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Le beau mélodrame de Van Sant, présenté en ouverture de la sélection « Un certain regard » (qui prouve une fois de plus, en accueillant dans son giron toujours plus de cinéastes palmés par la grande sœur de la compétition, son importance artistique), attaque de front le thème de la mort, vécue par deux adolescents. L’Amérique montrée par le réalisateur est belle, automnale, rassurante malgré la morbide thématique. Et surtout, elle est athée : Annabel est mourante, une saleté de tumeur au cerveau grignote doucement ses jours, ne lui laissant plus qu’une durée de vie limitée. Dans les États-Unis d’aujourd’hui, dominée par les évangélistes de tous poils et les gratteurs d’obligeances religieuses, on pourrait penser qu’Annabel trouverait sa consolation auprès du Christ Sauveur, de Yahvé, d’Allah ou, pourquoi pas, du Flying Spaghetti Monster. Eh bien non. Annabel est athée. Elle l’est de fait : elle adore les oiseaux et Charles Darwin est son idole. Quand on croit en l’évolution, on ne croit pas ni à Adam et Eve, ni à l’Apocalypse, ni à la vie après la mort. Ce qui n’empêche nullement par ailleurs de croire aux fantômes.

Annabel est en train de mourir, donc. Enoch Brae n’est pas agonisant, mais il se gargarise des enterrements des autres, auxquels il s’incruste consciencieusement. C’est lors d’une de ces occasions qu’il est repéré par Annabel, c’est à partir d’un enterrement que se construit leur romance. Histoire d’amour d’adolescents, qui s’avère tout aussi intense, sinon plus, qu’une banale relation entre adultes. La force de Restless réside dans ce rapport qu’ils entretiennent tous deux à l’amour comme à la mort : distanciation et ironie. Le regard porté par Annabel et Enoch sur la mort prochaine est d’une justesse rarement atteinte au cinéma – tous genres confondus – et Van Sant joue avec la Faucheuse comme on s’amuse avec un concept philosophique, en faisant tournant la rhétorique et la dialectique à la façon d’un Rubik’s Cube.

En s’appuyant sur deux comédiens exceptionnels – Henry Hopper, fils de (et en plus, il ressemble à son père comme pas deux) et Mia Wasikowska, bien plus intéressante ici qu’en Alice chez Burton – Van Sant tracte son mélodrame vers les sommets du genre, auquel il ajoute la justesse de son regard sur l’adolescence (rappelons-le qu’il remporta la palme d’Or pour Elephant en 2003). Distanciation ne signifie pas naïveté : sur son sort, Annabel est la plus lucide parmi les lucides. Son acceptation de sa disparition prochaine, toute en joie et en bonne humeur, rappelle la formule de Richard Dawkins au début de son essai Le Mystère de l’arc-en-ciel, en substance : nous mourrons tous, oui, et c’est une chance ; c’est une chance puisqu’il faut penser à tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’exister. C’est ce concept tout simple que convoque Restless et qui le rend si cher : la mort n’est rien et la vie est tout.

Eric Nuevo



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Une réflexion sur “La mort vue par les athées : « Restless » de Gus Van Sant (Un certain regard)

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