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Parmi les nombreuses pistes explorées par Carlotta, le cinéma asiatique figure en bonne place. Une bonne preuve nous est encore donnée avec le coffret de quatre Blu-rays du cinéaste japonais Takashi Ishii (1946-2022). Quatre films dans lesquels l’héroïne s’appelle Nami Tsuchiya et doit, à chaque fois, affronter des hommes violents. Qu’elle soit incarnée par Shinobu Ôtake dans Shinde mo ii (1992, Original Sin), Kimiko Yo dans Nûdo no yoru (1993, A Night in Nude), Yui Natsukawa dans Yoru ga mata kuru (1994, Alone in the Night) et Maiko Kawakami dans Tenshi no harawata: Akai senkô (1994, Angel Guts : Red Flash), Nami est, comme dans un poème de Verlaine, « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre »

Cette Nami Tsuchiya habite toute l’œuvre de Takashi Ishii. Elle apparaît dans ses mangas et dans la série des six Angel Guts qu’il écrit et dont il dirigera deux épisodes. À noter également que, dans deux films (Alone in the Night et Angel Guts : Red Flash), Nami côtoie un homme nommé Muraki. Il est yakuza dans le premier et écrivain dans le second. Et, dans Original Sin, elle croise un Murakami.

Original Sin

Violentes, ces histoires le sont mais, curieusement, elles peuvent également allier à cet aspect le romantisme et la poésie — au moins dans Original Sin et A Night in Nude. Avant d’aborder le cinéma, Ishii était mangaka et il possède indéniablement le sens des images. De film en film, les plans se succèdent et attirent l’attention par leur beauté. Pensons à cette image figée d’Original Sin. L’homme et la femme, futurs amants qui viennent de se rencontrer, se retrouvent devant un rideau de pluie, leurs silhouettes se détachant nettement sur le fond. Dans ce même film, les deux personnages marchent sur des rails qui traversent un pont, de l’eau de chaque côté. Il y a encore ce plan de A Night in Nude dans lequel un couple s’embrasse, leurs deux bouches séparées par un néon de couleur rouge suspendu dans la pièce. Et cette visite à l’aquarium qui rappelle les plans similaires de La Dame de Shanghaï d’Orson Welles. On appréciera également, dans Original Sin, la caméra qui s’attache d’abord à une enfant et sa mère dans un métro, s’écarte pour s’intéresser à un homme couché sur une banquette, le suit hors de la gare pour ensuite emboîter le pas d’une jeune femme, Nami.

A Night in Nude

Les récits sont forts, qui traitent d’amour impossible et de vengeance douloureuse. Parmi les points communs entre tous ces films se trouvent le viol et la pluie. Une pluie qui tombe sans discontinuer et une eau omniprésente. L’eau permet d’en finir — les films contiennent deux tentatives de suicide dans la mer — et de laver son corps du sang qui le recouvre. Dans Original Sin, la liaison débute par un viol dans une chambre, devant une fenêtre ouverte. L’eau de pluie a tôt fait de venir mouiller les cheveux de Nami.

Alone in the Night

Dans ce même Original Sin, Nami est une femme mariée qui rencontre un jeune homme dostoïevskien en diable, brut de décoffrage, qui ne s’embarrasse pas des conséquences de ses actes. Ils tombent amoureux mais la femme est partagée entre son amant et son mari, les aimant tous les deux. Jusqu’à la solution que lui apporte l’amant et qui passe par le meurtre du mari, un jour de pluie. Dans A Night in Nude, Nami veut se débarrasser de son amant gangster et passe par les services d’un « remplaçant professionnel ». Celui-ci, par exemple, remplace les familles empêchées dans des funérailles où il se retrouve seul. Il va être mêlé à des situations dangereuses qu’il supportera par amour pour Nami. Dans Alone in the Night, Nami est la femme d’un flic infiltré tué au cours de sa mission. Elle va tout faire pour se venger des yakuzas qui sont la cause de son veuvage. Enfin, dans Angel Guts, Nami est traumatisée par un viol subi dans son enfance et va se retrouver dans une situation inextricable où elle passe pour meurtrière.

Angel Guts : Red Flash

Si les deux premiers films, on l’a vu, proposaient des séquences romantiques, les deux suivants sont beaucoup plus violents. Les femmes, et Nami la première, ne cessent d’être frappées et violées et la cruauté des hommes est inouïe. Mais la tendresse apparaît toujours dans certaines séquences, telle cette désintoxication de la femme droguée dans Alone in the Night.

Les films d’Ishii se situent à la frontière de plusieurs genres : le pinku eiga, avec des nudités féminines, le yakuza eiga et ses personnages mafieux et, bien entendu, le film d’auteur proprement dit puisqu’il est indéniable que Takashi Ishii est un auteur, avec ses obsessions et ce personnage féminin récurrent, présent sur l’ensemble de sa carrière, dessinée ou filmée.

Jean-Charles Lemeunier

Coffret quatre films de Takashi Ishii,

Sortis pour la première fois en Blu-rays par Carlotta Films le 7 octobre 2025.

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