Après avoir emballé le noyau dur de fans de série B au début des années 80 avec deux films mythiques, Georges Miller a la mauvaise idée en 1985 de changer radicalement d’objectif en voulant s’accorder une audience plus large et , par conséquent, aseptiser son œuvre fondatrice.
Petit rappel des faits : véhicules improbables, violeurs et tueurs ressemblant aux gladiateurs de l’empire romain, pénuries d’eau et d’essence, civilisation détruite par des années de guerre, etc. Le monde dépeint dans le deuxième volet des aventures de Max Rockatansky a évolué rapidement vers la barbarie la plus sauvage. Individualiste convaincu, préférant subir les actions plutôt que les bouleverser, le guerrier de la route est un justicier contraint et forcé, un anti-héros véhiculant son lot de violence extrême. L’évolution psychologique significative du personnage entre les deux premières œuvres laissait entrevoir aux fans excités un énorme espoir à l’annonce d’un troisième opus réalisé conjointement par les deux George, Miller et Ogilvie. Après avoir largement puisé dans le western, traditionnel et crépusculaire, pour le début de la tétralogie, le cinéma australien et son compère s’engagent dans ce troisième volet dans une relecture post-apocalyptique du péplum, genre alors en complète désuétude. Las, pour plusieurs raisons, Mad Max Beyond Thunderdome est incontestablement le plus faible de la géniale tétralogie qui marque encore en 2015 l’imaginaire cinéphilique.
Le premier obstacle qui permettrait d’apprécier Beyond Thunderdome est incontestablement le casting. Passons rapidement sur le cas de la dizaine d’enfants jouant tant qu’ils le peuvent des sauvageons victimes premières de apocalypse : le vrai problème réside essentiellement sur les deux têtes d’affiche du film. Si Mel Gibson est toujours aussi charismatique il n’est pas aidé par son rôle. Infiniment plus bavard que dans les autres films de la tétralogie, Max perd incontestablement son côté mystique et impénétrable qui formait, pour une grande partie, l’aspect ambigu de son personnage. Face à cet homme viril et revenu de tout, les cinéaste ont opposé une femme : Entity joué (affreusement) par…Tina Turner. Têtue et castratrice, elle gère une ville marchande puisant sa source d’énergie dans l’excrément de porc. Alors qu’il sillonne le désert, l’ex-policier de la route se fait agresser et voler ses biens. En poursuivant ses voleurs, il arrive dans «cette ville du troc ». Devenu mercenaire engagé par cette méchante reine pour tuer un de ses rivaux, Max devient le leader de la révolte, aidé en cela par une tribu d’enfants abandonnés. Bénéficiant d’un scénario simpliste mais également de décors, voitures et costumes similaires à Mad Max 2, Beyond Thunderdome détruit l’effet de surprise ainsi que la « progression » psychologique de la société et des individus tentant d’y survivre.
Alors qu’entre les deux premiers films, la cassure s’opérant dans l’espace diégétique fait considérablement évoluer les hommes et leur civilisation, la rétrogradation opérée dans ce troisième long-métrage laisse circonspect. Même si la volonté de la part du cinéaste est d’imposer la vision d’une renaissance après le chaos, l’objet finalisé, purgé des violences traumatisantes présentes alors dans la saga, devient un pamphlet simpliste sur la renaissance et la reconstruction par l’enfance.
Car, ce qui perturbe énormément la vision de cette œuvre bancale provient d’un symptôme bien connu des fans. En 1983, pour une raison encore inconnue, George Lucas énerva son public et la majorité de son impressionnante cohorte de fans en intégrant dans la troisième partie des aventures de Han Solo et Luke Skywalker, une nouvelle espèce plus proche de Winnie L’Ourson que de rebelles sanguinaires : Les Ewoks. Disney-ification des esprits, volonté marketing plutôt qu’artistique, etc… au final peu importe la raison tant les dommages créés par ces boules de poils sur pattes furent considérables. La noirceur et la violence de L’Empire contre-attaque furent ainsi gommées d’un coup par l’introduction de ces figures puériles. Privilégiant l’aspect marchand et la puissance commerciale de ces oursons au détriment de l’aspect mythologique de sa légende, Lucas trahit un public ébahit devant tant d’ingratitude et le public adulte de Star Wars se sentant floué, dénigra ce long-métrage ubuesque.
Dans le troisième volet des aventures de Max, la scission fut certainement moins nette mais l’introduction en milieu de récit d’une troupe d’enfants sauvages que le justicier va conduire à la révolte, entraîna une édulcoration du propos malvenue entraînant un profond mépris de la part d’une audience soucieuse de scènes violentes agissant en guise d’exutoire. En atténuant fortement la violence des deux premiers tomes de la saga, les deux George déconstruisirent involontairement un mythe en reniant ses fondamentaux et porta un coup fatal à l’ensemble de l’œuvre à tel point que le public dut attendre trente années avant de voir sur grand écran une suite des aventures de ce héros légendaire.
Vous l’aurez compris, peu de choses sont à retenir de Mad Max Beyond Thunderdome. De l’aveu même du créateur de ce personnage mythique, ce troisième opus est très différent des deux premiers à tel point qu’il aurait pu se faire sans le personnage de Max. D’ailleurs la réaction négative et un poil ulcéré de la plupart des fans lésés par cet opus des plus insignifiants laisse à penser qu’il n’y aurait jamais eu de Mad Max 3 avant la production dantesque et furieuse de Fury Road.
Fabrice Simon
Titre original : Mad Max Beyond Thunderdome (1985)
Réalisation : George Miller et George Ogylvie
Scénario : Terry Hayes et George Miller
Acteurs principaux Mel Gibson, Tina Turner, Bruce Spence
Musique : Maurice Jarre
Directeur de la photographie : Dean Semler
Producteur : Terry Hayes
Pays d’origine : Australie et États-Unis
Format : couleur — 35 mm — 2,20:1 — son monophonique
Durée : 107 minutes
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