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Les deux titres du film donnent une indication géographique : Un gosse de la Butte, celui de sa sortie en 1964, et Rue des Cascades, celui de sa ressortie en salles par Malavida, le 19 septembre prochain. Nous sommes, c’est une certitude, à Belleville ! Quant aux premières images et leur beau noir et blanc, elles nous plongent dans un Paris qui n’existe plus, sa circulation peu dense et ses agents de la circulation. Et pourtant, le film est loin d’être passéiste. Il aborde plutôt des problèmes qu’on n’a pas fini de régler plus de cinquante après, avec en tête le racisme et la décolonisation. Maurice Delbez — 96 ans fin juillet — n’est pas passé à côté de son époque, loin de là !

 

 

Regardons déjà le sujet du film. Tiré d’un roman de Robert Sabatier, Alain et le Nègre, il raconte la souffrance d’une jolie quadragénaire (Madeleine Robinson), mère du petit Alain (Daniel Jacquinot), qui décide d’accueillir chez elle son amant noir (Serge Nubret, également connu dans les milieux du culturisme, qui fit une petite carrière d’acteur et chante ici avec la voix d’Henri Salvador). Grincements de dents assurés tant chez le gamin que parmi la clientèle du bistrot que tient Madeleine Robinson. Delbez ne juge pas. Il se contente de filmer les réactions, les commentaires de ces personnes confrontées à l’inconnu, en l’occurrence un homme noir. Ce sont de braves gens — entre autres ce vieux client fidèle interprété par René Lefèvre, qui aimerait bien finir ses jours auprès de Madeleine Robinson — et, pourtant, les propos racistes sur l’odeur ou la couleur de la peau sont bien là. « Pourquoi le Français n’est-il plus maître chez lui ? », se demande-t-on.

 

 

Face à tant d’aigreur, tant de noirceur, le personnage joué par Serge Nubret est exemplaire de gentillesse et de patience. Il part à la conquête de la bande de gamins qui gravitent autour du petit Alain, les fait rêver d’Afrique, transforme les tractopelles en éléphants et les grues en girafes. Ancré dans son présent, Rue des Cascades parle aussi des terrains vagues qui disparaissent et des grandes cités HLM en train de se construire.

 

 

Le film dresse en outre le constat d’un petit peuple qui ne parvient pas à dénicher l’amour, cette « maladie de gosses », assène Lucienne Bogaert, « comme la rougeole et la scarlatine ». Mal mariée, Suzanne Gabriello, autre habituée du commerce de Madeleine Robinson, n’assure-t-elle pas qu’elle « en a marre de faire l’amour comme on fait le ménage : sans amour propre » ?

 

 

Quant au personnage de Madeleine Robinson, plus âgée que son amant, elle sait très bien que celui-ci sera le dernier : « Après lui, j’aurai beau me tricoter des trucs, je n’aurai plus jamais chaud ! »

C’est que Maurice Delbez aborde plusieurs thèmes. S’il glisse quelques clins d’œil amusés — « Salut, la Nouvelle vague », lance René Lefèvre à Alain —, il renvoie face à face les Blancs racistes et ceux qui, comme la jeune Christine Simon, aiment se faire brunir au soleil : « Plus on est noir, plus on est beau », clame-t-elle. À noter aussi la réaction de la danseuse noire, amie de Serge Nubret, qui sait qu’il est devenu financièrement dépendant de Madeleine Robinson : « Ça recommence, la colonisation ? » Sans insister, avec beaucoup de pudeur, Rue des Cascades traite de questions essentielles. Ce qui n’empêche pas Delbez d’évoquer aussi le vieillissement et la quête du bonheur dans ce joli film qu’on aura plaisir à redécouvrir en salle.

Jean-Charles Lemeunier

Rue des Cascades / Un gosse de la Butte
Année : 1964
Origine : France
Réal. : Maurice Delbez
Scén. : Maurice Delbez, Jean Cosmos d’après Robert Sabatier
Dial. : Jean Cosmos
Photo : Jean-Georges Fontenelle
Musique : André Hodeir
Chanson : Henri Salvador
Montage : Andrée Verlin
Avec Madeleine Robinson, René Lefèvre, Serge Nubret, Lucienne Bogaert, Suzanne Gabriello, Daniel Jacquinot, Christine Simon…

Sortie en salles par Malavida le 19 septembre 2018.

 

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