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Complices est un premier film généreux, un polar rude dont les premiers plans donnent le ton d’une histoire très noire, qui nous plonge dans un univers réaliste, à la fois poétique et glauque. À Lyon, on repêche dans le Rhône le corps d’un jeune homme qui gagnait sa vie en se prostituant, et qui venait de tomber sous le charme de Rebecca, une lycéenne qui depuis quelques jours ne donne plus de nouvelles. Chargés de l’enquête, deux flics (Gilbert Melki et Emmanuelle Devos) remontent les derniers jours de ces jeunes amants plongés au coeur de la prostitution adolescente, et animés de l’insouciance caractéristique de leur âge. Complices est un polar, un film noir dont l’image initiale (ce corps abîmé trouvé dans le fleuve) interpelle d’entrée le spectateur, lui faisant comprendre la tonalité du métrage, et le sordide de ce qui va suivre. Comment et pourquoi ce garçon en est-il arrivé là ? Sur le mode certes éculé mais toujours efficace du whodunit, le cinéaste franco-suisse Frédéric Mermoud démarre alors une intrigue solide, divisée en deux parties qui se répondent (à la façon du feuilleton américain Cold Case) : la liaison entre les deux jeunes amants (de leur rencontre à la tragédie finale), et l’enquête des deux inspecteurs avec ce que leur triste vie privée comporte (morne vie sentimentale dopée à Meetic, la dépression qui guette…).

Les complices du titre, ce ne sont pas uniquement ces deux adolescents qui partagent tout durant le peu de temps que durera leur idylle entre leur coup de foudre dans un cyber-café et la mort du garçon. Unis dans l’amour et la passion, ils partageront joies et galères, jusqu’à mettre irrémédiablement leur vie en danger en décidant de faire chanter un de leurs clients. La complicité, elle se retrouve également chez les deux inspecteurs, qui plus que de simples collègues, sont des confidents l’un pour l’autre, et qui finalement, au cours d’un étonnant rebondissement, enfreignent à leur tour la loi. La relation entre ces deux personnages intrigue, nous laissant dans un premier temps craindre le pire (une liaison qui ne restera qu’heureusement platonique et amicale), avant de s’effacer petit à petit derrière le destin tragique des ados.

Il faut reconnaître que Frédéric Mermoud sait comme peu de cinéastes français filmer les corps adolescents, et plus généralement ces jeunes adultes qui errent dans la vie à la recherche d’un but, d’un être à aimer… Les jeunes comédiens Nina Meurisse et Cyril Descours sont pour beaucoup dans la réussite d’un film où chaque personnage semble se chercher, mal en point au sein de son couple, tenté par l’adultère et les expériences déviantes (les plans à trois avec un couple d’ados pour ce chirurgien-dentiste réputé par exemple). Le vide semble être le meilleur compagnon de l’espèce humaine, et l’errance son remède. La société que filme Mermoud va mal, et l’on peut regretter l’absence de personnages sains. Tous les ados semblent avoir des parents séparés, et ces derniers ont tendance à s’éloigner d’eux (ici une mère hôtesse de l’air, là un mari à l’étranger pour affaires), se dédouanant ainsi de l’éducation de leurs progénitures. C’est d’ailleurs toute la lourde et secrète charge qui pèse sur les épaules du flic joué par Gilbert Melki, qui raconte avoir abandonné sa compagne alors enceinte de lui vingt ans plus tôt, et qui compte bien refaire sa paternité en couvant la jeune Rebecca à la fin du drame qu’elle vient de traverser. Rendue systématique, cette obsession pour le cinéaste de faire et défaire les couples, accouche d’un puzzle dont les pièces s’éparpillent trop vite. Ainsi lors du final, parallèlement à l’enquête policière qui livre ses conclusions un peu rapides, Complices s’entête à combler les vides sentimentaux de ses personnages, à la recherche d’un happy end certes très émouvant (jolie séquence finale), mais quelque peu grossier. C’est là le principal défaut du métrage, qui ne met en scène que des personnages ayant un rôle à jouer dans l’intrigue (ou alors qui soulignent le caractère sombre de celle-ci), de près ou de loin, et qui offrent rarement la possibilité de respirer, de s’évader.

On se rattachera alors au réalisme brutal de cette histoire très sombre et crue, qui n’hésite pas à montrer frontalement la nudité des corps, et la violence qui s’en échappe. En prenant le risque de mettre mal à l’aise les spectateurs à travers de nombreuses scènes de prostitution qui mêlent ces adolescents à la recherche d’argent facile, et ces adultes en pleine détresse, Frédéric Mermoud propose des images nouvelles pour un cinéma français qui nous habitue peu à ce genre de procédé, surtout que celui-ci est souvent répété pour bien marquer les esprits. Aucune faute de goût ne vient tâcher ce portrait sensible d’adolescents à la dérive. La justesse de ton de l’ensemble est d’autant plus remarquable qu’elle s’accorde à un sujet délicat que Mermoud exploite sans pincettes ni voyeurisme. C’est cette sincérité dans le propos et dans la mise en scène qui sauve Complices de quelques erreurs de débutant (et notamment la résolution un peu lourde en symboles de l’enquête), et qui le démarque des enquêtes policières des séries et téléfilms du petit écran.

Julien Hairault

> Sortie en salles le 20 janvier 2010





3 réflexions sur “« Complices » de Frédéric Mermoud

  1. ça donne envie dites donc… Malgré le côté un peu « glauque » de l’intrigue…
    Le polar français commence enfin à ressembler à qqchose… 🙂

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