Et si le conspirationnisme dont souffre l’ensemble de nos sociétés était né en Amérique, à l’époque de l’assassinat du président Kennedy ? Certes, douter de la réalité remonte à beaucoup plus loin que cette époque. Mais 1963 installa dans l’esprit de nombreux Américains — et, par la suite, d’individus du monde entier — l’idée d’un mensonge d’État. Le rapport de la Commission Warren, qui assura que la mort de JFK était de la main d’un seul homme, Lee Harvey Oswald, ne pouvait qu’être faux, occasion d’accuser tout à la fois la CIA, le FBI, la mafia et Fidel Castro d’être les commanditaires de l’attentat.

Sorti en 1974, The Parallax View (À cause d’un assassinat) d’Alan J. Pakula est l’un des premiers films à remettre en question la thèse officielle. Carlotta le ressort en coffret ultra collector assorti d’un livre de Jean-Baptiste Thoret et c’est une très bonne idée. Dès 1966, le livre de Mark Lane, Rush to Judgment — dont Emile de Antonio tira un documentaire l’année suivante — remettait en cause les conclusions de la Commission Warren. Comme c’est toujours le cas en Amérique, le cinéma se saisit immédiatement de sujets d’actualité et prend la température du pays. Les premières montées de fièvre arrivent dès 1964 avec Seven Days in May (Sept jours en mai) de John Frankenheimer qui évoque l’hypothèse d’un complot fascisant censé renverser le gouvernement américain. Rappelons que ce même cinéaste, en 1962 — donc l’année précédant l’assassinat de Kennedy —, avait filmé un complot communiste visant un candidat à la présidence dans The Mandchourian Candidate (Un crime dans la tête).
En 1973, un an avant À cause d’un assassinat, Executive Action (Complot à Dallas) de David Miller affirme que Kennedy a été victime d’un complot mené par des industriels et des membres des services de renseignement et que Oswald lui-même (joué par James MacColl) est le jouet de ce programme, le bouc émissaire. Dans les crédits du scénario, on retrouve les noms de Mark Lane et de Dalton Trumbo, une des célèbres victimes du maccarthysme.

Fort de ces précédents, À cause d’un assassinat ne va pas directement parler de l’affaire Kennedy mais s’en approcher de très près. Il est question du meurtre d’un candidat démocrate à l’élection présidentielle — ce qui pourrait faire également penser à Robert Kennedy, assassiné en 1968 —, des disparitions suspectes de plusieurs témoins et d’une commission qui conclut rapidement à l’acte d’une personne isolée.
Pour le public de l’époque, les allusions sont claires, tant sur les décès de témoins-clefs — un thème également repris dans le JFK d’Oliver Stone en 1991 — que sur la rigueur de la Commission Warren. D’ailleurs, une commission identique apparaît deux fois dans le film avec des conclusions erronées.

Warren Beatty joue ici le rôle d’un journaliste entraîné, au départ malgré lui, dans une enquête qui va rapidement l’amener à douter des conclusions de la commission sur la mort du candidat à la présidence. Pakula nous plonge alors en pleine théorie du complot et fait naître dans son sillage des films tels que Three Days of the Condor (1975, Les Trois jours du Condor) de Sydney Pollack.
La paranoïa a gagné l’Amérique, plus rien n’est fiable et l’on se met à douter de tout, de la mort d’Elvis Presley au silence du gouvernement par rapport aux extra-terrestres. Ce qui aidera par la suite au succès de séries telles que X-Files (à partir de 1993). Et dans À cause d’un assassinat, le héros et le spectateur se mettent eux aussi à se méfier de tout le monde, jusqu’aux personnes qui semblent les plus sûres.

Pakula démarre son film par le meeting à Seattle du candidat sénateur et par une séquence très maîtrisée et bluffante d’une poursuite en haut de la Space Needle, la fameuse tour d’observation de la ville. Tout au long du récit, le cinéaste sait mettre à profit les décors dont il dispose, du petit train miniature à bord duquel Beatty rencontre un ex-agent de la CIA à un barrage sur une rivière, donnant lieu à une scène là encore spectaculaire.
Comme Robert Redford dans le Condor, Warren Beatty va se retrouver seul face à une organisation puissante et méthodique, scénario nouveau dans À cause d’un assassinat, que l’on retrouvera par la suite jusque dans Nick of Time (1995, Meurtre en suspens) de John Badham et, plus encore, dans Arlington Road (1999) de Mark Pellington.
La théorie du complot est née. À cette époque inondée de fake news, jusque dans les propos du président des États-Unis, dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui, revoir un film comme À cause d ‘un assassinat nous aide à comprendre la complexité de ce pays où tout semble sujet à caution. Parfois à juste titre, comme dans le cas du héros du film.
Un dernier mot sur Alan J. Pakula. Le 19 novembre 1998, alors qu’il conduit sur le Long Island Expressway de Melville (état de New York), un conducteur heurte un tuyau métallique qui vient s’encastrer dans le pare-brise du cinéaste et lui transperce le crâne. Qu’aurait pensé le journaliste d’À cause d’un assassinat d’un tel accident ? Conspiration, quand tu nous tiens…
Jean-Charles Lemeunier
À cause d’un assassinat
Année : 1974
Titre original : The Parallax View
Origine : États-Unis
Réal. : Alan J. Pakula
Scén. : David Giler, Lorenzo Semple Jr., Robert Towne d’après le roman de Loren Singer
Photo : Gordon Willis
Musique : Michael Small
Montage : John W. Wheeler
Durée : 102 min
Distribution : Paramount Pictures
Avec Warren Beatty, Hume Cronyn, William Daniels, Kenneth Mars, Paula Prentiss, Jim Davis…
Sortie en coffret ultra collector Blu-ray par Carlotta Films le 17 juin 2025, contenant le Blu-ray et le DVD du film et le livre « L’Envers des totems » de Jean-Baptiste Thoret.