Eric Nuevo a certes déjà parlé d’Insidious lors de sa sortie en salles, au sein d’un article qui se refusait, à juste titre, de trop dévoiler l’intrigue du film, mais la récente parution du DVD et du BLU-RAY chez WILD SIDE VIDEO était l’occasion parfaite de revenir sur cet excellent film de façon plus détaillée afin de comprendre la mécanique à la base de sa réussite.
Passé un intriguant et assez flippant prologue, et un tout aussi bon générique, Insidious prend tout son temps à se mettre en place et surtout à installer le spectateur dans une fausse impression (et de ce fait, dans un faux confort) quant à son sujet et à son déroulement, à savoir une exploration de la famille américaine idéale et sa mise à mal via des manifestations surnaturelles extérieures qui seraient comme l’expression d’un malaise intérieur qui la gangrenait depuis longtemps. On rejoindrait là un peu l’idée du premier film de James Wan (et de son complice de toujours, le scénariste et acteur Leigh Wannell), Saw, dans lequel le malheur qui s’abattait sur les personnages par l’entremise de Jigsaw était la résultante d’une certaine apathie qu’ils éprouvaient quant à leur vie au point d’en venir à la gâcher (tous étant corrompu à des degrés divers) au lieu de la célébrer dans toute sa beauté. Et l’attitude extrême et violente de Jigsaw n’avait pour but que de réveiller les consciences avant qu’il ne soit trop tard, à l’instar de John Doe dans Seven de David Fincher. On retrouve donc cette même idée dans Insidious via notamment son personnage principal, Josh Lambert (interprété par le toujours aussi excellent Patrick Wilson) et sa façon de toujours vouloir ignorer les problèmes pouvant advenir à sa famille ou à lui-même en s’enfermant dans cette même apathie. Et ce, jusqu’à ce que sa femme Renai (Rose Byrne) lui lance à la figure le drap du lit de leur fils, la trace d’une main ensanglantée imprimée dessus, tout en lui demandant de réagir là-dessus. Un mal pour un bien, tel pourrait se définir le cinéma naissant de Wan.
En fait, non. En effet, passé une première heure où Wan semble nous jouer la carte de l’économie de moyens, rapprochant ainsi beaucoup son film de Sixième sens de M. Night Shyamalan (voire même de Signes le temps d’un passage avec un baby phone particulièrement angoissant) dans son sujet et dans sa mise en scène dépouillée mais précise, presque invisible mais percutante et viscérale dans ses moments chocs car utilisant avec une réelle efficacité des ficelles pourtant éculées depuis longtemps dans le cinéma d’horreur, Insidious bifurque alors totalement vers une autre direction plus démonstrative. Et Wan de citer copieusement Poltergeist de Tobe Hooper (et, avec plus de parcimonie, L’exorciste de William Friedkin) en en retournant carrément des pans entiers : l’adjonction d’un trio de « chasseurs de fantômes » bigarrés venu expliquer ce qui se passe et comment y mettre un terme, Josh passant de « l’autre côté » pour récupérer son fils perdu (là où, dans Poltergeist, c’était la mère qui faisait ce voyage afin de ramener sa fille). Mais, et c’est là où réside toute l’intelligence d’Insidious, ce revirement de situation ne se fait pas sans toutefois conserver un lien profond avec la première partie du métrage, les références au film de Hooper étant ici amalgamées au reste du film de façon cohésive. Là où Poltergeist était très lumineux et se voulait une tentative réussie de film d’horreur grand public où tout était fait non pas tant pour choquer qu’émouvoir (on pensera notamment à la musique de Jerry Goldsmith et à son superbe thème principal lié au personnage de Carol Anne, à la caractérisation précise des personnages alliant douceur et humour, à la légèreté du film dans son ensemble – la véritable différence entre un film indépendant et un film de studio se situant souvent ici, à savoir que là où le premier va se baser sur une intellectualisation de l’émotion, le second va jouer la corde sensible et embrasser à fond cette même émotion afin que le spectateur soit en totale empathie avec lui), Insidious, qui démarrait pourtant déjà dans des teintes sombres, est carrément plongé dans le noir total sur la fin lorsque Josh arpente l’autre monde aidé d’une simple lampe. De la même façon, Wan y conserve toujours ce regard détaché et froid sur les évènements et ce sens de l’épuration déjà à l’œuvre durant la première heure de son film et ce, afin de ménager les quelques moments de frayeurs graphiques qui jalonneront la fin et qui n’en deviendront ainsi que plus intenses viscéralement parlant. Il suffit d’ailleurs de se remémorer l’une des scènes finales de Sixième sens, celle de la discussion à chaudes larmes entre la mère et son fils dans la voiture, pour comprendre à quel point l’approche similaire de Shyamalan et Wan peut déboucher sur un résultat opposé. Aucune larme de bonheur ou autre n’a lieu d’être dans Insidious. Ce qui n’aurait pas du nous surprendre vu, qu’outre les nombreuses références à Poltergeist, il y en a une autre, plus insidieuse ai-je envie de dire, qui est faite en la personne de la mère de Josh, interprétée par Barbara Hershey, et son expérience passée avec le surnaturel (une anecdote terrifiante qui semble trouver ses origines dans la nouvelle de Stephen King, Le molosse surgit du soleil, tirée du recueil Minuit 2/Minuit 4), tant il semble être dans la continuité de celui qu’elle jouait dans L’emprise de Sydney Furie. Et ce que ce film basé sur une histoire vraie nous avait apprit, c’est que dans la réalité il n’y a pas de happy end, pas de touche humoristique finale (les parents se débarrassant de la télévision dans Poltergeist) pour venir clore une bonne fois pour toute la situation. Rien n’est résolu. Rien ne s’achève jamais. Tout perdure encore et encore dans la douleur. Le personnage de Hershey devait ainsi apprendre à vivre avec l’idée que son démon fornicateur serait toujours dans cette maison qu’elle laissa derrière elle. Insidious s’achève pareillement sur une note tragique en forme de queue de poisson qui, plutôt que de clore le débat, le relance. Une dernière bonne frousse avant que le générique de fin ne vienne délivrer le spectateur, une scène finale qui n’est pas non plus sans évoquer grandement celle de l’excellent Simetierre de Mary Lambert et sa mise non plus à mal mais à mort de la famille américaine idéalisée.
Mais ce jeu des citations et tout ce travail de mise en scène n’auraient aucun intérêt, ou si peu, s’ils n’étaient pas incorporés à un contenu narratif puissant. Car, comme on pouvait déjà le déceler avec Saw, on sent chez Wan et Wannell une forte volonté de construire leurs propres univers et mythologies qui ne demanderaient qu’à être revisités dans d’autres films, d’iconiser à l’extrême leurs personnages malveillants, leurs boogeymen (le démon principal tenant ici à la fois de Freddy Krueger et de Darth Maul, oui) afin de marquer les consciences et de revendiquer un cinéma qui ne soit rien qu’à eux. Un cinéma qui ose aller jusqu’au bout de ses idées. Un cinéma étonnant dans sa faculté d’appropriation, de compréhension et de maîtrise de ses multiples références, régurgitées et intégrées aux différents récits via un éclairage inédit (comme le fait qu’ici, ce ne soit pas les maisons qui soient hantées mais le fils de Josh et Renai). Un cinéma généreux en frissons avec ses spectateurs car jouant énormément sur la suggestion, sur le pouvoir de leur imagination (comme en atteste le tour de force que constituent les deux scènes où la médium décrit ce qu’elle voit et ce qu’elle vit, visions que nous n’avons que partiellement et à travers le prisme du dessin et de l’écriture) plus que sur l’horreur graphique, tout en leur offrant tout de même en guise de récompense de véritables moments purement horrifiques. Une telle recette n’est pas toujours facile à conceptualiser. L’équilibre est souvent très dur à trouver mais Insidious réussi amplement son pari et procure un certain malaise pour ne pas dire un malaise certain.
Pour compléter l’expérience du film, le DVD et BLU-RAY édités proposent un contenu éditorial certes peu fourni mais on ne peut plus intéressant, à savoir notamment un making of spécialement réalisé par WILD SIDE VIDEO pour le marché français et qui, bien que court (24’), évite les éternelles fausses congratulations souvent de mise dans ce type d’exercice et permet de visualiser la préparation et le tournage de certaines scènes clés du film ainsi que le résultat final, en un mot de réellement approcher le tournage du film et capter son ambiance. Puis un court entretien (14’) avec James Wan et Leigh Wannel permet d’explorer plus avant la façon dont les deux hommes travaillent, les influences dont ils se nourrissent, leur complicité, leurs idées les plus folles (une histoire de fantôme de requin préhistorique volant vous tente, Wan l’a déjà imaginée), etc.
Philippe Sartorelli
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