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On n’en connaissait finalement que sept et voilà qu’ils sont 101 à se bousculer dans ce livre incontournable édité par Carlotta, le Dictionnaire du cinéma japonais, sous la direction de Pascal-Alex Vincent. J’exagère à peine : sans parler des fameux sept samouraïs, qui est capable de compter les cinéastes japonais qu’il connaît sur les doigts des deux mains (spécialistes s’abstenir) ? Ils ne doivent pas être nombreux.

 

« Les sept samouraïs » d’Akira Kurosawa

 

Après une édition limitée comportant le livre et six DVD (Coffret l’Âge d’or du cinéma japonais), voici donc la version livresque du projet, sans les films. En limitant ce dictionnaire aux années 1935-1975, les auteurs prennent en compte la période classique qui inclut tous les grands genres. On ne verra ici aucune notice sur Naomi Kawase, Hirokazu Kore-eda, Takeshi Kitano ou Kiyoshi Kurosawa (qui signe la préface). On retrouvera en revanche les cinéastes mondialement reconnus, à commencer bien sûr par la trilogie des maîtres (Mizoguchi, Kurosawa, Ozu) mais aussi Kinugasa, Naruse, Gosho. Ceux qui firent la Nouvelle vague japonaise : Oshima, Hani, Shindo, Imamura, Kobayashi, Yoshida. Ceux qui donnèrent leurs lettres de noblesse aux yakuzas, à commencer par Seijun Suzuki et Kinji Fukasaku. Et les déviants, dont on ne connaît ici que quelques films : Yasuzo Masumura, Shuji Terayama… Ou ceux qui se sont illustrés dans les pinku eiga, aussi appelés les Roman-Porno, dont quelques titres sont sortis en DVD chez nous, signés Tatsumi Kumashiro, Shogoro Nishimura ou Noboru Tanaka – mais ces deux derniers sont curieusement absents du dictionnaire.

 

Un personnage dessiné par Kenzô Masaoka

Et puisqu’on en est à ceux qui manquent à l’appel — évidemment, tout nouveau dictionnaire de cinéma doit passer sous ces fourches caudines —, on est en droit de se questionner sur la présence ou pas du cinéma d’animation. Miyazaki débute en 1979, trop tard pour la période choisie, mais Takahata, qui réalise dès 1968, n’est pas plus présent. Alors, on se rattrapera avec Noburo Ofuji, « premier animateur japonais reconnu en dehors de son pays » prévient Marie Pruvost-Delaspre dans sa notice, Kenzô Masaoka, « le père de l’animation japonaise », Yôji Kuri, « fer de lance de l’animation indépendante », ou Eiichi Yamamoto, « reconnu pour la réalisation de Belladonna, film à la fois emblématique de l’animation expérimentale des années 1970 et à part dans l’industrie japonaise du dessin animé », selon la même Marie Pruvost-Delaspre.

 

Kinuyo Tanaka, actrice de Mizoguchi et réalisatrice

 

Il ne s’agira donc pas de pointer qui est présent et qui est absent mais de reconnaître que ce continent massif et inconnu qu’est le cinéma japonais méritait ce bel hommage.

 Une fois que l’on aura lu les notices très détaillées des cinéastes majeurs, on pourra prendre plaisir à feuilleter dans le désordre le dictionnaire. On apprendra ainsi que Toshiro Mifune, l’acteur de prédilection de Kurosawa, a tourné un film en temps que réalisateur. Un seul, parce qu’il était trop gentil. Que Chusei Sone, cinéaste de Roman-Porno des années soixante-dix, eut un parcours plutôt mouvementé, entre cinéma, yakuzas et… aquaculture. Ce sera également l’occasion de découvrir Masahiro Makino, que l’auteur de l’article, Junko Watanabe, compare à Raoul Walsh. En quelque « deux cent soixante longs-métrages en cinquante ans », Makino a abordé tous les genres. D’en savoir aussi beaucoup plus sur la carrière du cinéaste anarchiste Kôji Wakamatsu. D’aborder l’œuvre de Nobuo Nakagawa, « Terence Fisher japonais » (Stéphane du Mesnildot), ou celles de Kinuyo Tanaka (également grande actrice chez Mizoguchi) ou Tazuko Sakane, « première réalisatrice japonaise en 1936 » (Junko Watanabe).

 

Un film de Hiroshi Shimizu, considéré par Mizoguchi comme un génie

 

Au fil des pages, on apprend aussi l’existence d’un « accord d’autorité » des cinq studios des années soixante, qui interdisait de se prêter ou de s’échanger acteurs et metteurs en scène. Que le « roi du cinéma familial » se nomme Kôji Shima. Et que Hiroshi Shimizu, appartenant à « l’immense galaxie des cinéastes classiques » (Clément Rauger), était salué par Mizoguchi : « Ozu et moi sommes des travailleurs appliqués et laborieux, Shimizu, lui, a du génie ! »

Ajoutons à tout cela plusieurs planches de photographies. Désormais, avec ce dictionnaire, le cinéma japonais gardera certes quelques-uns de ses secrets qui en font sa fascination, mais il nous paraîtra moins éloigné, moins occulte, moins étrange. Mais toujours aussi dépaysant.


Jean-Charles Lemeunier

« Dictionnaire du cinéma japonais en 101 cinéastes », sous la direction de Pascal-Alex Vincent, paru chez Carlotta. Prix : 29,99 euros.

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