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En 1989, époque où est à l’affiche Palombella rossa — après sa présentation à Cannes Classics en mai dernier, le film de Nanni Moretti ressortira en salles ce 3 septembre, grâce à Malavida —, le Parti communiste italien connaît bien des déboires. Doit-il disparaître ou changer de nom ? Abandonner ses symboles que sont la faucille et marteau ? Cette situation critique trouve écho dans la crise existentielle que traverse Moretti.

Photo Malavida-LCJ

Après la parenthèse de La messe est finie, et son rôle de curé, le cinéaste reprend le personnage de Michele Apicella, apparu dans Je suis un autarcique (1976) et qui est encore au centre d’Ecce Bombo (1978), Sogni d’oro (1981) et Bianca (1984). Cet alter ego de Nanni Moretti, que l’on a vu de film en film parler à tort et à travers de lui, de l’Italie, du Parti communiste et des luttes sociales, est ici quasiment frappé de mutisme. Parce qu’il s’amuse à faire des grimaces aux gamins qui le regardent dans la voiture qui le précède, Michele perd le contrôle de son véhicule, a un accident et se retrouve amnésique.

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Député communiste, il est également joueur de water polo et c’est au cours d’un match qu’il va devoir affronter non seulement l’équipe adverse mais aussi quantité de personnages issus de son passé et dotés d’une logorrhée redoutable, équivalente à celle développée par Michele dans ses précédents films. Lui, en revanche, dans Palombella rossa, reste longtemps muet avant de reprendre enfin la parole.

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Cette crise politique traversée par le PCI, consécutive aux changements survenus en URSS, Moretti va la traduire admirablement en termes sportifs. Un joueur de water polo qui tire un penalty doit tromper le gardien adverse. « Si je regarde à droite, pense Michele, il va penser que je vais tirer à gauche mais je peux aussi viser à droite. » Ce questionnement pourrait tout aussi bien concerner le Parti, divisé en deux camps (les irréductibles et les réformateurs) : doit-il regarder vers la droite pour continuer à agir à gauche ? Le titre du film lui-même est un jeu de mot intraduisible : wikipedia nous apprend que Palombella rossa « est le surnom italien d’un coup spécifique au water-polo : un lob effectué sur le gardien ». Mais l’expression fait également penser à la chanson Bandiera rossa, symbole des luttes sociales.

Photo Malavida-LCJ

Parallèlement à la crise du Parti, celle que traverse Michele dans Palombella rossa est tout aussi profonde. Occasion pour lui de se replonger dans son passé et son enfance, d’affirmer son goût pour le cinéma. Ici, c’est le passage à la télé de Docteur Jivago qui amène une réelle communion autour de la piscine — alors que, pendant le match, équipes et supporters s’affrontent. Communion, un terme chrétien qui pourrait justement rapprocher Michele d’un catho qui le poursuit au bord de la piscine pour lui affirmer qu’ils sont pareils. 

Photo Malavida-LCJ

Jivago est donc diffusé et tout s’arrête. Joueurs et spectateurs se pressent au bar pour voir le film et suivre la séquence dans laquelle Omar Sharif, à l’intérieur d’un tram, voit passer dans la rue Julie Christie, la femme qu’il aime et dont il va chercher à attirer l’attention. « Retourne-toi ! », exhortent les spectateurs, « Laissez-le descendre ! » lorsque Sharif veut sortir du tram malgré la foule, « Cours ! » quand il voit au loin Julie Christie.

Cette ferveur unanime à suivre un film romantique est suivie par une séquence au cours de laquelle, interviewé à la télévision, le député Michele déclare : « L’alternative démocratique semble utile. Il faut ouvrir le Parti à tous. » Mais tout semble ici inéluctable : le scénario de Jivago, le sort du Parti communiste italien et cette « enfance qui ne reviendra plus ».

Photo Malavida-LCJ

Toujours au rayon de sa cinéphilie, Nanni Moretti place dans son film une série de « personnes fondamentales », jouées par des cinéastes et critiques à qui il rend hommage : Raoul Ruiz, Daniele Luchetti, Carlo Mazzacurati, Giovanni Buttafava… On aperçoit aussi son père, Luigi Moretti, dans le rôle d’un syndicaliste et, dans celui de sa fille, Asia Argento.

Palombella rossa est un arrêt sur image de l’Italie qui s’apprête à traverser, cinq ans après, l’ère Berlusconi. Un personnage que Moretti incarnera de façon très critique en 2006 dans son film Le Caïman. Mais c’est une autre histoire !

Jean-Charles Lemeunier

Palombella rossa
Année : 1989
Origine : Italie
Réal, scén. : Nanni Moretti
Photo : Giuseppe Lanci
Musique : Nicola Piovani
Montage : Mirco Garrone
Durée : 87 min
Avec Nanni Moretti, Silvio Orlando, Mariella Valentini, Asia Argento…

Sortie en salles par Malavida Films le 3 septembre 2025.

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