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Moi qui t’aimais, le film que Diane Kurys consacre au couple Simone Signoret/Yves Montand, débute par une excellente idée : montrer Marina Foïs et Roschdy Zem entrer dans des loges marquées à leur nom et se faire maquiller.

Nous ne serons donc pas dans un biopic à l’américaine dans lequel les acteurs poussent le mimétisme très loin. Ici, plus que le physique, c’est la voix et la gestuelle que les deux interprètes ont observées de près.

De passage à Lyon avec Diane Kurys, Marina Foïs expliquait son travail : « Entre la lecture du scénario et le tournage, il s’est passé un an et demi que j’ai passé à lire ce qui concernait le couple, voir les interviews, les films. Roschdy a fait la même chose. Nous étions comme des scientifiques qui observent un animal dans sa cage. J’ai regardé la gestuelle de Simone Signoret et ai pris de petits repères. La voix a été plus compliquée. Diane voulait qu’on apparaisse derrière Montand et Signoret, contrairement à ce que font les Américains. Moi-même, j’avais envie d’incarner et pas d’imiter. Mais je suis snob et prétentieuse et, une fois maquillée et avec ma perruque, je me suis aperçue que ma voix ne marchait pas. En urgence, à deux semaines du tournage, j’ai été prise de panique. Il me fallait un coach vocal ! J’ai alors disparu pendant deux semaines, enfermée avec lui et il m’a désangoissée. J’ai étudié le rythme de Simone, sa façon de parler avec des accélérations et des pauses, comme un exercice technique libératoire. Je visionnais ses interviews et parlais en même temps qu’elle. C’était du bricolage et, chaque jour, je me remettais en question. Comment Simone allait-elle apparaître ? Ses émotions m’inquiétaient. C’était l’idole de mes 16 ans. Aujourd’hui, j’en ai 50 et l’histoire du vieillissement de cette actrice raconte quelque chose qui m’intéresse. »

Roschdy Zem et Marina Foïs

Si Marina a réussi son pari — en l’écoutant dire son dialogue, on reconnaît les intonations et l’accent parigot de Simone Signoret —, le résultat est moins probant en ce qui concerne Roschdy Zem. L’acteur, par ailleurs excellent, est d’ordinaire apprécié pour son jeu sobre et austère. Il devait ici reprendre à son compte la faconde de Montand et son accent marseillais. Affublé d’une perruque assez visible, on le sent parfois mal à l’aise, surtout lorsqu’il s’agit d’entonner une chanson.

La mode est aux biopics mais pourquoi avoir voulu retracer à l’écran une partie de la vie du fameux couple ? Diane Kurys avoue que l’idée lui est venue il y a déjà pas mal de temps. « Je voulais d’abord m’occuper que de Signoret. Puis, Montand, bien sûr. Il fallait alors faire vieillir les deux acteurs qui les incarneraient. C’était un pari auquel je croyais puis ne croyais plus. Et il fallait trouver une Marilyn Monroe, qui existait dans l’histoire. »

Elle propose le rôle à Marina Foïs et se dit que, peut-être, les dernières années du couple « seraient les plus riches ». « Marina ne voulait pas l’interpréter de 30 à 60 ans. La matière s’est resserrée pour finalement se situer dans la dernière partie. »

L’interview hollywoodienne d’Yves Montand (Roschdy Zem) et Simone Signoret (Marina Foïs)

Le film s’ouvre donc sur l’interview de Montand-Signoret parlant du tournage du Milliardaire aux États-Unis, dans lequel Montand a Marilyn pour partenaire tandis que Simone doit aller récupérer son Oscar pour Les Chemins de la haute ville. Elle raconte au journaliste les liens d’amitié qui lie son couple au couple Marilyn/Arthur Miller.

Puis le scénario fait un bond dans le temps pour se retrouver à la fin du tournage de Vincent, François, Paul et les autres. Diane Kurys en profite pour glisser une anecdote montrant l’égocentrisme de Montand, quand il demande à Claude Sautet pourquoi il ne baptise pas son film plus simplement Vincent et les autres. Vincent étant bien sûr son personnage.

Nous voyons ensuite Alain Corneau, pour lequel Montand s’entraîne déjà à tirer au Colt dans le jardin de sa maison de campagne, venir offrir à Simone, comme une aumône, le petit rôle de l’épouse paralytique de François Périer dans Police Python 357. C’est un peu gênant car le néophyte connaissant mal la carrière de l’actrice pourrait penser que Signoret n’a guère travaillé entre l’épisode Marilyn, en 1960, et Police Python, en 1976. Pendant tout ce temps, Simone Signoret n’a pas cessé de tourner. Pas toujours dans des films inoubliables mais elle est quand même apparue, entre autres, dans Adua et ses compagnes (1960) d’Antonio Pietrangeli, Le Jour et l’Heure (1962) de René Clément, La Nef des fous (1965) de Stanley Kramer, M15 demande protection (1966) et La Mouette (1968) de Sidney Lumet, L’Armée des ombres (1969) de Melville, Compartiment tueurs (1965) et L’Aveu (1970) de Costa-Gavras, Le Chat (1971) de Pierre Granier-Deferre (dont il est quand même question dans Moi qui t’aimais) et La Veuve Couderc (1971) du même réalisateur, Rude journée pour la reine (1973) de René Allio et La Chair de l’orchidée (1975) de Patrice Chéreau. Excusez du peu.

La paix après la guerre

Autant dire qu’en 1976, alors qu’elle écrit La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était — aspect de sa vie très important dans Moi qui t’aimais — et qu’elle se plaint du manque d’intérêt de beaucoup de scénarios qu’elle reçoit, sa carrière n’est pas pour autant au point mort depuis 1960. Mais la proposition de Moshé Mizrahi d’incarner Madame Rosa, la vieille ex-prostituée juive rescapée des camps, de La Vie devant soi, en 1977 — un rôle que, dans le film de Diane Kurys, Yves Montand lui conseille de refuser — sera pour elle un appel d’air, couronné d’un César

Le public garde à l’esprit plusieurs repères quand il s’agit de Signoret et Montand : le cinéma et la chanson, la politique, Saint-Paul-de-Vence… On les retrouve tous dans le film de Diane Kurys, revêtant plus ou moins d’importance. Ce qui intéresse la cinéaste est le couple, avec un Montand cavaleur et une Signoret qui souffre de ses infidélités et se réfugie dans l’alcool.

Serge Reggiani (Thierry de Peretti) et Simone Signoret (Marina Foïs)

La question que l’on est donc en droit de poser à Diane Kurys et Marina Foïs concerne l’aspect bourgeois du couple. Bourgeois par l’argent et le confort — il en est question dans le film au cours d’une engueulade avec Serge Reggiani (incarné par le réalisateur Thierry de Peretti) — mais aussi bourgeois dans la conception même de leur relation, recréant le triangle amoureux de la femme, le mari et les maîtresses, digne du théâtre de boulevard.

« Simone est née bourgeoise, répond Marina Foïs, alors que pour Montand, il était question de légitimité, lui qui était d’une famille de prolos italiens. Dans le cinéma, les gens qui viennent d’un milieu prolo restent prolos ! » Diane Kurys renchérit : « C’est vrai qu’on les a accusés d’être bourgeois. Mais l’appartement dans lequel ils vivaient place Dauphine, qu’ils appelaient « la Roulotte », ils n’en ont été que locataires pendant 30 ans. »
Marina reprend : « Ils ont toujours mis l’humain au centre de leurs discours et je pense qu’aujourd’hui, ils auraient été d’accord avec la taxe Zucman. Ils ont aussi beaucoup parlé de la désillusion, en ce qui concerne leurs convictions et leur proximité avec le Parti communiste. Mais c’est vrai que c’est un couple bourgeois dans son fonctionnement. Simone a signé le Manifeste des 343 salopes mais elle dit aussi qu’elle est une femme méditerranéenne, donc jalouse. »

Dans Moi qui t’aimais — beau titre venant des paroles de la chanson de Prévert/Kosma, Les Feuilles mortes, immortalisée par Montand — on peut aimer des séquences et en regretter d’autres. Après tout, Prévert n’écrit-il pas que les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi ?

Le couple et ses ami(e)s célèbres. De gauche à droite : Serge Reggiani (Thierry de Peretti), Yves Montand (Roschdy Zem), Jean-Louis Trintignant (Timothée de Fombelle), Simone Signoret (Marina Foïs) et Nadine Trintignant (Leonor Oberson)

La souffrance de Simone et l’égoïsme de son conjoint sont bien rendus mais, quand il s’agit de faire intervenir leurs amis célèbres (Serge Reggiani, Claude Sautet, Alain Corneau, François Périer, Jean-Louis et Nadine Trintignant), ça ne colle plus tellement parce qu’ils ne sont que des silhouettes. On peut penser à ce passage, dans Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar, où Gainsbourg (Éric Elmosnino, très ressemblant) rencontre Boris Vian. Ce dernier est joué par Philippe Katerine, physiquement différent de l’auteur de L’Écume des jours. Mais peu importe car les deux (Vian et Gainsbourg, Katerine et Elmosnino) forment un duo impeccable et cette scène est magique, tant elle est pleine d’inventivité.

C’est ce qui manque sans doute aux moments les plus creux de Moi qui t’aimais, le classicisme des échanges faisant qu’on a du mal à y croire. Restent quelques moments emballants qui décrivent les rapports amoureux et conflictuels des deux protagonistes. Ils deviennent alors tout à la fois les immenses Signoret et Montand mais, plus simplement, un couple qui se déchire, ne parvenant à se quitter. Image dans laquelle de nombreux spectateurs se reconnaîtront.

Jean-Charles Lemeunier

Moi qui t’aimais
Année : 2025
Origine : France
Réal. : Diane Kurys
Scén. : Diane Kurys, Martine Moriconi, Sacha Sperling
Photo : Philippe Rousselot
Musique : Philippe Sarde
Montage : Manuel de Sousa
Durée : 119 min
Avec Roschdy Zem, Marina Foïs, Thierry de Peretti, Vincent Colombe, Raphaëlle Rousseau, Cécile Brune…

Sortie en salles par Pan Distribution le 1er octobre 2025.

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