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Sa dégaine pourrait le faire passer pour un flic américain, d’autant que la voiture jaune sur laquelle il s’appuie — une Chevrolet Impala, assurent les connaisseurs — est stationnée dans un désert. Le type en question, sur la jaquette du DVD Valley of Stars que Blaq Out a sorti au début du mois de juin, chapeau vissé au crâne et regard levé vers le ciel sous ses lunettes de soleil, chemise blanche et cravate, ressemble à ces héros de films américains. De ceux qui ont su adapter les vieilles recettes du passé (polar tarabiscoté) aux cinématographies modernes.

Il faudra pourtant se rendre à l’évidence. Cette « Vallée des étoiles » ne se situe pas dans le désert de Mojave, si connu des cinéphiles, sur ce morceau de Route 66 qui relie la Cité des Anges à celle du péché, Las Vegas. Au moins jusqu’à Barstow puisque, après, elle bifurque vers Bagdad Café. Non, ici, le décor est planté sur l’île de Qeshm, au sud de l’Iran, qui offre au film un environnement fabuleux : un cimetière isolé, un bateau échoué dans la caillasse et un canyon calcaire troué par l’érosion du meilleur effet.

 

 

On l’aura compris, malgré son titre anglais et l’allure du personnage principal, Valley of Stars est un film iranien plongé dans le passé, en 1965 exactement, époque où le premier ministre est assassiné. Avec un scénario dont il n’est pas aisé de démêler d’entrée toutes les fils. Au beau milieu du film, le cinéaste Mani Haghighi apparaît pour transformer un temps ce récit policier plutôt emballant en un documentaire sur la disparition d’un technicien de cinéma. Une façon de faire, où l’on place le spectateur entre documentaire et fiction, où le tournage d’un film précédent devient le sujet du film suivant, qui rejoint le cinéma d’Abbas Kiarostami ou de Mohsen Makhmalbaf (comme dans Un instant d’innocence). Dans la partie documentaire, apparaît même Lili Golestan, traductrice, auteur, directrice de galerie artistique et… mère de Mani Haghighi.

 

 

Valley of Stars va ainsi nous promener dans deux époques différentes, les années soixante et le présent, mettre en valeur la collusion entre les services secrets et la police et, à l’instar des films américains et comme dans les meilleurs suspenses, montrer combien il est difficile d’appréhender rapidement la réalité de la situation. À cette problématique somme toute déjà vue dans nombre de sujets made in USA, Haghighi ajoute son talent personnel : beauté des plans, surréalisme apporté par le bateau, une certaine lenteur, un soupçon de fantastique avec l’histoire du serpent géant gardien des lieux, et des scènes de rupture absolument réussies. On pense à ce passage musical très fort où guimbarde et percussions nous transportent très loin de l’enquête. La séquence de la lettre est elle aussi très belle.

 

 

À ce film original et qui reste jouissif, malgré quelques coups de mou, il faut ajouter la vision du bonus et l’interview du réalisateur Mani Haghighi. Bien que proche de trois des grands créateurs iraniens (Kiarostami, Panahi et Farhadi, dont il a été le scénariste et l’acteur), Haghighi parle de son « regard de biais sur la société iranienne », à la différence des trois cinéastes cités. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans ce film fascinant, avec le passage du passé au présent et l’évocation de deux milieux, celui de la police et celui du cinéma, celui de l’État et celui de l’Art. En outre, Haghighi n’est pas souvent là où on l’attend : il plonge son histoire dans les années où règne le Shah sans qu’il ne soit jamais question ni de lui ni, dans la partie contemporaine, des Gardiens de la révolution pas plus qu’il ne fait aucune allusion à la religion. En préférant évoquer des légendes (celle du cimetière), il se place au niveau du mythe et c’est bien de mythologie dont il est question tout au long de Valley of Stars : outre les croyances locales, celle du cinéma (et le titre avec le mot Stars pourrait aller dans ce sens) est aussi très prégnante. Il est d’ailleurs à noter que le film fut présenté cette année à Berlin sous le titre anglais A Dragon Arrives. Sous un nom ou sous l’autre, voilà un film à découvrir de toute urgence !

Jean-Charles Lemeunier

Valley of Stars
Année : 2016
Origine : Iran
Titre original : Ejdeha Vared Mishavad !
Réal. et scén. : Mani Haghighi
Photo : Hooman Behmanesh
Musique : Christophe Rezai
Montage : Hayedeh Safiyari
Durée : 95 minutes
Avec Amir Jadidi, Ehsan Goodarzi, Homayoun Ghanizadeh, Nader Fallah, Ali Bagheri

Valley of Stars de Mani Haghighi, édité par Blaq Out le 6 juin 2017.

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