Il y a un mystère dans le cinéma et dans ce qui fait, ou ne fait pas, un succès ou un échec. Quelle que soit l’œuvre, son origine, ses qualités et ses défauts, son appréciation ne sera jamais que le reflet de sa rencontre avec son public. Ainsi si les blockbusters font toujours recette par la grâce de budgets publicitaires indécents, d’autres se montrent plus malins et utilisent avec une belle efficacité les réseaux mis à leur disposition pour créer le “buzz” incontournable aujourd’hui. Internet, terre de liberté s’il en est, est l’une de ces armes nouvelles, celle qui peut aider à ouvrir des portes, accrocher le spectateur potentiel et jouer sur l’attente savamment orchestrée pour créer l’envie. Mais c’est aussi une arme à double tranchant qui peut se retourner in fine contre les créateurs malgré leurs bonnes intentions.
Six ans après qu’une sonde de la NASA se soit écrasée à son retour de mission, la moitié du Mexique bordant la frontière US est considérée comme “zone infectée” et interdite. Des créatures gigantesques, céphalopodes monstrueux rappelant aussi bien les pieuvres de nos profondeurs que le grand Cthulhu, s’y sont installées et multipliées, rognant sur l’espace humain. Les armées mexicaines et américaines tiennent la zone sous haute surveillance, larguant quotidiennement des tonnes de produits chimiques destinés à éradiquer l’invasion.
Andrew, photo-reporter cynique à la recherche du cliché qui lui rapportera le plus, se voit dans l’obligation de reconduire Samantha, la fille de son patron, aux Etats-Unis où l’attend son fiancé qu’elle rejoint avec pourtant peu d’entrain. À la suite du vol de leurs papiers, les voilà donc contraints de passer par une filière clandestine et, par conséquence, de traverser la zone infectée alors que l’activité des aliens est à son plus haut.
Pitch simple, personnages déjà vus dans nombre de comédies romantiques : Monsters ne se distingue véritablement que par ce que laisse entrevoir sa bande annonce. Sans dévoiler ses monstres, mais laissant à chaque instant sentir leur présence et le poids de leurs actions. Ici un avion de chasse abattu, là un bateau planté au sommet des arbres, écho lointain au Fitzcarraldo d’Herzog. Et puis le film est un petit budget ambitieux, ne présentant que deux acteurs professionnels en tête d’affiche, le reste du casting étant recruté sur place selon les besoins. La rumeur enfle, l’attente se fait fébrile. Hélas. Ceux qui bientôt voient le film ne peuvent, en grande majorité, dissimuler leur déception. Car s’il est bon de créer une attente, le résultat doit se montrer à la hauteur et, au minimum, combler les espoirs du spectateur à défaut de les surpasser. Comme en son temps Cloverfield (auquel Monsters est abusivement comparé) avait fait baver tout le monde avec la tête de la statue de la liberté s’écrasant au beau milieu des passants avant de généreusement montrer une créature sortie d’on ne sait pour détruire New-York. Et c’est sans doute là le point d’achoppement, celui qui porte à Monsters le coup fatal : le malentendu. Car Monsters n’est pas un film de monstres mais un film avec des monstres. La nuance peut paraître mince mais elle est d’importance tant elle se reflète dans l’ADN même du film.
La plupart des critiques négatives, venant de professionnels ou de simples quidams, n’ont ainsi jamais considéré le film pour ce qu’il est mais pour ce qu’il aurait dû être dans leur inconscient. Venus voir une énième invasion de la terre par des extraterrestres belliqueux, il sont forcément ressortis de la projection déçus. Au contraire du tout récent Skyline, série B boursouflée qui démontre surtout que les frangins Strause n’ont pas plus de talent quand ils ont les mains libres que lorsque les méchants producteurs d’Hollywood leur filent des millions pour faire un Alien vs Predator : Requiem qu’ils renient très fort aujourd’hui.
De quoi parle Monsters ? De gens lâchés en territoire hostile et avec lequel ils doivent composer pour survivre. Mais ce constat ne s’applique pas qu’aux deux héros. À leur image, les “monstres” du film sont aussi des êtres perdus dans un endroit qu’ils doivent apprendre à maîtriser. Souvenons-nous qu’ici les extra-terrestre ont été ramenés par la sonde de la NASA et qu’en aucun cas ils n’ont débarqué dans leur soucoupe volante avec la volonté d’asservir l’homme. Si leur présence a un impact direct sur la société des hommes, qui est allée les chercher, et sur cette nouvelle nature à laquelle ils doivent s’acclimater, c’est bien à leur insu. Tout comme Andrew et Sam, les poulpes géants sont des clandestins essayant de survivre. Mais leur gigantisme et leur nature même d’animal en font des ennemis qu’il faut au mieux dompter, au pire éliminer.
Limité par un budget minimal, Edwards se garde bien de donner dans la surenchère spectaculaire et se concentre sur l’atmosphère générale. Même sans les voir, les monstres sont là, tout autour des personnages. Les marques de leur présence sont autant des preuves tangibles, comme cette carcasse enfouie sous les décombres d’un immeuble de Mexico City, que les traces qu’ils laissent dans la vie quotidienne : iconisation à travers les graffitis sur les murs, intégration à la vie culturelle par le dessin animé, nécessité de conserver un masque à gaz à portée de main en cas de frappe de l’armée… Une accumulation de détails qui rend leur existence tangible aux yeux des spectateurs.
Ce sentiment de réalisme est admirablement rendu par le travail d’Edwards, qui emprunte plus au documentaire qu’à la fiction classique. La caméra est au plus prés des personnages, toujours portée mais jamais agitée. Guidés par un synopsis de quelques pages, les deux acteurs improvisent quotidiennement leurs dialogues dans une volonté certaine d’accentuer ce réalisme. Fort heureusement, autant Scoot McNairy (vu dans The Shield) que Whitney Able (la jolie blonde de All The Boys Love Mandy Lane, c’était elle) sont à la hauteur de la tâche. Leur parfaite maîtrise du jeu et la profonde confiance qui les unit (ils étaient alors un couple à la ville et ont été en partie recrutés sur ce critère) confère à leurs personnages une humanité et une fraîcheur qu’ils n’auraient sans doute jamais eu dans le cadre d’un script trop écrit, même si la progression dramatique les amènera à se rapprocher comme il est d’usage. Edwards se permet même de boucler son film sur une scène étonnante, d’une douceur inattendue, presque poétique.
Alors définitivement, non, Monsters n’est pas le film que le public attendait. Il est bien plus intéressant que cela et mérite d’être (re)découvert pour ce qu’il est — et non pour ce que certains auraient voulu qu’il soit.
Julien Taillard
> Monsters est disponible en France depuis le 06 avril en DVD et Blu-ray chez M6 Video