Qu’elles se fassent en salles ou en vidéo, les ressorties de films sont une bonne occasion de revoir à la hausse (ou la baisse) les souvenirs que l’on avait d’eux ou les a priori qui collaient à leur réputation.
Prenons A Man Called Horse (Un homme nommé cheval) d’Elliot Silverstein qui avait fait grand bruit au moment de sa sortie, en 1970, et qui est ressorti ce 4 décembre chez Carlotta à la fois en DVD/Blu-ray et sur grand écran. Vingt ans avant Danse avec les loups, les tenants du western égalitaire entre cowboys et Indiens s’étaient réjouis du traitement réservé ici aux Sioux. C’était aussi la première fois que l’on montrait à l’écran les douloureux rites d’initiation des guerriers. Cinquante ans après, ces séquences sont toujours aussi fortes.
Telle qu’elle réside dans la mémoire commune, l’histoire du western est souvent biaisée, faisant par exemple de La flèche brisée (1950, Delmer Daves) la première production hollywoodienne pro-Indiens. La réalité n’est bien sûr ni aussi tranchée ni si manichéenne et les spécialistes reconnaissent que, dès 1925 et The Vanishing American de George B. Seitz, on montrait les Indiens comme un peuple spolié par les Blancs. Sauf qu’à la fin, ainsi que l’indique la notule anglaise parue dans wikipedia, les Indiens constataient « qu’il existait pour eux une place égale au sein de l’Amérique blanche ». Le héros indien était incarné par l’acteur Richard Dix qui, bien que n’ayant aucune goutte de sang navajo dans les veines, incarna à nouveau en 1929, dans Redskin, un Amérindien faisant ses études dans une université de l’Est des États-Unis et enrichissant sa tribu grâce à la découverte de pétrole.
Cette manie de confier à des acteurs des rôles d’une nationalité différente de la leur a toujours été à l’honneur dans les studios californiens : le Suédois Warner Oland, l’Autrichien Paul Muni et les Allemands Luise Rainer et Henry Brandon ont ainsi incarné des Chinois, le New Yorkais Sam Jaffe un Hindou, la Mexicaine Dolores Del Rio une Polynésienne. Ce qui nous ramène à Un homme nommé cheval, dans lequel le personnage d’une vieille Indienne est confié à l’Australienne Judith Anderson, la redoutable gouvernante du Rebecca de Hitchcock. Et celui du chef sioux à Manu Tupou, natif des îles Fidji. Quant à la jolie compagne de Richard Harris, son rôle est tenu par Miss Grèce 1964, Corinna Tsopei. Bon, soyons justes, de réels Amérindiens jouent aussi dans le film, dont Eddie Little Sky, vu dans de nombreux westerns. Elliot Silverstein confie encore la réalisation de seconde équipe à Yakima Canutt (à qui l’on doit la fameuse course de chars de Ben-Hur en 1959) et le rôle du medecine man à Iron Eyes Cody. Deux personnes que la plupart des téléspectateurs américains pensent être d’origine indienne alors que Canutt a des ascendants irlandais, écossais et allemands et que Cody, qui passa sa carrière, de 1926 à 1990, à jouer des rôles d’Indiens, était issu d’une famille sicilienne.
Le film en dit tout autant sur l’époque à laquelle il se déroule que sur celle à laquelle il a été tourné. N’oublions pas qu’avec la guerre du Vietnam, prend naissance la conscience que les gouvernements américains successifs ont fait du tort à la nation indienne comme le gouvernement actuel est en train de le faire avec les Vietnamiens. Et que l’on commence à s’insurger contre la célèbre saillie du général Sheridan « Un bon Indien est un Indien mort ». Le massacre de My Lai, le 16 mars 1968, commis par les troupes US sur quelque 500 civils vietnamiens, est traduit au cinéma par Ralph Nelson en 1970. Dans Soldat bleu, il le transpose en 1864, quand le colonel Chivington et ses 700 hommes massacrèrent un village indien de 500 personnes, femmes, enfants et vieillards compris. Toujours en 1970, Little Big Man prend un héros qui ne cesse de vivre tantôt avec les cowboys, tantôt avec les Indiens, qui se mariera avec une Indienne et assistera à un autre massacre d’Indiens commis par l’armée américaine.
Un homme nommé cheval fait bien entendu partie de ce mouvement progressiste, il en est même quasiment à l’origine. Les minorités s’agitent. L’Indien, filmé par l’Anglais Carol Reed et sorti en novembre 1970, décrit la révolte d’un homme qui veut entraîner quelques-uns de ses copains au dernier grand soulèvement indien. Trois ans plus tard, des Indiens semblent vouloir prendre au mot ce héros de fiction. Ils occupent une réserve et sont assiégés par l’armée à Wounded Knee. Les 71 jours de siège se soldent par deux morts. La même année, Marlon Brando refuse d’aller chercher son Oscar pour Le Parrain, envoyant à sa place une Indienne vêtue d’un costume traditionnel.
Voilà pour le contexte. Pour le sujet, Un homme nommé cheval raconte l’adaptation d’un homme blanc à un mode de vie totalement différent du sien, celle d’un lord anglais (Richard Harris) parti chasser aux États-Unis au début du XIXe siècle. Il est capturé par des Sioux et va devenir un de leurs guerriers. Silverstein insiste sur le quotidien de son héros, comme lorsque, affamé, il doit ingurgiter du gras rance. Mâtiné de rudesse et d’une certaine férocité, un humour constant baigne le scénario de Jack DeWitt. Il réside dans la truculence des compagnons américains de Richard Harris ou dans le personnage du Canadien captif des Indiens (Jean Gascon), qui parle en français et se fait passer pour cinglé. « Indiens pas tuer fou. Fou pas travailler, pas chasser », explique-t-il. Quand il apprend que le nouveau prisonnier est un sujet de Sa Gracieuse Majesté, il s’exclame : « Anglais ? Merde ! » Tous ces détails rendent plus crédibles, plus humains, plus proches de nous des personnages qui vivent une histoire très éloignée du spectateur des années 70.
On retrouve également là tout ce que l’on sait des Indiens : les tipis, les scalps, la spiritualité avec le « Grand Esprit » Wakan Tanka, la conception rousseauiste du bon sauvage qui ne se départit malgré tout pas d’une certaine cruauté, l’importance de la nature et des saisons… Mais Silverstein s’attarde aussi sur des pratiques moins connues, telles le deuil qui se traduit par une amputation de doigt chez les femmes. Et il y a enfin le rite d’initiation, la danse du Soleil, un des moments forts du récit, celui qui fit beaucoup parler lors de la sortie du film.
Quoiqu’il en soit, malgré un discours pro-Indiens évident, l’homme blanc ne peut s’empêcher de penser qu’il est supérieur à tous les autres. Ainsi, c’est grâce à l’Anglais que les Indiens repoussent l’attaque d’une tribu ennemie. Grâce à l’Anglais et à sa science des combats. Les Sioux, c’est évident, n’ont pas lu L’art de la guerre de Sun Tzu ni Les commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César. Ils sont nuls, ces sauvages. Mais passons. Malgré ce détail — qui a quand même son importance —, le film s’intéresse positivement aux Indiens. Et reste visuellement très beau. Avec les sorties respectives aux États-Unis de trois films (Un homme nommé cheval en avril 1970, Soldat bleu en août 1970 et Little Big Man en décembre 1970), le cinéma américain va changer définitivement de regard sur le personnage de l’Indien. En 1972, dans Jeremiah Johnson, le héros (Robert Redford) épouse lui aussi une Indienne. Tout se passe comme si, depuis Un homme nommé cheval, un western de gauche commençait à voir le jour, suivant en cela quelques-unes des épopées de l’Ouest made in Italy beaucoup plus politisées que leurs homologues yankees.
Enfin, on regardera avec beaucoup d’intérêt le bonus du DVD/Blu-ray, avec une interview du réalisateur Elliot Silverstein (qui a aujourd’hui 92 ans). On y apprend beaucoup de choses. Que le film se base stylistiquement sur les peintures de George Catlin, un artiste du XIXe siècle qui s’est intéressé aux Indiens. Silverstein décrit aussi le fameux trucage qui permet à Richard Harris d’être élevé du sol, suspendu à des crochets qui lui entaillent les muscles de la poitrine. Cette séquence, très forte, faillit d’ailleurs être censurée. Le cinéaste raconte comment, convoqué devant la commission de censure, il expliqua que, juif, il avait fait ses études dans une école catholique et que la représentation d’un homme cloué à une croix, présent dans toutes les salles de classe, l’avait dérangé. « Ils ont accepté la scène, conclut-il, pour ne pas favoriser une religion par rapport à une autre », vu qu’ils se basaient sur un point de vue chrétien pour juger les aspects mystiques et religieux d’un autre groupe humain. Belle leçon !
Un homme nommé cheval eut un tel succès qu’en 1976, Irvin Kershner réalise La revanche d’un homme nommé cheval et John Hough, en 1983, Le triomphe d’un homme nommé cheval, tous deux avec Richard Harris.
Jean-Charles Lemeunier
Un homme nommé cheval
Année : 1970
Origine : États-Unis
Titre original : A Man Called Horse
Réal. : Elliot Silverstein
Scén. : Jack DeWitt d’après Dorothy M. Johnson
Photo : Robert B. Hauser, Gabriel Torres
Musique : Leonard Rosenman, Lloyd One Star
Montage : Philip W. Anderson, Gene Fowler Jr
Durée : 111 minutes
Avec Richard Harris, Manu Tupou, Corinna Tsopei, Dame Judith Anderson, Jean Gascon, Dub Taylor, James Gammon, William Jordan, Eddie Little Sky, Iron Eyes Cody…
Sortie le 4 décembre 2019 par Carlotta Films et l’Atelier d’images au cinéma et en DVD et Blu-ray, nouvelle restauration en haute définition.