Il serait temps de revisiter la filmographie de Patrice Chéreau. En amont de sa rétrospective au cinéma de cinq films — à partir du 5 novembre, on pourra (re)voir Judith Therpauve, L’Homme blessé, Ceux qui m’aiment prendront le train, Hôtel de France et Gabrielle —, Malavida nous propose, dès ce 1er octobre en salles, de nous replonger dans La Reine Margot, sanglante et brillante adaptation du génial roman d’Alexandre Dumas (et, ne l’oublions pas, d’Auguste Maquet). Et, cerise sur le gâteau, dans une version restaurée.
Dumas retrace la guerre de religions qui aboutit, en 1572, au massacre de la Saint-Barthélémy et les affres de la famille royale au pouvoir. Des noms qui remontent à nos souvenirs d’école ressurgissent : Catherine de Médicis, Henri de Navarre (futur Henri IV), le roi Charles IX et ses frères les ducs d’Anjou (futur Henri III) et d’Alençon mais aussi le duc de Guise et l’amiral Coligny.

Le cinéma s’était emparé de cette fresque historique en 1954 mais la version qu’en avait tirée Jean Dréville avec Jeanne Moreau — et Louis de Funès dans un petit rôle — n’était pas à la hauteur du roman. La force du film de Chéreau, en 1994, est, bien sûr, de reprendre avec panache le bruit et la fureur de Dumas. Mais, plus fort encore, le combat que se livrent dans le film catholiques et protestants se fait l’écho de l’actualité. N’oublions pas qu’à cette époque, l’Europe est déchirée par la guerre de Yougoslavie et ses combats tout aussi fratricides.
Il a été question de bruit et de fureur et cette expression, tirée du Macbeth de Shakespeare — « Une histoire, contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur » —, correspond tout à fait à ce qui se passe à l’écran chez Chéreau. Sauf que celui qui la conte, pas plus Chéreau que Dumas, n’est un idiot. Il faut s’y plonger comme si l’on sautait dans le vide, sans craindre la pléthore de personnages, sans avoir peur de ne pas reconnaître qui est qui ni à quel camp il appartient. Cette confusion dans l’émulsion des passions — ici, on s’aime, on se trahit, on se sourit et s’empoisonne — est voulue par le cinéaste. Car ce sont des frères qui se combattent, issus d’un même peuple, d’une même famille.

Pour illustrer cette épopée, Patrice Chéreau a réuni un casting de choix : Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade, Vincent Perez, Virna Lisi, Dominique Blanc, Pascal Greggory, Miguel Bosé, Asia Argento, Jean-Claude Brialy, etc. Une distribution aristocratique pour personnifier des rois et reines, des princesses et des ducs.

Dominant ce tumulte, Catherine de Médicis est incarnée avec force par Virna Lisi. Cette reine tire les ficelles, jette les uns contre les autres, fait mine d’aimer tout le monde tout en les faisant empoisonner. Ce personnage est l’une des grandes forces du roman, quelqu’un que l’on adore détester, qui fait peur et fascine. Virna Lisi lui donne sa puissance et sa beauté et elle reçut le prix d’interprétation féminine à Cannes et le César de la meilleure actrice dans un second rôle, tandis qu’Isabelle Adjani, Jean-Hugues Anglade, le chef op’ Philippe Rousselot et la costumière Moidele Bickel se partageaient les autres César. La Reine Margot obtint également le prix du jury au festival de Cannes.
Quant à Isabelle Adjani, elle est une princesse sacrifiée à la raison d’état, obligée d’épouser un homme qu’elle n’aime pas et tiraillée entre les deux camps, catholique et protestant, elle qui, appartenant au premier, s’entiche d’un gentilhomme du second.

Les séquences fortes se succèdent et on n’est pas près d’oublier les massacres, les empoisonnements et autres gentillesses, l’impressionnante scène du mariage mais aussi l’évolution des personnages historiques et, surtout, du couple Margot/Henri, c’est-à-dire Isabelle Adjani/Daniel Auteuil.
Rares sont finalement les épopées tournées en France et ayant du souffle. La Reine Margot en fait partie et son lyrisme fiévreux n’a pas pris une ride.
Jean-Charles Lemeunier
La Reine Margot
Année : 1994
Origine : France
Réal. : Patrice Chéreau
Scén. : Danièle Thompson, Patrice Chéreau d’après Alexandre Dumas
Photo : Philippe Rousselot
Musique : Goran Bregovic
Montage : François Gédigier, Hélène Viard
Durée : 161 min
Avec Isabelle Adjani, Daniel Auteuil, Jean-Hugues Anglade, Vincent Perez, Virna Lisi, Dominique Blanc, Pascal Greggory, Claudio Amendola, Miguel Bosé, Asia Argento, Julien Rassam, Jean-Claude Brialy, Bruno Todeschini, Emmanuel Salinger, Bernard Verley…
Sortie au cinéma par Malavida Films le 1er octobre 2025, en amont d’une rétrospective Patrice Chéreau.