
À la vision de The Tamarind Seed (1974, Top Secret) — qu’il ne faut pas confondre avec la parodie homonyme du trio ZAZ, sortie dix ans plus tard —, une question surgit, paranoïaque en diable. Dans ce film de Blake Edwards, qu’Elephant sort en DVD/Blu-ray, nous sommes à la fin de la guerre froide et il est question d’un espion russe (Omar Sharif) qui, en vacances à la Barbade, rencontre Julie Andrews, une secrétaire du Home Office britannique.
Le film raconte l’amour de ce couple insolite, surveillé de près par les services secrets de leurs deux pays. Et si, est-on en droit de se demander, tout ceci n’était qu’un leurre ? Se pose alors la question du cas Julie Andrews, certes bonne actrice mais pas du tout le genre de pin-up qui tourne la tête d’un espion. Ce n’est pas Ursula Andress qui, sortant des eaux jamaïcaines, fait se braquer sur elle la totalité des regards mâles dans Dr. No. Julie Andrews a beau avoir été l’héroïne de Hitchcock dans Le Rideau déchiré, elle n’a la séduction ni d’une Kim Novak ni d’une Grace Kelly et Blake Edwards le sait parfaitement, lui qui est en outre son mari dans la vie.

Le cinéaste s’amuse à prendre le contrepied des films d’espionnage dont la mode a été lancée par la série des James Bond. Avec un espion peut-être pas si retors qui tombe amoureux d’une jeune femme sage. Car se rattachent à Julie Andrews les images de Mary Poppins ou de La Mélodie du bonheur et Edwards le perçoit bien, qui affuble dans Top Secret son actrice/épouse de chemisiers et de robes hyper classiques, pour ne pas dire vieux jeu. C’est d’ailleurs grâce à lui que Julie Andrews secouera cette étiquette de sagesse qui lui colle à la peau — malgré la séquence d’ouverture du Rideau déchiré où elle fait l’amour avec Paul Newman sous des couvertures. Dans Darling Lili, Blake Edwards la dévoilera à moitié nue. Dans Victor Victoria, il offrira à Julie un rôle de travesti où, habillée en homme, elle séduit un autre homme. Et, dans S.O.B., il lui dénudera carrément la poitrine. Exit alors Mary Poppins et Maria von Trapp, l’héroïne de La Mélodie du bonheur.
Revenons à Top Secret. La jeune Judith Farrow (Julie Andrews) vient de se séparer de son précédent amour, un homme marié, et ne cherche aucunement à entamer une nouvelle liaison. D’ailleurs, fait rare pour l’époque, elle mettra beaucoup de temps à se décider à céder aux avances de son séducteur soviétique.

Qu’est-ce qui attire alors l’appétit de Feodor Sverdlov (Omar Sharif) qui, de son côté, ne cesse de déclarer ouvertement à Judith qu’il désire partager sa couche ? Et si tout cela n’était qu’un prétexte pour pouvoir fuir la Russie et passer à l’Ouest ? Edwards n’est jamais clair sur la sincérité de Feodor et joue l’ambiguïté jusqu’au bout.
La qualité de Top Secret est de nous replonger dans cette époque de guerre larvée entre les deux blocs Est-Ouest, avec ces espions qui venaient du froid combattant les forces libres de l’Occident. C’est du moins ainsi qu’était présentée la situation, avec la vision US de ce conflit. Ajoutons à cela le souci de détecter les possibles agents doubles, un général soviétique (Oscar Homolka) tel qu’on peut l’imaginer à l’Ouest et des ingrédients (homosexualité, adultères, femmes entrant de plain-pied dans ce jeu de chats et de souris) qui ajoutent du piment au plaisir.

Blake Edwards prend soin de ne pas caricaturer ses personnages, de ne pas préciser qui ils sont vraiment : Feodor joue-t-il un double jeu ou est-il sincère ? Judith fait-elle vraiment confiance à Feodor, elle qui est à la fois conseillée dans ses actions par son amoureux russe et par les services secrets opposés ? Nous sommes loin de l’hystérie du Docteur Folamour et des coups de feu de l’ensemble des films d’espionnage. Jusqu’au finale, qui renverse les cartes et augmente la tension.

Connu pour ses comédies échevelées des années soixante (The Party et la série des Panthère rose), Blake Edwards aborde dans les années soixante-dix des genres différents (western, thriller médical et espionnage), sans que pour autant ses films entrent dans des schémas classiques. Ainsi, Top Secret n’est pas un film cynique et la preuve en est donnée par le titre lui-même qui tire son nom de la graine de tamarin, à laquelle s’attache une légende locale caraïbe. Quelque peu naïve, Judith a envie d’y croire et l’ensemble du film nous montrera qu’elle a eu raison.
Jean-Charles Lemeunier
Top Secret
Année : 1974
Origine : États-Unis
Titre original : The Tamarind Seed
Réal. : Blake Edwards
Scén. : Blake Edwards, Evelyn Anthony
Photo : Freddy Young
Musique : John Barry
Montage : Ernest Walter
Durée : 124 min 38
Avec Julie Andrews, Omar Sharif, Anthony Quayle, Dan O’Herlihy, Sylvia Syms, Oscar Homolka…
Sortie en DVD/Blu-ray par Elephant Films le 26 août 2025.