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Sept ans après le succès mérité de sa série documentaire Mondovino, Jonathan Nossiter – qui entre temps a acquis la nationalité brésilienne – nous revient avec une comédie rafraîchissante matinée de chronique sociale et d’étude anthropologique. Film-chorale, Rio Sex Comedy s’attache à des personnages hauts en couleur et d’horizons divers. La plupart sont expatriés : un chirurgien esthétique britannique (Charlotte Rampling) qui passe la plupart de son temps à dissuader ses clientes de passer au bistouri, l’ambassadeur américain (Bill Pullman) qui se fait la malle dans les favelas pour fuir ses responsabilités, une anthropologue documentariste française (Irène Jacob) qui se détournera vite de son travail pour coucher avec le beau-frère de son mari, un guide touristique (Fisher Stevens) qui propose des virées dans les quartiers sensibles de la ville… Tous ces personnages étrangers (qui portent d’ailleurs le nom de leur interprète, à l’exception de William l’ambassadeur) vont entrer en contact avec la population locale, mais Nossiter a la bonne idée de ne pas abuser des clivages culturels comme de ressorts essentiellement comiques. Sa démarche est autre, plus intelligente. Plutôt que de clivages, il faut alors parler de frontières, que les protagonistes vont s’amuser à franchir allègrement.

Nossiter, dans un premier temps, cherche a véritablement dresser le portrait d’une mégalopole où peuvent se côtoyer à quelques centaines de mètres favelas et immeubles huppés. Le personnage d’Irène Jacob est ainsi le double du réalisateur. On la suit, accompagnée par une traductrice, et bientôt par son futur amant cadreur, partir à la rencontre des femmes de ménage de la ville, pour mieux cerner leurs conditions de travail ainsi que leurs rapports avec ceux qui les emploient. Rio Sex Comedy pose ainsi d’entrée la problématique des classes sociales. Et les questions que pose Irène lui reviennent comme un écho dans sa propre vie privée, depuis qu’elle et son mari ont décidé d’employer à leur tour une « bonne » (Maria-Angelica), qui s’occupera de faire leurs courses, d’emmener les enfants à l’école, et de réaliser toutes les tâches domestiques. Et le film de souligner la rigidité des codes établis, qui poussent la famille à ne partager aucun repas avec celle qui les prépare, ou encore à la laisser dormir dans un cagibi près de la cuisine.

Il faudra l’arrivée d’un personnage atypique (Robert, le beau-frère cadreur), pour modifier la donne. Et Robert n’y va pas de main morte. Son arrivée à l’aéroport de Rio, affublé du maillot de l’équipe de football du rival argentin, est déjà un gag en soi. Ce personnage décomplexé prendra vite ses libertés, tant dans le travail, que sentimentalement. Car en plus de tromper la confiance de son beau-frère avec sa femme, on apprendra au final qu’il aspire à faire sa vie avec Maria-Angelica. Toute la réussite du film de Nossiter est ainsi résumée dans ce qui peut nous paraître absurde. Rio Sex Comedy s’amuse des frontières sociales en place au Brésil, pour mieux les dynamiter et faire réagir le spectateur. Le « Sex » du titre nous informe qu’il n’y a pas de meilleure solution pour remettre à égalité riches et pauvres, que l’acte sexuel, qui met à nu tous les protagonistes. Pas étonnant, alors, de voir Antoine (le mari d’Irène), apporter des cadeaux à sa maîtresse au milieu d’une favela gardée par des hommes armés. Le salut des personnages semble passer par le franchissement d’une barrière, qui fait passer outre les habitudes sociales et/ou sexuelles.

Rio Sex Comedy devient aussi un film sur les frontières entre les sexes, où le pouvoir ne s’exerce plus seulement en fonction de l’épaisseur du porte-monnaie. Dans ce culte du corps qui semble obséder une partie de la population aisée de la ville, il n’est pas rare de tomber sur des spécimens qui mettent à mal la dualité homme / femme, et par la même occasion les idées reçues. Ainsi, dans la première bobine, une femme bodybuildée arrive à l’hôpital où exercera Charlotte, pour exposer à l’assistance (les élèves internes et leurs professeurs) son absence de poitrine qui passe pour un manque de féminité. Plus tard dans le film, une prostituée fera écho à cette femme. Au moment de passer à l’acte avec elle, Antoine et le spectateur découvrent qu’il s’agit d’un transsexuel. Nossiter, en plaçant ici et là des détails de ce type, ne fait pas autre chose que le constat d’une société plus complexe qu’il n’y paraît, où les frontières sociales et sexuelles sont brouillées.

Pour mieux affirmer sa position politique et idéologique, il prend un malin plaisir à filmer des femmes riches et vieillissantes dont les visages se figent horriblement sous les injections de botox. Car Nossiter, dans ce beau film-hommage à Rio, prend position pour les plus faibles, pour le peuple « vivant » qui habite les favelas (en opposition aux corps morts et botoxés des riches). Et si Irène est son double créatif, l’ambassadeur, lui, est son pendant idéologique. Tous les deux sont américains, roulent leurs bosse de part le monde, et expriment un certain rejet pour l’Empire capitaliste. Quand William se retrouve dans les favelas, entouré de personnes tenues à longue distance des discussions diplomatiques, il se retrouve pris dans un piège qu’il finira par aimer, au point de vouloir créer une ONG pour venir en aide aux défavorisés. En faisant alors tomber son film dans la comédie absurde et doucement cynique, Nossiter évite de faire la morale aux spectateurs, caricaturant juste ce qu’il faut le travail de l’ambassadeur et de ses associés dans une divine présentation de leur projet à de futurs investisseurs.

Malgré ses apparences de comédie débridée, le film ne tombe jamais dans l’excès, et est par conséquent d’une justesse de ton remarquable. De peur d’en faire trop, de tomber lourdement dans la caricature facile et politiquement correcte, Nossiter travaille avec finesse et humanité la destinée de ses personnages. Les nombreuses qualités de Rio Sex Comedy dépendent ainsi essentiellement de son écriture millimétrée et corrosive. On en oublierait presque que Nossiter néglige, presque ostensiblement, la mise en scène. Le talent des comédiens et le propos finement engagé de l’auteur suffisent toutefois à emporter notre adhésion. Ce n’est pas le film de l’année, mais ça mérite largement plus qu’un coup d’œil.

Julien Hairault

> Le film sort en salles en France le 23 février



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