C’est l’histoire d’un mec, il est seul. Seul sentimentalement mais il a un copain. C’est plutôt l’histoire de deux mecs, deux potes, dont l’un tombe toujours amoureux de filles qui le laissent tomber et l’autre le réconforte. Disons que c’est plutôt l’histoire de deux mecs et d’une fille, deux mecs amoureux d’une fille et qui ne savent pas si leur amitié va pouvoir survivre aux trahisons.
La meilleure des idées du coffret Coluche que Pathé sort en DVD/Blu-ray pour les fêtes de Noël — chacun des films étant bien sûr disponible également en édition simple, tous en versions restaurées —, c’est qu’à côté de fantaisies comme Banzaï, Inspecteur La Bavure et Deux heures moins le quart avant J.-C., à côté de l’incontournable Tchao Pantin, on aura la chance de redécouvrir La femme de mon pote de Bertrand Blier. Un film quelque peu oublié — à tort — aujourd’hui, tant dans la carrière du comique que dans celle de son réalisateur.
La femme de mon pote, c’est donc l’histoire de deux mecs épris d’une même fille. Eux, c’est Micky (Coluche), rigolo rondouillard un peu lourdaud, et Pascal (Thierry Lhermitte), beau gosse sentimental. Elle, c’est Viviane (Isabelle Huppert), beauté vénéneuse, allumeuse et midinette dont on ne peut que tomber amoureux. Autant dire une salope (c’est dit dans les dialogues et Viviane acquiesce). Et, cerise sur le gâteau, c’est que l’histoire de ces deux mecs et de cette nana est vraie.
C’est une habitude chez Blier de mêler la réalité au cinéma de fiction. Dans Les acteurs, ne partage-t-il pas avec Claude Brasseur un émouvant dialogue sur la place de leurs pères respectifs dans leurs vies et sur le manque affectif depuis leurs disparitions ? Pour La femme de mon pote, Bertrand Blier voulait au départ Coluche, Patrick Dewaere et Miou-Miou. En sachant que Dewaere et Miou-Miou avaient vécu ensemble et que la dernière femme en date de Dewaere était partie avec Coluche. Et puis Dewaere s’était suicidé, avec une arme que lui avait offerte Coluche. Miou-Miou avait ensuite décliné l’offre de Blier et seul Coluche a eu le courage d’affronter la caméra inquisitrice d’un film qui rappelait un peu trop fortement un drame réel. D’autant plus que, dans La femme de mon pote, Lhermitte offre à Coluche un revolver.
Autre rapprochement avec une certaine réalité, en tout cas dans l’esprit des spectateurs de l’époque. Les Bronzés font du ski est sorti quatre ans plus tôt et Thierry Lhermitte est alors assimilé par le public à Popeye, son personnage dans le film, qui travaille dans un magasin de sports d’hiver. Dans La femme de mon pote, Lhermitte travaille aussi dans un magasin de sports d’hiver. Et le spectateur l’assimile fortement à Popeye, un pauvre type sympathique mais toujours en galère.
Rythmé par la si belle musique de J.J. Cale, entre folk et blues, La femme de mon pote est encore l’histoire de deux hommes et d’une femme, après Les valseuses et Préparez vos mouchoirs et avant Tenue de soirée. Deux potes dont l’amitié flirte toujours avec l’homosexualité, une constante chez le cinéaste : souvenez-vous de la sodomie surprise des Valseuses et de la fin de Tenue de soirée. Isabelle Huppert incarne magnifiquement une garce et l’on retrouve encore ici quelques dialogues misogynes — « Les femmes sont comme ça, c’est médical ! » ou « Qu’est-ce qu’elle avait de bien ? Ses seins ? On fait pas une vie avec des seins ! ». Mais il est évident que Blier a baissé sa garde depuis Calmos et Buffet froid. Il ne suffit plus aux copains de se retrouver entre eux à picoler et dire des conneries pour être bien. Ils ne se contentent plus seulement d’une clope, d’un verre de Bourgogne et d’un calendos. Pour la première fois sans doute, les héros de Blier avouent qu’ils ont besoin de la femme. Il faudra attendre Gérard Lanvin dans Mon homme pour qu’un personnage leur demande enfin pardon, aux femmes.
Ce qu’il y a de formidable chez Bertrand Blier, c’est que la vie est une joyeuse tragédie et qu’il vaut mieux en rire avant de s’effondrer. D’où ces petites phrases de dialogue qui toujours, au détour d’une séquence drôle, viennent remettre les pendules à l’heure et montrer le désespoir du cinéaste. « La vie est compliquée, entend-on dans le film. Ce n’est pas notre faute, c’était déjà comme ça avant qu’on arrive ! » Ou Lhermitte qui, ne sachant plus que faire, avoue : « Je patauge ! »
Quand il accepte le rôle, Coluche est en pleine dépression. Il vient de tourner Banzaï, une farce de Claude Zidi, et entame chez Blier un changement de registre qui sera évident dans son film suivant, Tchao Pantin de Claude Berri. Dans La femme de mon pote, Coluche n’est plus seulement le rigolo. Il a des états d’âme, des moments de tristesse et de solitude, des coups de blues qui le mènent au bord du suicide. Il est aussi un homme amoureux, ayant une sexualité et capable de trahison. Certes, le virage n’est pas décisif puisqu’il fera encore Le bon roi Dagobert, La vengeance du serpent à plumes ou Les rois du gag mais la graine est semée et c’est ainsi que la postérité voudra se souvenir de Coluche au cinéma. Un comique ayant réussi un rôle tragique dans Tchao Pantin. Un rôle tragique amorcé dès La femme de mon pote.
Jean-Charles Lemeunier
La femme de mon pote
Année : 1983
Origine : France
Réal. : Bertrand Blier
Scénario : Bertrand Blier, Gérard Brach
Photo : Jean Penzer
Musique : J.J. Cale
Montage : Claudine Merlin
Avec Coluche, Isabelle Huppert, Thierry Lhermitte, François Perrot, Farid Chopel…
Pathé propose à la vente le 22 novembre 2017 un coffret Coluche comprenant cinq films en versions restaurées ou les cinq films vendus séparément en DVD/Blu-ray : La femme de mon pote de Bertrand Blier, Banzaï et Inspecteur La Bavure de Claude Zidi, Deux heures moins le quart avant J.-C. de Jean Yanne et Tchao Pantin de Claude Berri.