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Au départ, il y a une série animée, Avatar : The Last Airbender que M. Night Shyamalan découvre par le biais de ses filles, gouttes d’eau dans l’océan toujours grossissant des fans, et qui s’étend comme une traînée de poudre dans plus de 120 pays. Quand il décide de se lancer dans une adaptation pour le grand écran, il interroge les deux créateurs de la série, Michael Dante DiMartino et Bryan Konietzko, sur cette mythologie dense et complexe, forte de plus de trente heures d’animation. Car il faut imaginer un Shyamalan confronté à quantité de difficultés majeures, dont la principale pourrait se résumer aux formulations suivantes : comment diable acter le passage concret au monde du merveilleux, jusque là toujours effleuré dans ses films ? Comment passer d’un cinéma axé sur un fantastique langoureux et discret à une œuvre de fantaisie narrative et formelle – et sans donner l’impression de profiter d’un budget cyclopéen et de moyens sans précédents pour donner cours à un simple délire visuel, à la façon de Robert Rodriguez avec ses Spy Kids ?

De prime abord, Le Dernier maître de l’air ne ressemble en rien à un film de Shyamalan ; on serait même tenté de penser que le génial réalisateur de Sixième sens a laissé, pour un temps, ses ambitions cinématographiques de côté, se donnant le temps d’une pause dans sa carrière pour expérimenter l’énorme machine de production hollywoodienne. Qu’on en juge par le scénario, d’une déroutante simplicité : sur une Terre de fantaisie, le monde est divisé en quatre nations qui possèdent chacune leur élément – Eau, Terre, Air, Feu. Parmi la population, certains êtres particulièrement doués peuvent maîtriser l’élément qui est propre à leur nation – et lui seulement. Une seule personne, sur toute la planète, peut maîtriser à la fois les quatre éléments : l’Avatar est sensé apporter au monde son équilibre nécessaire. Mais voilà : l’Avatar a disparu depuis 100 ans, et la nation du Feu profite de cette absence pour imposer sa domination sur les autres…
Adapter une série animée à succès ? Pourquoi pas, cela fait toujours bien dans un CV, surtout après une succession d’échecs publics (relatifs). Mais il y a comme une bizarre inadéquation entre le réalisateur et ce sujet trivial, en regard de ses précédents films. Le fait que ce long-métrage soit présenté en 3-D participe de cette sensation que Shyamalan s’est surtout vendu aux studios : n’est-ce pas la technique à la mode pour attirer les foules dans les salles ? Ajoutons que l’univers de la série animée ainsi que le marketing visuel du film (affiches multiples, bandes-annonces bourrées de scènes de bataille) destine plutôt ce long-métrage à un public enfantin ; celui-ci ne s’est d’ailleurs pas trompé, considérant le nombre d’enfants présents à la projection-presse à laquelle j’assistai.

Pourtant, et de manière inexplicable en regard de son intrigue faiblarde et de son style esthétique plus proche de la saga Narnia que du chef-d’œuvre Incassable, Le Dernier maître de l’air parvient à s’installer sur l’écran à l’aide d’une mise en scène qui crée immédiatement un lien tacite entre ses personnages et le spectateur (ne nous y trompons pas, toutefois : cela n’est pas dû à la 3-D). Une fois ce lien tendu, difficile de le briser, même lorsque le scénario déploie ses facilité (une quête jalonnée en quatre épisodes, dont celui-ci est le premier, signalé par l’incipit « Livre I ») et que les dialogues soulignent leur propre candeur. Tout ça semble un peu idiot ? Peu importe. Et c’est précisément ce « peu importe » qui compte. Dès lors que l’on assume certaines scories dans l’ensemble, il n’empêche que le film se caractérise par sa grande beauté esthétique – particulièrement dans les phases de combat – et une fantaisie tout à fait plaisante, satisfaisante au sens cathartique du terme. Familièrement, on pourrait dire que l’on passe un excellent moment. L’image se réclame des grandes fresques du cinéma fantaisiste récent (on doit au directeur de la photographie, Andrew Lesnie, d’avoir travaillé sur la trilogie du Seigneur des anneaux, King Kong et Lovely Bones, où Peter Jackson mettait en scène des univers merveilleux ou proches du merveilleux) et les chorégraphies des batailles mélangent quantité de styles de combat différents (pour les amateurs : Baguazhang, Tai Chi, Hung Ga et Kung Fu Shaolin).

Puis, en fin de projection, le doute s’installe : et si, finalement, Le Dernier maître de l’air s’avérait assez proche de l’univers de son réalisateur ? Certes, je le disais, Shyamalan franchit ici le pont qui le séparait du merveilleux, lui qui se concentrait autrefois sur cette frontière ambiguë trahie par des apparitions discutables, projections inconscientes des névroses sociales (Signes, La Jeune fille de l’eau, Phénomènes). En bref : quand Shyamalan s’interrogeait auparavant sur l’aptitude de l’esprit humain à vouloir croire, il a désormais accosté sur l’autre rive, face à un continent inédit à explorer. Mais le principe tutélaire de son scénario reste identique : relater une histoire basée sur des modifications subtiles de la réalité quotidienne et étudier l’idiosyncrasie d’un groupe de protagonistes – en observant leurs rapports sensibles avec l’environnement qui les entoure (les comédiens, comme toujours chez Shyamalan, comptent en effet moins que l’intrigue qu’ils sont censés mettre en valeur). Ajoutons-y un goût répété pour les héros projetés dans une quête existentielle et humaine qui les dépasse, et qu’ils n’acceptent qu’à contrecœur ; un message écologiste explicite qui s’appuie sur la défense des quatre éléments naturels, sources de vie pour les habitants de la planète ; et le jeu sur le décodage des signes visuels (les marques de l’Avatar comme les dessins sur les boîtes de céréales dans La Jeune fille de l’eau) ; et l’on comprendra que, contre toute attente, oui, Le Dernier maître de l’air, en sus d’être plaisant malgré ses défauts, ressemble bien à son protéiforme auteur.

Eric Nuevo

> Film sorti en salles le 28 juillet 2010



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Une réflexion sur “« Le Dernier maître de l’air » : l’Avatar de Shyamalan

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