
Alors qu’il s’attaque à Abattoir 5 (1972), un film que Carlotta ressort ce 18 avril en édition prestige limitée Blu-ray, avec plusieurs memorabilia (fac-similé de la brochure promotionnelle de l’époque, affiche, jeu de 12 lobby cards), George Roy Hill a déjà derrière lui le succès de Butch Cassidy et le Kid.
C’est malgré tout pour lui un sacré pari que de vouloir porter à l’écran le monument de Kurt Vonnegut Jr, un bouquin de SF voué aux gémonies par les plus réacs. C’est que l’écrivain, sous prétexte de présenter un héros, Billy Pilgrim, qui voyage dans sa vie sans pouvoir maîtriser quoi que ce soit et qui passe ainsi d’un épisode de la guerre à son mariage ou à son enlèvement par des extra-terrestres sur la planète Tralfamadore, évoque surtout le bombardement de la ville allemande de Dresde par les Alliés en février 1945. Lequel — et ses 135 000 morts, le chiffre annoncé par l’écrivain et repris dans le film — fit plus de victimes qu’à Hiroshima, ce qui à l’époque de la sortie du roman, paraissait incroyable. C’est cette révélation qui est bien sûr la plus importante, autant dans le livre que dans le film.

Cet épisode au cours duquel Pilgrim est prisonnier de guerre et cantonné dans le Schlachthof fünf, c’est-à-dire l’abattoir cinq, Vonnegut l’a réellement vécu et c’est de cette expérience qu’est tirée la partie la plus sidérante de son roman. Comment donc traduire à l’écran ce que vit le pauvre Pilgrim ? Hill prend le parti de rendre son héros, joué par Michael Sacks, imperturbable à tout. Pilgrim subit les événements, quels qu’ils soient, comme si, de toute façon, tout cela était inéluctable et que, quoi qu’il fasse, rien ne changerait. Ce qui, en soi, est la description de n’importe quelle vie.

Avec Vonnegut, Hill en profite pour brosser le portrait d’une Amérique triomphante, raciste, sans empathie (comme lorsque le père balance son gamin dans la piscine pour lui apprendre à nager). Au détour d’une séquence, il montre même un certain Howard W. Campbell Jr (joué par Richard Schaal), un Américain qui parade dans le camp de prisonniers en costume nazi assorti d’un drapeau US, personnage que l’on retrouvera dans un autre roman de Kurt Vonnegut, Nuit mère.

Il y a ainsi, tout au long de cet étrange patchwork qui nous fait sauter d’une période à l’autre, des séquences étonnantes, hors contexte ou carrément surréalistes comme lorsque la femme de Pilgrim, apprenant que son mari a eu un accident, saute dans sa blanche Cadillac et se met à conduire n’importe comment.
Le film comporte surtout des aspects éminemment politiques, à commencer par l’antimilitarisme (sans doute plus flagrant dans le livre) et la condamnation de toute guerre. Le comble de l’horreur survient pour Billy Pilgrim lorsque, déjà vieux, il reçoit la visite de son fils, dont la jeunesse s’est nourrie de rébellion envers l’ordre établi. Celui-ci lui annonce être entré dans le rang et s’être engagé dans l’armée pour aller casser du communiste au Vietnam. C’est dire la déception paternelle qui ne peut avoir qu’une envie : se réfugier sur Tralfamadore.

L’avantage de la science-fiction, et autant Vonnegut que Hill le savent, c’est que tout est permis, tout peut paraître possible. Sauf qu’une autre lecture court en filigrane qui nous montre les fantasmes d’un Américain moyen marié et père d’une fille, à la vie rangée et ennuyeuse. Traumatisé par la guerre, bien réelle celle-là, il s’est inventé un parcours en complet désordre, dont il se souvient au seuil de la mort, et qui le fait vivre heureux avec une ancienne actrice porno (Valerie Perrine) sur une planète inconnue, dans une chambre-serre qu’il ne peut (et n’a pas envie de) quitter. Une existence qu’il se raconte et qui est tellement plus originale et enthousiasmante que la sienne.
Jean-Charles Lemeunier
Abattoir 5
Année : 1972
Titre original : Slaughterhouse-Five
Origine : États-Unis
Réal. : George Roy Hill
Scén. : Stephen Geller d’après Kurt Vonnegut Jr
Photo : Miroslav Ondricek
Musique : Glenn Gould
Montage : Dede Allen
Durée : 103 min
Avec Michael Sacks, Ron Leibman, Eugene Roche, Sharon gans, Valerie Perrine, Perry King…
Sortie par Carlotta Films en édition prestige limitée Blu-ray + memorabilia le 18 avril 2023.