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Sortie chez Pathé Films en combo Blu-ray/DVD, la version restaurée de La môme vert de gris (1952) nourrit une attente due à la légende de ce fleuron de ce que l’on a appelé « le film noir à la française ». Et, curieusement, même si le film peut décevoir par son manque de punch, voilà bien le genre de DVD que l’on est content de voir et revoir voire d’avoir dans sa vidéothèque. Parce que, tout à la fois, il entretient et casse le mythe.

Ce mythe, quel est-il ? Il est lié à l’arrivée massive, pour cause de libération de la France, des polars américains menés de mains de maître par les Bogart et consorts. On retrouve, dans La môme vert de gris, bien que le film soit inspiré d’un roman anglais qui, lui-même, lorgne sur la littérature hard-boiled US, plusieurs éléments des fameux films noirs : un héros au style décontracté, une femme fatale — une blonde qui fume, crénom de nom ! —, un méchant qui a la classe et qui renvoie au George Macready de Gilda (1946) ou à Everett Sloane dans La dame de Shanghai (1947) et, enfin, un décor exotique, ici le Maroc et les souvenirs du Casablanca de Michael Curtiz.

 

 

Une fois plantés les personnages et l’ambiance, reste à placer l’intrigue. C’est sans doute là où le bâts blesse quelque peu. S’inspirant du roman de Peter Cheyney qui ouvrit en 1945 la collection Série noire — avec des tirets pour vert-de-gris, contrairement au film —, créée par Marcel Duhamel chez Gallimard, le scénario de Bernard Borderie et Jacques Berland reste malgré tout mou du genou parce que les deux compères n’ont pas osé se servir à fond des pourtant beaux seconds rôles qu’ils avaient à disposition. Pensons quand même que, parmi tous les personnages secondaires, nous avons Maurice Ronet, Dario Moreno, Roger Hanin, Georges Wilson, Jess Hahn, Giani Esposito et deux vieux de la vieille, Gaston Modot et Philippe Hersent, qui ne font tous qu’une trop courte apparition. C’est un peu dommage, si ce n’est le plaisir de les retrouver tous (à part Modot et Hersent, bien sûr) aussi jeunes et quasi anonymes. Autre curiosité : qu’on ait confié à Paul Azaïs, vedette populaire de l’entre-deux guerres, qu’un rôle de barman laconique. Mais cela est dû certainement à la commotion dont fut victime l’acteur suite à un accident et qui lui laissa quelques trous dans la mémoire.

 

Jacques Ary, Howard Vernon, Nicolas Vogel, Dominique Wilms, Eddie Constantine

 

La môme vert de gris marque les débuts ou presque du réalisateur (c’est son deuxième long-métrage) et d’Eddie Constantine. Partenaire de Piaf — une autre môme célèbre —, le chanteur n’a fait que de courtes apparitions avant cela dans des films oubliables. Remarquée par le cinéaste Edmond T. Gréville alors qu’elle est mannequin, la pulpeuse Dominique Wilms fait ici ses premiers pas à l’écran. Quant au personnage de Lemmy Caution, créé par Peter Cheyney, il n’est apparu que dans un sketch du film Brelan d’as (Henri Verneuil), en octobre 1952, sous les traits de John Van Dreelen. La môme sortira quelques mois plus tard, le 27 mai 1953. Constantine endossera à nouveau les traits de l’agent du FBI dans Les femmes s’en balancent (1953, Bernard Borderie), Cet homme est dangereux (1953, Jean Sacha, dont Bertrand Tavernier dit le plus grand bien), Vous pigez (1956, Pierre Chevalier), Comment qu’elle est ? (1960, Bernard Borderie), Lemmy pour les dames (1962, Bernard Borderie), À toi de faire… mignonne (1963, Bernard Borderie), Alphaville (1966, Jean-Luc Godard), Macaroni Blues (1986, Bela Coepasanyi et Fred Sassbo), Allemagne année 90 neuf zéro (1991, Jean-Luc Godard) et Le retour de Lemmy Caution (1989, Josée Dayan) pour la TV, sans compter en 1981 un épisode d’une série autrichienne. Bref, une nombreuse progéniture issue de cette Môme, c’est dire son importance historique. À signaler en bonus du combo de Pathé la sympathique interview d’Eddie Constantine qui raconte ses premiers pas dans le métier…

 

 

Constantine tient le film grâce à sa décontraction et son accent. Dragueur impénitent, il fait du charme à toutes les filles qui passent à portée de son sourire. Telle Jacqueline Noëlle, une des employées de l’aéroport, qui remarque : « Vous, vous devez être du Midi en Amérique » tant notre ami pousse la galéjade un peu loin. Face à lui, Dominique Wilms est à l’aise dans ce jeu de dupes où, à la manière des stars hollywoodiennes, elle est à la fois garce et salvatrice.

 

 

À ses côtés, dans le camp des méchants, Howard Vernon qui venait d’être remarqué grâce à son rôle de l’officier allemand dans Le silence de la mer (1947) de Melville est suave à souhait. Le futur interprète fétiche de Jess Franco apporte une ambiguïté salutaire à ce personnage de malfrat, à la fois inquiétant et parfois sympathique.

Malgré la volonté de Borderie et de son père, le producteur Raymond Borderie, de s’apparenter le plus possible aux récits hollywoodiens qui passionnent les foules, il est néanmoins une séquence qu’on ne peut trouver que dans un film français de cette époque : celle du strip-tease d’ouverture, le genre de scène jetée illico presto dans les poubelles de la censure avant même d’être tournée chez nos voisins d’outre-Atlantique. Et un surnom qui, on ne se refait pas, dépasse les limites de la franchouillardise dans la traduction qu’en a faite Marcel Duhamel lui-même puisque cette Môme vert de gris était surnommée, dans le roman original, Poison Ivy. Un nom qui vient d’une plante vénéneuse, le sumac. Ça a quand même un peu plus de gueule, non ? Et qu’on n’aille pas dire que le British Peter Cheyney est allé reluquer du côté des comics américains puisque la Poison Ivy de Batman n’a fait son apparition dans la bédé qu’en 1966 !

 

 

Pour toutes ces raisons historiques, La môme vert de gris mérite une bonne place dans toute vidéothèque ne serait-ce que pour savourer le duo Wilms/Constantine, ne serait-ce que pour voir hurler un Maurice Ronet de 25 ans, cinquante kilos tout mouillé, qui démarrait une prolifique carrière. Ne serait-ce aussi que pour identifier, au fil des séquences, Jess Hahn en marin menotteur, Giani Esposito, comédien, chanteur et poète trop tôt disparu, en capitaine de bateau, Jean-Marc Tennberg, lui aussi poète à ses heures, en journaliste alcoolo et Roger Hanin en malfrat anonyme. À ses côtés, lui aussi dans un rôle de méchant, mentionnons encore Jacques Ary qui, dans les années soixante, en compagnie de Jacques Legras, fit les belles heures de La caméra invisible et que l’on voyait parfois, au cours d’une émission télévisée, commencer à se déshabiller jusqu’à ôter ses chaussettes et les enfiler par la tête pour se déguiser. C’était une autre époque !

Jean-Charles Lemeunier



La môme vert de gris


Origine : France
Année : 1952

Réal. : Bernard Borderie

Scén. : Bernard Borderie, Jacques Berland d’après Peter Cheyney

Photo : Jacques Lemare

Musique : Guy Lafarge

Montage : Jean Feyte, Colette Lambert

Cascades : Henri Cogan

Prod. : Raymond Borderie

Durée : 97 minutes

Avec Eddie Constantine, Dominique Wilms, Howard Vernon, Dario Moreno, Jean-Marc Tennberg, Maurice Ronet, Nicolas Vogel, Gaston Modot, Philippe Hersent, Jess Hahn, Paul Azaïs, Jack Ary, Roger Hanin, Georges Wilson, Jo Dest, Jacqueline Noëlle, Gianni Esposito, Henri Cogan, Raymond Meunier…

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Sortie en combo Blu-ray/DVD par Pathé Films le 11 avril 2018.


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