Après une participation à l’écriture du scénario du film espagnol Le Pianiste de Mario Gas (1997) d’après Manuel Vazquez Montalban – avec Serge Reggiani et Laurent Terzieff – et un petit rôle dans la dernière aventure d’Indiana Jones par Steven Spielberg, l’Uruguayen Gustavo Hernández nous livre son premier long-métrage après s’être fait la main sur de nombreux courts depuis 1998. Conçu comme un unique plan séquence de quatre-vingt six minutes, The Silent House (La Casa Muda pour le titre original) fait le choix d’une narration en temps réel, à la manière de la série 24 Heures Chrono (chroniquée tout récemment sur ce blog). Même si Hernández (qui occupe également les postes de coscénariste et de monteur) s’en défend, le projet ressemble plus à un exercice de style – sans doute intéressant pour l’équipe du film et les apprentis cameramen souhaitant parfaire leur apprentissage – qu’à un véritable film destiné au public. Le cinéaste justifie ses choix de mise en scène et d’unité temporelle par la volonté de « faire naître [chez le spectateur] des sensations identiques à celles provoquées par un grincement étrange dans une maison, ou par l’émotion suscitée par un grave accident de voiture qui se produit à côté de soi, sans ellipse ni altération du temps au moment du montage » (Dossier de presse). Une immersion totale du spectateur, nécessaire pour qu’émergent la peur et l’angoisse attendues par l’amateur d’épouvante et d’horreur au cinéma. Les intentions d’Hernández sont louables et sincères : « c’est […] la forme de narration la plus honnête que j’ai trouvée pour transmettre mes peurs les plus élémentaires, en essayant de créer un langage cinématographique spécifique ». Malheureusement, le résultat n’est jamais à la hauteur de l’ambition affichée par le cinéaste uruguayen.
Passons sur le fait que ce langage cinématographique ait été expérimenté à de nombreuses reprises auparavant… Les cinéphiles avertis et pointilleux s’amuseront sans doute à tenter de détecter les « failles » et décortiqueront le métrage afin de repérer les moments où le réalisateur aurait pu effectuer d’éventuelles coupes invisibles (ce plan sans aucune lumière laissant les spectateurs devant un écran totalement noir ; la séquence finale de course dans la forêt, caméra à l’épaule, où l’image vacillante et le flou permettraient d’orchestrer une hypothétique supercherie). Le célèbre plan séquence de Brian De Palma dans Snake Eyes et l’ensemble du film du grand Alfred Hitchcock La Corde, par exemple, avaient déjà fait l’objet d’une analyse critique minutieuse de certains, persuadés de l’impossibilité de shooter sans aucun cut de longues scènes compliquées à tourner compte tenu des contraintes logistiques et du jeu des acteurs. La réussite du procédé dans La Casa Muda provient, d’après Gustavo Hernández, de l’utilisation d’un appareil photo léger et très maniable, facilitant la prise de vues par la capacité qu’il donne à l’équipe de tournage de se mouvoir aisément dans un décor intérieur limité – une vieille maison délabrée et isolée en pleine campagne – que les personnages principaux arpentent durant une nuit. Quelles que soient la véracité et la sincérité du film par rapport à ses intentions quant au procédé du plan séquence unique (soyons honnêtes… On s’en fout royalement en fait !), la réussite d’un tel projet ne peut se mesurer qu’à l’aune de son efficacité émotionnelle (éventuellement esthétique) et non de son exploit technique. Quel effet le procédé a-t-il sur le spectateur ? Quelles émotions cherche-t-on à susciter chez ce dernier ? Y parvient-on ? Et force est de constater que c’est principalement l’ennui qui assaille le spectateur au cours du visionnage de cette « maison silencieuse »…
Avouons-le de suite, l’amateur du genre prendra un plaisir (et un seul…) lorsqu’une main se glissera soudainement sur l’épaule de l’héroïne Laura (Florence Colucci)… Sursaut assuré ! L’efficience de la scène ne doit par contre rien au procédé atypique adopté par Hernández, mais relève des codes du genre bien ancrés dans l’esprit des fans de films de maison hantée. The Silent House respecte d’ailleurs scrupuleusement ces codes et les attentes du spectateur lambda, au point de confiner au ridicule tant le scénario manque de surprises : un premier bruit assourdissant résonne au grenier… « Tiens ?! Un deuxième bruit ?!? Ça recommence !!! Mon Dieu !!! »… « Non Papa, ne monte pas s’il te plaît !!! Il y a quelqu’un là-haut !!! »… Et oui monsieur, mais en même temps, vous avez été prévenu ! Bref… Ce n’est pas l’intrigue – inspirée de faits réels, évidemment… – qui réussira à raccrocher un spectateur luttant contre la somnolence provoquée par la mise en scène d’Hernández. Les déambulations de la jeune Laura dans cette demeure où se manifestent des phénomènes paranormaux s’éternisent tellement qu’ils désamorcent totalement la tension de ces instants où la topographie des lieux est présentée aux personnages et aux spectateurs. L’expérience cinématographique sera donc des plus pénibles et interminables – malgré une durée de film assez courte – d’autant que le métrage se conclura par un twist éventé (certains diront malhonnête, et on ne pourra les blâmer au vu de l’incohérence avec tout ce qui précède) qui arrive avec des sabots taille cinquante six !
Le défaut d’appétence pour cette histoire et d’intérêt pour les personnages ne sera pas comblé par les efforts de Gustavo Hernández pour rompre la monotonie du récit par sa mise en scène, souvent habile il faut le reconnaître : cadrages bien préparés ; alternance de gros plans et plans moyens, sur les personnages mais aussi sur les objets du décor ; éléments de ce décor qui s’intercalent entre l’œil de la caméra et les protagonistes ; visages saisis dans le reflet de miroirs ; basculement entre « vue extérieure » et vue subjective, etc. Le talent du cinéaste ne fait pas de doute, mais ses qualités sont malheureusement totalement éclipsées par la stérilité et l’asthénie d’un projet vain et insignifiant. Gustavo Hernández n’a visiblement pas compris que la technique cinématographique du plan séquence doit être utilisée avec parcimonie et modération, et que son emploi doit s’inscrire dans une finalité bien précise – transmettre une émotion particulière, souligner un motif ou une thématique – et non porter un projet de cinéma total. Le propre du langage cinématographique réside précisément dans des « images montées », car – faut-il le rappeler ? – c’est essentiellement le montage qui créé le rythme du film. Même Hitchcock s’était rendu compte de son erreur avec La Corde. Les ellipses font partie intégrante de la narration, et le « temps perdu » des récits cinématographiques ne sont pas un « temps vide », mais participent pleinement à la progression des intrigues. Le réalisateur semble l’avoir oublié, et sa Casa Muda s’enlise dans un « temps-vérité » quasi-immobile à l’effet anesthésique chez le spectateur.
Si le métrage n’avait été pensé que comme une expérimentation d’un cinéaste en devenir, un projet égocentrique n’ayant vocation qu’à apprendre le métier, l’indulgence aurait été de mise. Mais le statut commercial du film – qui sort en salles après une présentation en compétition officielle à Gérardmer en janvier dernier, alors que des métrages également en liste au festival et bien meilleurs se contentent d’une pauvre sortie direct-to-video – n’encourage pas à une quelconque bienveillance ou mansuétude. Les producteurs et distributeurs s’étonneront peut être de la réticence du public (plusieurs spectateurs quittèrent la salle à Gérardmer… sic…), l’échec commercial du film, quant à nous, ne nous surprendrait guère. Avec son histoire sans une once d’originalité et son peu de moyens, The Silent House serait passé parfaitement inaperçu sans son concept vendeur qui attira l’attention des programmateurs de festivals (Gérardmer mais également Cannes, dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs en 2010 !) qui semblent peiner à trouver des métrages de qualité. La perspective d’un film d’horreur « exotique » qui « révolutionne » le genre par une remise en cause du langage cinématographique devrait d’ailleurs trouver des cinéphiles prêts à encenser ce qui n’est en fait qu’un film « baudruche »… Un métrage qui fait pschitttttt quoi… On est très loin de l’expérience [REC] de Jaume Balagueró et Paco Plaza, cité comme l’une des références par Gustavo Hernández. Sans cette médiatisation qui explique sa sortie sur nos écrans ce mercredi, les cris de terreur de la jeune Laura n’auraient jamais franchi les murs de cette Casa Muda uruguayenne.
Fabien Le Duigou
> Sortie en salles en France le 16 mars 2011
> À propos de « vrai/faux paranormal », lire aussi notre chronique sur le sujet avant l’annonce de la sortie du film Phénomènes paranormaux.
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