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Au fur et à mesure de sa filmographie, essentiellement dans les films de Quentin Dupieux (surtout Yannick et Le Deuxième Acte) et Jean-Baptiste Durand (Chien de la casse), l’acteur Raphaël Quenard s’est construit un personnage : bas de plafond, avec un phrasé particulier et capable de réflexions étonnantes.

Raphaël Quenard et Hugo David dans les bureaux du Comoedia, à Lyon
(Photo JCL)

Avec son ami Hugo David, il vient de réaliser ce que les Anglo-saxons appellent un mockumentary, un documentaire parodique et totalement fictionnel. Tous deux étaient de passage à Lyon pour parler de I Love Peru. Déjà, pour évoquer leur relation, ils n’hésitent pas à proclamer : « On est bons clients l’un de l’autre ! »

Ils se sont embarqués dans leur film avec, pour référence, l’émission culte Strip-tease. « Nous avons une fascination pour les gens qui ont des obsessions et s’en offrent la possibilité », raconte Hugo. Raphaël, lui, est plus cash : « Nous n’avons pas théorisé mais avons tourné avec les moyens du bord. »

Car l’idée première était de montrer les à-côtés du monde du cinéma, « filmer l’underground pour le tourner en dérision ». Malheureusement, le projet est finalement abandonné. « Le producteur, poursuit Raphaël, nous a demandé d’écrire un scénario car il estimait que ce que nous avions déjà filmé n’était pas présentable. »

Raphaël Quenard, François Civil et Jean-Pascal Zadi sur le tournage
de « L’Amour ouf »

Engagé pour faire le making of de Chien de la casse, Hugo David rencontre Raphaël Quenard sur le tournage et, tout de suite, les deux accrochent. « Avec Hugo, confie Raphaël, je me sens libre. » La première partie de I Love Peru s’appuie sur les différents tournages de Raphaël, que Hugo peut suivre. Les copains (Benoît, Poelvoorde, Marina Foïs, Gustave Kervern, Gilles Lellouche, François Civil, Jean-Pascal Zadi, Jonathan Cohen, Éric Judor, etc) interviennent pour parler du héros du « documentaire », Raphaël Quenard lui-même. On comprend qu’il est radin — ce que dément ensuite formellement Hugo David au cours de la conversation —, envieux envers ses camarades, qu’il a des idées totalement farfelues (cf les scénarios qu’il propose à Marina Foïs, Benoît Poelvoorde ou Éric Judor) et qu’il n’est pas très futé. Ses discours le montrent et Hugo David le confirme en voix-off. Et les deux amis n’en finissent pas de s’amuser avec l’image acquise par Raphaël dans ses films et qui ne correspond à aucune réalité.

« Nous n’avons eu le consentement de certains qu’après coup, se souvient Raphaël. Mais on s’amusait. Les comédiens ont envie de jouer. Sur le tournage de L’Amour ouf, Gilles Lellouche n’était pas au courant mais il a capté et nous a offert un regard. Un acteur ment s’il n’est pas dans l’objectif ! »

Jonathan Cohen et Raphaël Quenard

Hugo rappelle que, pendant un an, il a tourné plein de séquences sur les plateaux, filmant le maximum. « Mais, regrette-t-il, ce scénario n’était pas finançable, trop provocateur ! Mais on avait les images ! »

Quand on évoque devant eux I’m Still Here, faux documentaire de Casey Affleck dans lequel Joaquin Phoenix prétend stopper le cinéma au profit du rap, non seulement tous les deux connaissent parfaitement — Hugo n’aime pas le côté antipathique de Phoenix dans ce film, ce qui dérange moins Raphaël — mais ils citent également Spinal Tap de Rob Reiner et Forgotten Silver de Peter Jackson. « Dans ce dernier film, raconte Raphaël, Jackson retrouve des bobines de films tournés par l’inventeur du cinéma néo-zélandais, hélas totalement oublié. » Et, devrait-il ajouter, complètement inventé.

Ces films ont bien entendu nourri et inspiré le duo, qui cite également C’est arrivé près de chez vous de Rémy Belvaux, Platane d’Éric Judor et, bien sûr et toujours, l’émission Strip-tease.

Il se trouve que Raphaël est invité au Pérou, dans un festival, pour présenter Chien de la casse. Il demande à Hugo de l’accompagner. « On avait un billet pour le Pérou et on voulait faire un court-métrage indépendant sur un dépit amoureux. Nous montrons à Canal un petit montage et ils sont intéressés. »

Raphaël Quenard

Les deux amis mêlent donc les images ramenées des tournages et cette histoire d’amour malheureux où Raphaël, largué par sa copine, part au Pérou parce qu’il a rêvé d’un condor.

« Bien sûr, intervient Hugo, tout ce qu’on raconte est faux. C’est de la fiction. C’est vrai que les spectateurs ont un doute pendant le film. On a donc bien réussi notre fiction, jusqu’à faire oublier que tout est faux. »

Raphaël sourit parce qu’il sait que « les problèmes de lecture existent ». « Plein de gens dans la rue m’appellent Yannick. Quoi qu’on fasse, il y a toujours confusion. On ne devrait pas mettre sur les affiches l’identité civile d’un acteur, juste le nom de son personnage. »

Restait ensuite le problème de donner un sens à tous les rushes avec, comme le souligne Raphaël, « un ratio d’efficacité ». « Nous avions pour la première partie 190 heures qu’il a fallu transformer en vingt minutes. Pour le Pérou, 10 heures sont devenues 40 minutes. »

Raphaël Quenard

Quant à l’image de Raphaël renvoyée par le film… Hugo commente : « Raphaël est généreux. Pour que ce soit drôle, il faut être dans la transgression et se moquer de ce personnage attachant. »

Et Cannes ? Pour Hugo, « c’est une consécration ! » Raphaël explique comment tout cela est arrivé. « On n’y avait jamais pensé avant le montage. Quand on l’a terminé, on a blagué en se disant qu’on irait à Cannes.»

Raphaël écrit donc plusieurs mails à Thierry Frémaux, le directeur du festival, avec à chaque fois quelques punchlines. «  C’est du cinéma dans son plus simple appareil ! » Puis : « Les frères Lumière l’auraient sélectionné. » D’autres encore. À la fin, Frémaux lui répond : « Ta pugnacité t’honore, Raphaël ! » Et le film est sélectionné pour Cannes Classics. « Il fallait proposer quelque chose en retour, remarque Hugo. Nous sommes venus avec un condor. »

Raphaël Quenard

I Love Peru a fait parler de lui à Cannes et le film est sympathique à l’image de ses deux auteurs. Comme on ne sait pas bien au départ à quoi on a affaire, on trouve certains passages un peu lourdingues, d’autres longuets, d’autres bien enlevés. C’est un film de copains et il faut certainement pour l’apprécier se sentir proche des personnages joués par Raphaël Quenard. Si vous avez jubilé en voyant Yannick, Le Deuxième Acte ou Chien de la casse alors, pas de doute, le film s’adresse à vous. Le pari réussi est, comme c’était le cas pour ceux qui ont vu C’est arrivé près de chez vous lors de sa projection à Cannes, alors que Benoît Poelvoorde était encore un inconnu, de se poser la question essentielle : est-ce la réalité que l’on nous montre ? Fatalement, le film bascule à moment dans la franche rigolade et l’on se dit alors qu’on s’est bien fait avoir. Et on est somme toute content d’être entré dans le jeu.

Propos recueillis par Jean-Charles Lemeunier

I Love Peru
Année : 2025
Origine : France
Réal., scén. :Raphaël Quenard, Hugo David
Musique : Théodore Vibert
Montage : Méloé Poillevé
Prod. : Raphaël Quenard, Hugo Sélignac
Durée : 68 min
Avec Raphaël Quenard, Hugo David, Anaïde Rozam, José Garcia, Jean-Pascal Zadi, Michel Hazanavicius, Jonathan Cohen, Emmanuelle Devos, François Civil, Éric Judor, Benoît Poelvoorde, Gustave Kervern, Marina Foïs, Gilles Lellouche, Panayotis Pascot…

Sortie par Le Pacte le 9 juillet 2025.

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