse et frimeuse, et la beauté fulgurante de certaines scènes. Pas de quoi figurer au Palmarès même si dans le genre « porno chic », L’Apollonide reste malgré tout un cran au-dessus de l’Australien Sleeping Beauty, vu en début de Festival.

Julien Hairault

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