Omar m’a tuer sort sur les écrans 20 ans (à deux jours près !) après le meurtre de Ghislaine Marchal dans la cave de sa villa du sud de la France. Ce n’est ni de l’opportunisme, et encore moins le fait du hasard, car le film de Roschdy Zem n’a pas d’autre intérêt que de refaire parler de cette affaire judiciaire pour que son principal suspect finisse par être acquitté pour de bon. Le suspect en question, c’est bien entendu Omar Raddad, immigré marocain et jardinier de profession, accusé sur la seule preuve d’un message peint du sang de la victime sur la porte de la cave : « Omar m’a tuer ». Le métrage ne cherche ainsi qu’à valider une thèse qu’aujourd’hui une grande majorité de Français entend, et qui semble par ailleurs de moins en moins contestée. Dans cette histoire qui mêle près de Cannes une affaire de gros sous entre quelques nantis, Raddad faisait figure de coupable idéal et pour les assassins de Ghislaine Marchal, ainsi que pour les enquêteurs. Le tout, au mépris d’évidences qui prouveraient justement le contraire. Si vous ne connaissez pas tous les dessous de l’enquête, le film aura au moins pour vous cette utilité. Mais un épisode de « Faites entrer l’accusé » ferait tout aussi bien l’affaire.
D’où vient alors notre déception ? D’abord d’un cruel manque d’ampleur cinématographique dans un récit qui emprunte beaucoup au polar judiciaire. Omar m’a tuer suit deux trajectoires : celle du temps du procès où le jardinier (Sami Bouajila) est aidé par Maître Vergès (Maurice Bénichou), et celle, quelques années plus tard, de l’écrivain et académicien Pierre-Emmanuel Vaugrenard (Denis Podalydès), qui convaincu de l’innocence d’Omar Raddad, s’installe à Nice pour écrire sur le sujet et révéler la vérité. Pour rendre moins linéaire son récit, Zem éprouve donc le besoin de révéler les preuves au compte-goutte, les répartissant dans l’une ou l’autre des « époques ». Parfois, pour bien appuyer sa démonstration, il fait résonner un même détail d’une situation à une autre, histoire que l’on comprenne bien la portée de son message pourtant limpide. Son film tombe alors très rapidement dans l’illustration, ne nous offrant rien d’autre que le cœur même de l’enquête, ses détails juridiques, et, c’est là que le métrage déçoit, qu’un portrait trop rapidement esquissé d’un homme humilié et victime d’une injustice.
Le vrai sujet d’Omar m’a tuer se trouvait pourtant là, dans le traitement de la tragédie que traverse le personnage, enlevé à sa famille, et dont la vérité est bafouée, comme son image. Car si Zem revient sur les conditions d’emprisonnement de Raddad, comme sur ses relations avec ses proches (allant jusqu’à tourner dans l’appartement où habitait réellement le jardinier à Toulon), il ne fait qu’esquisser cette dimension de l’intrigue sous des traits grossiers et caricaturaux (n’abordant par exemple la religion qu’à travers le personnage du père). L’affection qu’il porte pourtant à Raddad (qui a lu le scénario et s’est rendu sur le tournage à plusieurs reprises) peine à se refléter à l’écran. Car derrière l’humilité qui semble se dégager de cet accusé à tort, découle malheureusement, à défaut de sécheresse, une froideur qui contamine le film dans son ensemble, et principalement la mise en scène. L’ampleur qui fait défaut au film, ce n’est pas seulement un manque de romanesque, puisqu’il faut bien avouer que toute la démarche de Zem consiste justement à rester le plus proche possible des faits. La mise en scène, donc, s’efface elle aussi derrière le poids du récit. Pas une séquence ne peut différencier ce film d’une production moyenne française, Zem ratant même les quelques scènes qui auraient pu faire frissonner le spectateur, quand par exemple Vaugrenard retourne sur le lieu du crime, ou que le réalisateur essaie de reconstituer le meurtre de Marchal.
Paradoxalement, le problème du film est de mettre en avant un sujet sans lui permettre de briller, d’exister. L’absence totale de mise en scène annihile le projet même du métrage, qui ne devient qu’un énième film à thèse dépourvu d’éléments parasites. Pas étonnant, alors, que le tout tienne en 1h25, tant Zem, définitivement trop respectueux de son sujet, n’a rien voulu nous raconter d’autre. Son film, au fort potentiel pédagogique, est par sa durée destinée à occuper l’espace des salles de classes et de la télévision. D’aucuns ne manqueront pas d’agiter l’utilité d’un tel film qui s’ajoute à la longue liste des œuvres qui auront pris position pour Omar Raddad, mais cela ne suffit pas à faire acte de cinéma, et donc encore moins un bon film. C’est là tout le problème du cinéma français, que de ne pas oser mettre les formes à des discours ambitieux et politiques.
Julien Hairault
Sortie du film en France le 22 juin
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