Quand la chaîne du câble américain AMC annonça voilà quelques temps déjà qu’elle lançait très officiellement un remake télévisuel du Prisonnier, série phare de la fin des années soixante pour laquelle le terme « culte » semble avoir été créé, on put lire ça et là deux types de réactions. Tout d’abord celle d’un public lambda n’ayant pas vu la série originelle, donc peu ou pas marqué par la saga. Ces spectateurs-là s’en foutaient un peu, attendant sans engouement particulier de voir ce qu’on allait leur offrir. Et il y eut la réaction des fans, des connaisseurs, des amoureux, ceux pour qui les dix-sept épisodes de l’œuvre matricielle forment un monument intouchable et indépassable. Voulue, créée, produite, scénarisée et réalisée en grande partie par Patrick McGoohan, alors mondialement connu pour son rôle de l’agent secret John Drake dans la série Destination Danger et qui s’adjugea au passage le rôle-titre, Le Prisonnier est forcément une œuvre à part.
Après les nombreuses rumeurs au cours des années passées sur la possible adaptation de la série sur grand écran (1), le serpent de mer cinématographique prenait finalement son essor sur l’étrange lucarne qui hante nos salons. Puis arrivèrent les premières informations : la série ne reprendrait pas le décor de l’original, préférant un nouvel environnement à la surexploitation d’un lieu devenu mythique (2), le numéro 2 serait le même tout au long de la série alors que ce rôle très symbolique se voyait incarné par un nouvel acteur à chaque épisode.
D’ailleurs cette nouvelle version n’en comptera que six, épisodes, rejoignant en cela la volonté première de McGoohan qui dut « rallonger » son œuvre plus qu’il ne le voulait afin d’en faciliter la vente (et donc la production même) aux Etats-Unis.
Des marques importantes de respect, une nouvelle vision et non une basse copie mercantile et servile, une actualisation d’un feuilleton qui fut en avance sur tout le monde.
Et puis avouons-le, lorsque l’on apprend qu’en plus l’unique numéro 2 sera joué par le grand Ian McKellen, quand même, on se dit que ça a de la gueule et ça rassure.
La série fut diffusée sur trois soirées à raison de deux épisodes par jour. Une « salve » du genre à marquer le coup et à attirer les spectateurs potentiels qu’il faut bien pouvoir arracher à leurs shows habituels. Le Prisonnier possède comme toute grande œuvre un rayonnement que les années n’ont pas su entamer et les plus réfractaires comme les plus curieux ne purent facilement résister à l’envie de voir enfin ce qu’allait apporter cette nouvelle vision en dehors du rôdeur – la grosse boule blanche – aperçue dans la longue-bande annonce afin de tranquilliser tout le monde.
Un homme (Jim Caviezel) se réveille dans un désert de dunes. Il y découvre « le village », une cité où les habitants se désignent par des numéros au lieu de noms et vivent sous l’autorité bienveillante du numéro 2. Comment est-il arrivé là ? Il l’ignore et découvre que partir ne sera pas facile, personne autour de lui ne semblant croire qu’il puisse exister un « ailleurs ». Bien décidé à s’enfuir, le nouveau numéro 6 va se lancer dans une bataille pour retrouver l’existence qui était la sienne, ce qui l’amènera à découvrir le secret de ce lieu étrange.
Si le résumé de cette nouvelle version sonne comme l’exact reflet de son modèle, autant vous avertir tout de suite que la comparaison s’arrêtera là et que quelques minutes suffiront pour vous convaincre qu’un bon sujet sans vision solide derrière n’amène qu’à la déception. Car ce Prisonnier 2009 n’est que cela au final, une déception amère – encore que pas tout à fait surprenante – au regard des moyens déployés.
Le village ressemble à une station balnéaire figée dans les années 50 sans qu’il n’apporte un supplément d’âme, les personnages sont creux, souffrant d’un manque de caractère flagrant. Au premier rang desquels nul autre que le héros, numéro 6, partagé sans cesse entre ce qu’il doit faire, se laissant plus porter par les événements que prêt à se retrousser les manches pour se sortir de là. Même le numéro 2 laisse un certain goût d’inachevé tant il ne semble pas faire grand chose à part se balader en costume blanc. Un super méchant ramené à l’état de « El gringo », on a connu plus ambitieux.
Ajoutez à cela une forme aussi languissante et mal maîtrisée que le fond (les enchaînements de scènes laissent parfois à penser que le monteur devait travailler sous l’influence de substances illicites) et vous obtenez ce que beaucoup attendaient et/ou redoutaient : un effroyable ratage, un enterrement grand luxe pour un projet qui partait avec une montagne trop haute à escalader. La décence, le devoir de réserve ainsi qu’une certaine honnêteté nous obligent à passer sous silence la résolution du tout, volontairement alambiquée mais fumeuse à laquelle le spectateur déjà à moitié endormi par les cinq heures et demie précédentes ne prêtera que peu d’attention. Là où McGoohan jouait avec les attentes de ses spectateurs et transformait son travail en « énigme allégorique » inscrivant la série dans les annales de la télévision autant que dans les consciences, cette nouvelle version ne se hissera jamais qu’au niveau d’un Lost ou d’un Prison Break, deux plaisirs coupables dont plus personne ne parlera quand ils auront disparu des écrans.
Car qu’on le veuille ou non, chaque image, chaque action, chaque faux pas de la copie est inconsciemment comparé à l’excellence de son modèle, une œuvre si forte qu’elle reste une référence incontournable quarante-deux ans après sa création.
Bonjour chez vous.
(1) Suite à leur collaboration fructueuse sur Braveheart, Patrick McGoohan soutint la mise en chantier d’une version avec Mel Gibson dans le rôle-titre.
(2) La ville de Portmeirion qui servit au tournage existe bel et bien sur les côtes du Pays de Galles > http://www.portmeirion-village.com/
Julien Taillard
> Site officiel de la minisérie
Trailer de la mini-série Le Prisonnier version 2009 sur AMC
Trailer de la série originale
Bien que parfaitement maîtrisée dans la forme, cette critique touche le fond de sa propre subjectivité et finalement, on ne peut qu’être triste pour le rédacteur privé d’excellents moments devant une excellente série par une »fan-attitude » trop indocile… Une mouture non exempte de défauts, certes, mais existe-t-il seulement un titre au monde qui serait la perfection incarnée sur pellicule ? Avoir l’esprit critique est un atout, mais l’avoir à deux vitesses beaucoup moins. D’un certain point de vue, toutes ces critiques sont légitimes, certes, mais pour équilibrer, il faudrait faire preuve d’une égale rigueur d’intransigeance avec la série d’origine, loin d’être exempte de tout défaut non plus (elle est bien écrite, certes, mais n’exagérons rien non plus, tout cela reste assez facile). Ou alors on fait preuve de la même indulgence pour l’un et l’autre, évidemment. Mais absoudre pour mieux condamner, ça sent plus l’acte de foi quasi-religieux que l’acte de raison, ici…
Oh, et pour digresser un peu, si Prison Break est objectivement une mauvaise série, à l’opposé, Lost est en matière d’écriture, malgré des maladresses, une des séries les plus intéressantes de ces dix, voire vingt dernières années.
je cherchais des informations sur ce remake de la « effectivement » superbe série d’origine et je tombe sur cette critique pompeuse ou le rédacteur semble prendre plus de plaisir à démontrer ses capacités à rédiger un article sur le net (on place son ego ou l’on peut) qu’à faire preuve d’objectivité sur une série contemporaine, avec une écriture contemporaine et adaptée à la consommation médiatique actuelle. Je suis tout à fait d’accord avec le commentaire laissé suite à l’article, s’appuyer sur un comparatif basé sur la mise en balance de Lost (et Prison Break?) et d’une série des années 60 ne me semble pas très judicieux si ce n’est passer pour une sorte d’extrémiste brandissant son déambulatoire en proférant des « ah dans l’temps c’était vachement mieux qu’maintenant… »
Bon et sinon, si on essaye de ne pas trop jouer les bobos et regarder simplement la série en y prenant un plaisir somme toute très simple et populaire? ça donne quoi objectivement?
Donc, très cher Erdoc, bien qu’ayant copieusement détesté cette nouvelle mouture j’aurai du malgré tout la défendre, allant contre mon sentiment ? Cela m’aurait certes évité un procès en boboisme, mais Versus s’est construit sur l’affirmation des goûts et des principes de ses rédacteurs (une véritable revue imprimée sur du papier, excusez-moi mais l’on est loin de se limiter à « rédiger un article sur le net »).
Au moins le premier commentateur a-t-il eu la décence d’expliquer en quoi il n’approuvait pas mon article, ce dont mon ego s’est fort bien accommodé je vous l’assure.
Mais s’il le faut je le réaffirme ici : oui, le Prisonnier originel est une grande série et cette nouvelle version une perte de temps.
Au moins ais-je le courage d’une opinion que je signe de mon nom, et non pas d’un pseudonyme.