Film devenu rare avec le temps, Le Locataire (1976) de Roman Polanski ressort en Blu-ray et, pour la première fois, en 4K Ultra HD chez Carlotta. Après le New York de Rosemary’s Baby, Polanski ausculte le Paris des années soixante-dix, celui du trou des Halles. Les gens y sont aussi étranges que ceux que croise Mia Farrow/Rosemary, pas seulement dans l’immeuble parisien où emménage Trelkovsky (Roman Polanski) mais également dans toute la ville : au cinéma, à l’hôpital, dans le bistro proche de l’immeuble. Mais ce sont aussi les voisins avec qui Trelkovsky a des difficultés. Ceux-là semblent appartenir à une secte, comme ceux de Rosemary’s Baby. Mais si, dans le film américain, on hésitait entre une véritable secte diabolique et une folie de l’héroïne, la seconde solution s’impose dans Le Locataire, tant la paranoïa du personnage s’aiguise au fur et à mesure du film.

Arrêtons-nous un instant sur le générique : quel rassemblement de talents ! Polanski et son complice Gérard Brach adaptent ici un bouquin de leur copain Roland Topor, trublion facétieux et touche-à-tout, membre du groupe Panique avec Arrabal et Jodorowsky. Pour les images, Polanski fait appel au chef op’ de Bergman, Sven Nykvist, et on lit que Bruno de Keyzer, futur grand directeur de la photo, est assistant caméra tandis que Jacques Audiard est dans l’équipe de montage. À la musique, on retrouve Philippe Sarde et à la production son frère, Alain Sarde. Pour la distribution, que du beau monde : les Américains Melvyn Douglas, Shelley Winters et Jo Van Fleet et, côté français, Isabelle Adjani, Bernard Fresson, Claude Piéplu, plusieurs membres du Splendid (Gérard Jugnot, Josiane Balasko, Michel Blanc) et du Café de la Gare (Romain Bouteille, Rufus) et, dans de petits rôles, plusieurs grands noms tels que Lila Kedrova (Zorba le Grec, Le Rideau déchiré), Héléna Manson (Le Corbeau de Clouzot) et Claude Dauphin. À cette époque, ce grand acteur qui a démarré dans les années trente ne craint pas d’apparaître dans des films d’auteurs radicaux, de Polanski à Zulawski.

Pour le réalisateur, Le Locataire est une comédie — il l’affirme en tout cas dans un des passionnants suppléments. Et l’on ne s’étonne pas que dans son esprit et celui de Topor, le sujet puisse en être une. Pourtant, à la vision, c’est bien un malaise qui s’installe tant le cinéaste rend puissamment l’atmosphère glauque et étrange de cet immeuble. Roman Polanski joue avec talent un petit homme qui se laisse facilement marcher sur les pieds par tout le monde, du SDF au patron de bistrot en passant par le propriétaire et la concierge de l’immeuble où il s’installe. Un petit homme que la paranoïa a tôt fait de submerger, à force de tensions mal digérées et d’injonctions qu’il a du mal à contrarier. Polanski s’amuse même à montrer son exact contraire en la personne de Bernard Fresson, qui tonitrue et n’hésite pas à diffuser en pleine nuit de la musique militaire à plein tube, rien que pour embêter son voisin, le malingre Michel Blanc.

Ici, beaucoup de personnages sont hauts en couleurs et Polanski s’amuse à multiplier les détails. Ainsi, lorsque Trelkovsky rencontre pour la première fois le propriétaire de son futur appartement, celui-ci (Melvyn Douglas) est à table et se cure les dents. Tout en parlant, il avale le petit bout de viande qu’il a décoincé.
La réalité du quotidien se met à se tordre, les choses devenant peu à peu irréelles, comme ces gens figés dans les toilettes que Trelkovsky voit de chez lui ou cette dent qu’il retrouve dans un mur. Les personnages ne font jamais ce que l’on attend d’eux dans une vie normale, y compris ceux qui vivent à l’extérieur de l’immeuble, telle Isabelle Adjani. Tout est fait pour mettre Trelkovsky mal à l’aise, y compris dans sa sexualité.

Visiblement mal compris quand il arrive sur les écrans, Le Locataire fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte, qui montre les qualités de mise en scène de son auteur, qu’il tourne en Pologne (Le Couteau dans l’eau), en Angleterre (Répulsion, Cul-de-sac, Macbeth), aux États-Unis (Rosemary’s Baby, Chinatown), en France (Le Locataire) et même en Italie (Quoi ?, bien que ce film, tout aussi étrange, soit malgré tout moins prenant que Le Locataire).

Alors, comédie, oui, mais cauchemardesque qui nous entraîne avec elle, nous fascine et nous fait prendre en pitié ce pauvre petit homme né pour être victime. Ce qui, n’en doutons pas, fera grincer des dents à tous ceux qui se souviennent des accusations portées, l’année suivante de la sortie du film, donc en 1977, contre le réalisateur-acteur qui incarne ce petit homme.
Jean-Charles Lemeunier
Le Locataire
Année : 1976
Origine : France
Réal. : Roman Polanski
Scén. : Roman Polanski; Gérard Brach d’après Roland Topor
Photo : Sven Nykvist
Musique : Philippe Sarde
Montage : Françoise Bonnot, Jacques Audiard
Durée : 125 min
Avec Roman Polanski, Isabelle Adjani, Melvyn Douglas, Jo Van Fleet, Shelley Winters, Bernard Fresson, Lila Kedrova, Claude Dauphin, Claude Piéplu, Rufus, Romain Bouteille, Jacques Monod, Josiane Balasko, Gérard Jugnot, Michel Blanc, Florence Blot, Héléna Manson…
Sortie pour la première fois en 4K Ultra HD et Blu-ray par Carlotta Films le 21 octobre 2025.