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La meilleure façon de se préparer à l’immense ratage de ce Predators est encore de lire les propos de Robert Rodriguez, producteur du film et metteur en scène bien surestimé par ailleurs, lorsqu’il évoque la genèse du projet : « A l’origine, j’ai juste été engagé comme scénariste. Ils [la 20th Century Fox] cherchaient une nouvelle approche du personnage, et j’ai saisi cette chance. J’étais fan de Predator… » Et d’y ajouter ceux de Nimrod Antal, propulsé réalisateur : « Ce film [Predator], c’est mon enfance. J’étais un mordu de cinéma. Je me souviens d’avoir vu Predator le jour de sa sortie (…) et cela avait été une expérience très forte ». Quoi de choquant dans ces sympathiques notes d’intention, par ailleurs semblables à beaucoup d’autres bavardages promotionnels ? Le fait que ces propos soient, précisément, proches de ceux d’autres geeks de l’industrie hollywoodienne. Proches de ceux d’un Paul W.S. Anderson, par exemple, qui s’affirme en tant que fan absolu des jeux vidéo qu’il a si nullement adaptés pour le grand écran. Comment croire rétrospectivement un type qui nous assure de son amour pour la saga de Capcom Resident Evil après qu’il ait osé réaliser une version cinéma absolument honteuse, et alors qu’il s’apprête à remettre le couvert avec un quatrième épisode mis en scène par ses (mauvais) soins ? Comment penser une seconde que les réalisateurs des Tomb Raider, Street Fighter et autres Dragon Ball puissent avoir voulu « rendre hommage » à ces jeux à et ces séries télé qui ont rythmé leur enfance, alors que ces adaptations sont rapidement tombées au fond du panier de l’inacceptable production cinématographique ? En fait, il suffit d’entendre un cinéaste affirmer qu’il est fan d’un produit (film, jeu, comic book, BD, livre, etc.) pour devenir immédiatement des plus méfiants. Rappelons, juste comme ça, qu’un Kubrick se gargarisait d’adapter des œuvres littéraires mineures précisément pour en tirer quelque chose de grandiose (il suffit de lire Shining de King ou Barry Lyndon de Thackeray pour s’en convaincre). Le philtre sentimental existant entre l’œuvre d’origine et sa nouvelle version fait souvent craindre le pire. Et il est inutile de venir me reprocher ma mauvaise foi : aucun amateur de Carpenter n’attend le remake de The Thing, aucun ! Et quand bien même son réalisateur, au nom imprononçable, serait un aficionado de l’original, cela n’y changerait rien, comme cela n’a rien changé au remake de The Fog. Il y a bien sûr des exceptions. Ne soyons pas trop dur, ni trop radical. Mais il semble délicat d’octroyer une pleine confiance à un Nimrod Antal qui n’a pas encore fait ses preuves derrière la caméra (Motel, Kontrol et Blindés ne font pas en eux-mêmes un excellent CV) ni à un Rodriguez qui, à force de banaliser la stupidité dans ses films, a largement puisé dans le capital confiance des spectateurs.

On pourrait croire, à la lecture de ces quelques lignes, que votre serviteur partait perdant avant même de poser les pieds dans la salle de projection. Faux : il y avait dans cette petite caboche une montagne d’espoir, un sommet de crédulité, un volcan d’optimisme. Au point d’avoir convaincu quelques amis journalistes de s’y rendre également – les mêmes qui refusent aujourd’hui de répondre à mes appels téléphoniques et qui me renvoient mes mails avec la mention « Spam ». Il a fallu batailler, après la projection, pour préserver une certaine légitimité. Et défendre malgré tout les précédents opus. A une journaliste qui m’avouait n’avoir jamais vu Predator, j’ai pris soin d’assurer que les bobines qu’elle venait de voir n’avaient aucun rapport avec le chef-d’œuvre de John McTiernan. Et qu’elle pouvait même, pour le plaisir, regarder la suite réalisée par Stephen Hopkins, film sympathique et bien troussé qui n’a de toute façon pas la prétention de surpasser son modèle.

Finalement, le plus grave, ce n’est pas que ce Predators soit raté. Les films ratés pullulent, mais ils ont souvent quelque chose à partager avec le public. Le pire, c’est bien qu’il soit mauvais, au sens où rien, ni dans sa construction dramatique, ni dans son projet esthétique, ne donne à croire qu’une foule de techniciens a travaillé dur pour contenter le spectateur. A l’inverse, on se demande, avec beaucoup de colère, comment un tel script, si absurde, si mal fichu, si dépassé a pu franchir les décisionnaires du studio, sauf à penser que ceux-ci ne voient dans un tel projet que les retombées financières potentielles en préférant, à l’intelligence du propos, la bêtise du sujet. C’est bien sûr une figure de rhétorique : rares sont les studios qui ambitionnent de révolutionner si complètement le cinéma qu’ils prendraient le moindre risque. Le cinéma hollywoodien, avec ses suites et ses remakes, ressemble de plus en plus à un laboratoire scientifique où l’on ne financerait les chercheurs que pour peu qu’ils soient certains de breveter un médicament inédit et de le vendre à des sociétés pharmaceutiques. Hasard ou pas, Adrien Brody, héros de Predators, est aussi à l’affiche du dernier film de Vincenzo Natali, Splice, dont le sous-texte rejoint quelque peu ces réflexions : alors que son personnage et sa femme sont parvenus à créer des organismes de synthèse d’un nouveau genre, leurs patrons et mécènes ne pensent qu’à obtenir la molécule qui leur rapportera du fric. Imagine-t-on une seconde Terrence Malick sortir de chez les producteurs de New Line Cinema, avec son script du Nouveau Monde sous le bras, débouté au prétexte que ses ambitions formelles ne siéraient pas à une sortie grand public ? « Okay, elle est bien belle votre séquence finale métaphorique sur la métempsycose qui transforme l’esprit de l’héroïne en chef indien ; mais quand est-ce que Colin Farrel et la fille couchent ensemble ? » Impossible ? Spectateurs avisés, nous avons pourtant régulièrement l’impression que les producteurs posent des questions aussi crues et vides à leurs poulains. Parce qu’il est incompréhensible que certains scénarios puissent passer cette barrière si solide du financement sans qu’une telle explication soit viable.

Et le film, alors ? La projection de Predators fut à l’image de cette introduction, à savoir pleine de frustration et de mécontentement. La première image signale par avance le problème de ce long-métrage, problème qui est aussi celui d’une grande partie de la production : la vitesse. Le film s’ouvre sur Adrien Brody ouvrant les yeux et se découvrant en chute libre, au milieu des airs. Un parachute sur le dos. Il essaie à plusieurs reprises de le déclencher, tape férocement sur son plastron, rien n’y fait. De l’autre côté de la couche nuage épaisse qu’il traverse : une forêt, à perte de vue, qui se rapproche à très grande vitesse. Parvenant finalement à ouvrir sa toile, subissant quelques égratignures dû à la chute dans les arbres, l’inconnu finit sa course sans trop de dégâts, la fin sur le fusil d’assaut. C’est ce cette façon que nous sommes lancés dans la fiction, sans préliminaires, pénétrés à sec par l’air brûlant de la chute libre. Pas de commencement. C’est qu’il ne faudrait pas traîner : la traditionnelle présentation des protagonistes peut aussi bien se dérouler sur une toile de fond mystérieuse. Principe propre à l’excellent Cube (et au huis clos sartrien en général) : les personnages, ici tombés du ciel, se découvrent au fur et à mesure, apprennent à se connaître, car ils ne se sont jamais vus. Tous sont des militaires armés jusqu’aux dents. Tous ont l’air de pros. Là début l’addition consciencieuse des clichés : il y a le Black balèze, combattant dans une armée de libération en Sierra Leone (Ali) ; le Mexicain primitif (l’indispensable Danny Trejo, sidekick de Rodriguez) ; le Russe gentil mais à la tête toute vide (Taktarov) ; la jeune et belle soldate de Tsahal (Alice Braga, compagnon de survie de Will Smith dans Je suis une légende) ; le fou dangereux, tueur en série notoire (Goggins) ; et, parmi les perles rares de la distribution, un yakuza inexpressif et muet, habillé en garde du corps de luxe, qui contemple stoïquement le ciel en prenant une pose soi-disant intelligente ; ainsi qu’un intrus, simple professeur, qui détonne forcément dans ce groupe de tueurs professionnels. Et, bien entendu, il y a Royce (Brody), le monsieur-j’ai-un-secret-qui-tue-et-je-le-dirai-pas, et dont nous ne révélerons pas le métier, non par crainte de spoiler une donnée importante du film, mais parce qu’il nous semble si ridicule d’avoir entouré ce détail de non-dit et de suspense qu’il fallait bien accepter de garder le silence sur ce point, par pure provocation. Tout ce petit monde découvre rapidement la vérité sur leur présence : les predators aimeraient bien leur tailler un short et garder leurs crânes en guise de trophées.

Tous ces bonshommes virils (plus une sympathique demoiselle) tentent dès lors de comprendre où ils se trouvent, et pourquoi ils y sont. Interrogations légitimes qui se traduisent par des répliques d’une gratifiante imbécillité. Surtout à travers le personnage de l’Israélienne (cliché, cliché, cliché !) qui affirme, avec un parfait sérieux, ne pas reconnaître cette jungle dans laquelle ils évoluent. Mention spéciale, donc, à cette jeune femme qui connaît à la feuille près toutes les jungles de la planète Terre et qui s’estime capable, à la seule vue de quelques branchages, de décréter la bizarrerie du lieu. Avant de lancer à Royce, qui garde le mystère sur ce qu’il fait, quand bien même tout le monde a joyeusement évoqué son activité meurtrière au moment où ils ont été « déportés » vers un ciel inconnu : « Tu connais bien la jungle ». Intéressant. Passionnant. Autre perle des dialoguistes (permettons-nous ici de révéler un secret qui, on s’en doute, n’en sera pas un pour qui aura simplement vu la bande-annonce) : la bande arrivant près d’une falaise, dans une partie dégagée de la jungle, et apercevant, dans le ciel, un paysage de planètes qui ne ressemble en rien à une vue depuis la Terre. Royce : « Il va nous falloir un plan B ». Votre serviteur reconnaît ici sa mauvaise foi : la réplique n’est pas ridicule, et prononcée dans d’autres circonstances, d’autres films, par d’autres protagonistes, elle eût sans doute été très différente. Mais les conditions de sa prononciation la rendent absurde, ainsi que le contexte. Que serait devenu un film tel que Pitch Black si, apercevant le triple soleil, les personnages avaient pareillement ironisé ? Je suis plutôt favorable à l’humour dans les films d’action et de science-fiction, même si, ces dernières années, Hollywood tend à privilégier des plaisanteries de plus en plus tartes. Mais avouez que les punch lines du Predator de McTiernan avaient plus de gueule !

Il n’est pas indispensable de poursuivre longuement cette critique sur un tel modèle. Laissons-là répliques, situations absurdes et incompétences. Soulignons simplement que l’objectif de Predators est triple : d’abord, construire un film qui conjugue le meilleur des deux premiers opus, entre la jungle de Predator et l’exploration du vaisseau spatial de Predator 2. Antal ne dissimule pas sa volonté de filiation avec ses prédécesseurs ; il l’affiche même, faisant relater à l’un de ses personnages l’histoire du premier film, sur le mode de l’information ultra-secrète. Ensuite, proposer une suite jouissive et enthousiasmante, loin des ratages que furent les deux Alien VS Predator, en essayant de devenir par rapport aux deux précédents épisodes ce que Alien, le retour fut à Alien, le 8e passager. Seulement voilà : Rodriguez et Antal, même réunis, ne sont pas James Cameron. Dont acte. Enfin, Predators voudrait se développer en parabole intelligente sur l’humanité, décrétant, par son titre à double fond, que si les humains sont les proies des méchants extraterrestres belliqueux, ils sont aussi, eux-mêmes, leurs propres prédateurs. Cette idée, qui pourrait se résumer par une phrase bien idiote du type « l’homme est un prédateur pour l’homme en même temps qu’une victime du Predator qui finalement n’est pas aussi méchant que l’homme », est tout entière illustrée par un rebondissement final d’une gratuité et d’une imbécillité sans nom, avec le retournement de personnalité de l’un des personnages. Cela veut dire, grossièrement, qu’après avoir subi les assauts répétés de la sottise généralisée de ces soldats sans cervelle, les répliques schizophréniques d’un Lawrence Fishburne bouffi et complètement à côté de la plaque, et une succession de péripéties sans intérêt, Predators se conclut sur ce twist absurde et viscéralement inutile qui confine à l’agression intellectuelle. Et le tout pour quelques millions de dollars, dépensés pour des clopinettes en temps de crise. Je n’irai pas plus loin, et j’espère simplement que ce film ne donnera surtout pas lieu à une énième suite, sans quoi il faudra ressortir les mêmes armes au prochain épisode.

Eric Nuevo

> Film sorti en salles le 14 juillet 2010



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3 réflexions sur “« Predators » : dans l’espace, on vous entendra rigoler

    • @Tomciné : mais tout à fait. Dans sa propension à la plaisanterie / projection de discours, Eric se sera trompé (volontairement peut-être ?).
      Pour la peine, on va le forcer à revoir le film. Au moins trois fois (pas le Malick, hein : le Antal).

  1. Et encore, à propos de geeks aveuglés par leur ego et embourbés dans leur bêtise, tu as oublié Len Wiseman et DIE HARD 4 ! Comment peut-on être prétendument fan de PIEGE DE CRISTAL et ne rien avoir appris de la mise en scène de McTiernan ? Au moins, sur le plan strictement formel, PREDATORS rend un bel (au sens propre) hommage à son modèle, ce qui n’était pas le cas du suscité. Mais bon… Ça fait pas tout ! Attends ! Mais bien sûr ! On va faire DIE HARD VS PREDATORS ! Rodriguez paorduira avec RAttner, tandis que Wiseman réalisera, et Beltrami ch**ra la musique… Oups ! Je l’attends pas tant que ça, en fait.

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