Excellente nouvelle. Les deux premières saisons (il y en a quatre en tout) de la série télévisée Myster Mocky présente sont enfin disponibles en coffret de cinq DVD, grâce à ESC Editions. L’éditeur s’est engagé auprès du cinéaste, disparu l’an dernier, à rééditer petit à petit sa filmo. Après une quinzaine de ses longs-métrages, après la mini-série réalisée avec Gérard Depardieu autour de Tchékhov, c’est au tour de la mythique série adaptée des Alfred Hitchcock Magazines. Un régal.

Richard Gotainer et Stomy Bugsy dans Ultime bobine. Derrière eux, Freddy Bournane et Christian Chauvaud
C’est une évidence, Jean-Pierre Mocky n’a jamais convaincu totalement la majorité des spectateurs, preuve d’une méconnaissance de l’ensemble de son œuvre. J’avoue être un inconditionnel du Monsieur Moteur et être sans doute partial. Mais comment ne pas clamer sa satisfaction devant la grande majorité des 27 premiers épisodes de Myster Mocky, tournés d’abord en 1991 (trois courts-métrages), puis entre 2007 et 2008 (les 24 autres) ? Les amusants making-of réalisés par Hugues de Léon et proposés en bonus sont d’ailleurs éloquents : « Il a une patte, une signature, dit de lui Richard Gotainer. Dès qu’il touche une caméra, c’est du Mocky ! » Quant à Stomy Bugsy, il sait que « tout le monde rêve de tourner avec Mocky. Je pourrai dire : j’y étais ».
Arielle Dombasle est elle aussi enchantée : « Mocky est quelqu’un de singulier. Il y a une telle normalisation dans le cinéma. Lui a une liberté incroyable. » Et Victoria Abril surenchérit : « Avec lui, on n’a même pas le temps d’aller pisser. C’est génial, on ne s’ennuie pas. »
Cette succession de noms célèbres montre combien Jean-Pierre Mocky a toujours aimé les acteurs. Quand il décide d’adapter à l’écran des nouvelles choisies par le grand sir Alfred pour son magazine, Mocky sait qu’il aura pour cela le haut du panier. N’inaugure-t-il pas la série, pour La méthode Barnol, avec Jean Poiret, Roland Blanche et Hubert Deschamps ? Et ne retrouve-t-on pas dans les épisodes successifs à la fois les plus grands noms du cinéma, les jeunes qui montent, les comiques à la mode ? Citons pêle-mêle : Michel Piccoli, Jean Poiret, Jacqueline Maillan, Richard Bohringer, Claude Brasseur, Micheline Presle, Pierre Mondy, Michel Galabru, Richard Anconina, Victoria Abril, Dominique Lavanant, Arielle Dombasle, Rufus, Jean-Luc Bideau, Jean-Hugues Anglade, Charles Berling, Dominique Pinon, Jean-Paul Rouve, Philippe Nahon, Gaspard Ulliel, Elsa Zylberstein, Virginie Ledoyen, Zoé Félix, Lorant Deutsch, Frédéric Diefentahl, Stanislas Merhar, Aurélien Wiik, Louise Monot, Didier Bourdon, Laurent Gerra, Chevalier et Laspalès et bien d’autres encore. Enfin, un film de Mocky ne saurait exister sans la fine fleur des trognes patibulaires qui hantent l’ensemble de sa filmo, tels les géniaux Dominique Zardi et Jean Abeillé . Ah, il faut entendre ce dernier, dans le rôle de M. Barracuda, le propriétaire ignoble de Meurtres entre amies, vanter son « meublé first class » et glapir dans les escaliers : « Vos gueules, les sorcières, allez-vous faire sauter au lieu de m’emmerder ! ». Ou en gardien de cimetière rigolard dans La cadillac : « Si je ne ris pas, je me flingue ! »
Au fil de tous ces films courts, on reconnaît également d’autres gueules cassées, ces personnages à la diction improbable qui font le charme des films de Mocky. Cette série était pour le cinéaste une façon de tester ses acteurs, de travailler avec les plus grands et de donner du boulot aux plus obscurs, à ces sans-grade qu’il affectionnait tant. Mocky arrive à tirer de chacun d’eux du grandiose, à leur faire trouver de petits gestes, petites mimiques qui habillent leurs personnages. Quel régal lorsque Jean Poiret, dans La méthode Barnol, après ce petit bruit de bouche qu’il avait déjà testé dans La cité de l’indicible peur, se met à caresser le bras de Roland Blanche tout en lui parlant, histoire d’endormir sa méfiance. Et cette tranquillité absolue que montre Rufus dans Chantage à domicile, maître-chanteur assassin sans complexe ? Qui se différencie de l’assassin que joue Richard Bohringer, beaucoup plus sentimental dans Meurtres sur commande.
Car ces films, il faut bien le dire, sont à la fois des suspenses humoristiques à la Alfred Hitchcock Presents – et Mocky pousse la ressemblance et l’hommage jusqu’à se mettre en scène au début de chaque épisode pour le présenter – mais aussi du Mocky pur jus. Où, ailleurs que chez lui, trouve-t-on un flic à la voix super aiguë (Le diable en embuscade) ? Des femmes qui bégaient (Le farceur) ? Un établissement hospitalier empli de patients ayant tous le même visage, avec à sa tête un médecin bourré de tics (La clinique opale) ? Un rendez-vous donné par un juge au musée de la cavalerie de Saumur (Le jour de l’exécution) avec, pour fond sonore, le fameux Ein Heller und ein Batzen, plus connu en France comme Haili hailo haila, un air fatalement rattaché aux nazis ? Et où, ailleurs que chez Mocky, peut-on entendre ce genre de phrases : « Quand il y aura 90% de pauvres, ils boufferont les 10% qui restent comme des enzymes gloutons“ ?
Entre nous, qui oserait encore douter que derrière la gaudriole et le sarcasme, derrière la musique sautillante de Vladimir Cosma, ne se cache pas la grosse artillerie mais bien plutôt de réelles convictions ? Mocky aime ses personnages, aussi pourris soient-ils. Il les aime et s’en moque à cœur joie. Et prend en même temps parti contre la peine de mort, la justice, la bourgeoisie et la connerie de notre monde.
Accordons également au cinéaste un sacré sens du décor. Il en a toujours fait une belle utilisation dans tous ses films, des carrières filmées à de nombreuses reprises aux grands ensembles de Noisy-le-Grand (A mort l’arbitre) ou à l’étrange cité de Litan, recréée à Annonay. Tournée dans la région de Saumur, la série Myster Mocky présente se passe beaucoup dans de très belles gentilhommières mais use aussi de décors très modernes, comme dans La méthode Barnol, ou d’une incroyable casse automobile dans Un risque à courir.
Avec ses beaux décors, ses grandes interprétations, ses mises en scène efficaces et ses scénarios souvent étonnants, plantés en quelques minutes et aux rebondissements, farfelus ou terrifiants, toujours assumés, Myster Mocky présente est plus qu’incontournable pour qui s’intéresse à la carrière de Jean-Pierre Mocky. Et pour ceux qui ne connaîtraient pas encore son univers, elle en est une excellente introduction. Moteur !
Jean-Charles Lemeunier
Série Myster Mocky présente de Jean-Pierre Mocky : coffret de cinq DVD de 27 épisodes, sorti le 8 juillet 2020 par ESC Editions.