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Nombreux ont été les spectateurs venus assister, lors du festival Lumière qui vient de s’achever à Lyon ce 19 octobre, aux prestations de John Woo. Invité à présenter trois de ses films (The Killer, Une balle dans la tête et À toute épreuve), le cinéaste chinois fit profiter son public d’une rencontre exceptionnelle, le 19 octobre au matin, devant une salle Molière comble. Même ceux qui ne connaissaient pas son film Just Heroes étaient conscients qu’ils assistaient à la conférence d’un héros de cinéma.

Photo JCL

Interrogé par David Martinez, John Woo évoqua d’abord sa passion du cinéma et ces affiches, ces livres de bibliothèques qui ont marqué son apprentissage. « À partir des années soixante, le cinéma européen a fait une incursion à Hong Kong. Voir les films de la Nouvelle Vague française a été une révolution. Ces jeunes cinéastes arrivaient à faire du cinéma en dehors des studios, avec juste une caméra. Cela a marqué ma carrière. Avant, je ne pouvais voir que des films en mandarin et je découvrais Truffaut, Godard, Jacques Demy et ses Parapluies de Cherbourg. Le romantisme et l’amour se dégageaient de ces films. C’est ainsi que, dans les miens, on retrouve ce rapport romantique au cinéma que j’ai hérité des films français. »

Photo JCL

Le cinéma hongkongais oscille alors entre deux genres : le kung fu et la comédie. « À cette époque, il fallait passer plusieurs étapes avant de devenir assistant et attendre encore 10 ou 15 ans pour parvenir à diriger un film. Si vous n’étiez pas du sérail, il fallait attendre 60 ou 70 ans pour faire un premier film. À 45 ans, vous passiez pour un très jeune réalisateur. J’ai moi-même tourné mon premier à 26 ans, et ce fut accidentel. C’était pour permettre au producteur d’approcher une star qu’il voulait draguer. Je suis devenu réalisateur et le producteur n’a pas atteint son objectif parce que l’actrice était plus difficile que ce qu’il attendait. À cette époque, les caméras étaient bruyantes. Donc, on prenait les images et on rajoutait ensuite les sons derrière. »

Sur son métier lui-même, il ajoute : « Pour devenir réalisateur, ce qui compte le plus est d’avoir de bons yeux, un bon regard ! »

John Woo, avec David Martinez et Gaël, son traducteur (Photo JCL)

Lorsque David Martinez l’interroge sur son amitié avec Tsui Hark, John Woo rigole. « Nous étions en 1975, j’avais besoin d’amis et envie de changer le cinéma hongkongais. Les studios étaient peu à l’écoute de nos propositions. Les jeunes réalisateurs tournaient pour la télé. Un jour, je vois un de ces téléfilms et un plan, qui montrait des gouttes de sang tombant d’un sabre, m’a donné envie de rencontrer son auteur. C’était Tsui Hark. Il a ouvert un nouveau chemin pour le cinéma de Hong Kong. Il était, comme moi, un grand amateur de cinéma français. »

En 1986, sort le film Le Syndicat du crime. John Woo le réalise, co-écrit le scénario et co-produit avec Tsui Hark. « Il m’a poussé, encouragé à faire ce film. J’étais à l’époque mal vu, on me conseillait de prendre ma retraite. Le scénario que j’avais écrit n’était pas très bon et Tsui Hark m’a recommandé d’aller chercher au plus profond de moi-même. C’est ainsi que j’ai fait de l’amitié entre Chow Yun-fat et Ti Lung le cœur du film. Je voulais mettre dans le personnage de Chow ce que j’avais vu chez Alain Delon. »

« Le Syndicat du crime »

David Martinez remarquant que John Woo n’hésite pas à filmer les larmes de ses héros, le cinéaste répond qu’il avait envie de montrer ceux-là « rire et pleurer ».

« Dans Volte face, j’ai demandé à Nicolas Cage de verser une larme. ‘Vous êtes sûr que je peux ?’, m’a-t-il demandé. Oui, et c’est ce qui va plaire au public aussi. J’ai gardé les deux versions : celle où il pleurait et celle où il ne le faisait pas. Je lui ai demandé de choisir et il a préféré la version avec les larmes. »

Nicolas Cage dans « Volte Face »

Au sujet de ses héros laconiques, John Woo répond : « Chez Melville, les personnages n’ont pas besoin de beaucoup de dialogues. Quand j’ai reçu le scénario de Silent Night (NDA : le film est sorti en 2023), je me suis dit que c’était l’occasion de rendre un hommage à Melville. »

Il parle encore de son plaisir à tourner des films de guerre : « Ils permettent d’explorer ce qu’il y a d’intéressant dans les émotions humaines : le sacrifice, la lutte pour la survie… Je suis né en 1946. Mes parents m’ont parlé de la guerre et cette idée du sacrifice se retrouve dans beaucoup de mes films. Quant à la violence qui s’en dégage, ne dit-on pas que, pour combattre la violence, il faut montrer plus de violence ? On peut la condamner en allant vers quelque chose de plus extrême, ce qui fait partie d’un propos politique et social. Et puis, quand je tourne un film, j’ai l’impression d’écrire une lettre à un ami intime. »

Jean-Charles Lemeunier

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