Voici un classique du film gothique qui, vu soixante ans après sa sortie, vaut toujours amplement le détour. Déjà, rien que le titre original ! I lunghi capelli della morte, les longs cheveux de la mort. Quel dommage que les distributeurs français de 1964, année de sortie du film d’Antonio Margheriti, aient eu si peu d’invention avec leur Sorcière sanglante on ne peut plus passe-partout.
Car ce film, ce chef-d’œuvre — n’ayons pas peur des mots — n’est pas qu’une simple histoire de sorcière. Il s’agirait même plutôt d’un récit de crime et de suspense, un peu à la façon des Diaboliques de Clouzot, qui va basculer dans le surnaturel.

La sorcière sanglante bat pavillon italien mais, à cette époque, pour attirer les spectateurs et leur faire croire qu’ils étaient en présence de films britanniques ou américains, les génériques étaient entièrement anglicisés. Seule l’actrice anglaise Barbara Steele bénéficiait de son véritable patronyme. Ainsi Antonio Margheriti est-il renommé Anthony Dawson et il en va de même pour l’ensemble des crédits.

Il est bien sûr question de sorcière dans le film et dès le début, avec une séquence impressionnante de bûcher. Avec également une mise en condition qui, dans un beau noir et blanc, va user des ombres et des lumières pour créer une atmosphère. Le scénario va ensuite se focaliser sur un seigneur responsable de la mort de la sorcière, Kurt (Giorgio Ardisson), qui va tout à tour désirer les deux filles de celle qu’il a fait brûler. Le récit prend alors un détour intéressant, celui d’un film policier dans lequel un couple adultère cherche à se débarrasser du conjoint gênant. Et c’est là qu’interviennent les longs cheveux du titre qui apparaissent et convoquent le malaise.

Avec La Sorcière sanglante, tout est question d’atmosphère : celle du château, dont certaines salles sont belles, décorées façon Renaissance, tandis que les cryptes emplies de sépultures et les passages secrets rappellent ses origines médiévales. Notons encore, comme dans beaucoup de films italiens, la présence de la religion avec ce prêtre qui parcoure le château, dont la caution morale contrebalance les exactions des seigneurs.

La femme dont on assiste à l’exécution au début du film est accusée de sorcellerie et de meurtre. Pourtant, sa fille aînée (Barbara Steele) jure qu’elle est innocente et qu’elle en a la preuve. La supposée sorcière est malgré tout brûlée et elle lance sa malédiction envers les propriétaires du château. Ses deux filles (Steele et Halina Zalewska) vont-elles permettre à la malédiction de s’accomplir ? Là pourrait résider tout l’enjeu du film mais cela — heureusement — ne suffit pas à Margheriti ni à ses scénaristes, Ernesto Gastaldi et Tonino Valerii. Ce dernier, futur réalisateur de Mon nom est personne, aurait d’ailleurs bien aimé diriger La Sorcière sanglante, mais le producteur ne fut pas d’accord, le jugeant pas assez expérimenté. Il préféra confier son projet à Margheriti qui avait déjà une dizaine de films à son actif, dont le beau Danse macabre — son chef-d’œuvre, selon son ami le réalisateur Luigi Cozzi, ainsi qu’il l’affirme dans un des suppléments.

Du point de vue de la mise en scène, Margheriti maîtrise parfaitement ses images. Dès le début, avec les jeux d’ombres dans la prison, puis avec la séquence — très forte — de l’exécution, le cinéaste se démarque de ce qui se fait à l’époque. Il sait utiliser à merveille la beauté inquiétante de Barbara Steele et son héros masculin (Giorgio Ardisson) bascule rapidement vers le côté obscur . Rien n’est, finalement, positif ou négatif. Tout est dans l’entre-deux. Victimes et bourreaux se mélangent.
Après La vergine di Norimberga (1963, La Vierge de Nuremberg) et Danza macabra (1964, Danse macabre), Antonio Margheriti conclut en beauté sa trilogie gothique.
Jean-Charles Lemeunier
La Sorcière sanglante
Année : 1964
Origine : Italie
Titre original : I lunghi capelli della morte
Réal. : Anthony Dawson (Antonio Margheriti)
Scén. : Julian Berry (Ernesto Gastaldi), Robert Bohr (Tonino Valerii), Antonio Margheriti
Photo : Richard Thierry (Riccardo Pallottini)
Musique : Evirust (Carlo Rustichelli)
Montage : Mark Sirandrews (Mario Serandrei)
Durée : 96 min
Avec Barbara Steele, George Ardisson (Giorgio Ardisson), Halina Zalewska, Robert Rains (Umberto Raho), John Carey (Nello Pazzafini)…
Sortie en combo Blu-ray/DVD par Artus Films le 3 juin 2025.