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Né en Italie dans le courant des années soixante, le giallo est rapidement devenu un genre codifié. Il fallait qu’il y ait des meurtres à l’arme blanche commis par un individu dont on ne voyait souvent que les mains gantées. Avec un zeste d’érotisme en plus.

Si quelques grands maîtres ont donné ses lettres de noblesse au giallo, à commencer par Mario Bava et Dario Argento, suivis par des cinéastes confirmés tels que Sergio Martino, Umberto Lenzi ou Aldo Lado, les films se sont ensuite déclinés à l’infini. Certains reprenant des histoires déjà vues, d’autres beaucoup plus originaux.

Anuska Borova

Le Chat qui fume nous propose en Blu-ray l’un de ceux-là. Avec Passi di danza su una lama di rasoio (1973, Chassés-croisés sur une lame de rasoir) — remarquons au passage le goût des Italiens de l’époque pour les titres longs —, le réalisateur Maurizio Pradeaux signe, semble-t-il, son premier giallo, étant passé auparavant par un western spaghetti, un film de casse et un autre de guerre. Le genre dut lui plaire puisqu’il persévéra, quatre ans plus tard, avec Passi di morte perduti nel buio.

Le film aligne plusieurs bons points : la mise en scène des meurtres, la possibilité pour le spectateur de suspecter la plupart des personnages et plusieurs belles séquences, du héros gravissant des escaliers, filmé de haut, aux gros plans de la lame pénétrant un cou, à ceux du sang giclant sur un drap blanc ou sur un pare-brise. Certes, c’est glauque mais c’est ce que l’on demande à ce genre de films.

Robert Hoffman et George Martin

Ajoutons encore les détails humoristiques dont Pradeaux parsème son récit : le tic du commissaire — joué par George Martin, aka Jorge Martin, l’un des scénaristes du film —, qui taille continuellement des crayons, l’envie subite de pisser de Nieves Navarro (ici créditée de son pseudo qui la fait passer pour une actrice anglaise ou américaine, Susan Scott), alors qu’elle s’introduit la nuit dans une école de danse. On peut également apprécier les différents milieux sociaux décrits, visibles aux décors des appartements qu’ils habitent. On entre ainsi dans des salons bourgeois, l’appartement d’une concierge (Nerina Montagnani) et celui, encore plus misérable, d’un vendeur de marrons (Gualtiero Rispoli).

Gualtiero Rispoli

Là où Chassés-croisés est ancré dans son époque, c’est que Pradeaux se croit obligé de filmer très souvent des scènes érotiques qui n’apportent rien à l’histoire et paraissent aujourd’hui bien inutiles. Certes, on ne pourra bouder son plaisir à la vision des corps dénudés de Nieves Navarro, Anuska Borova ou Cristina Tamborra mais écrire cela aujourd’hui fera dire à beaucoup que vous portez un male gaze sur le film. Ce fameux regard masculin qui ne gênait personne alors, bien au contraire, preuve que les temps ont changé. L’époque l’imposait également, un giallo pouvait difficilement être distribué en salles sans offrir ces images.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le premier meurtre est vu au moyen d’une lunette d’observation. Le voyeurisme est toujours partie prenante du genre. Sauf qu’ici la lunette ne sert pas une quelconque perversion. Elle est utilisée par une jeune femme qui, ne voyant pas venir son mari, utilise une de ces lunettes disponibles dans les parcs pour admirer le paysage. Elle recherche sa maison et assiste par hasard au meurtre d’une femme.

Nieves Navarro

Souvent, ces films décrivent une police totalement inefficace. Ce qui nous mène parfois à des détours du scénario improbables. Ainsi, lorsque le commissaire demande à Nieves Navarro de devenir la proie du tueur et de se faire passer pour une prostituée. Une prostituée qui, en outre, ne racole pas en plein centre-ville mais dans un bois isolé, chauffée par quelques bûches auxquelles elle a mis le feu. Comme Pradeaux n’est pas dupe de cette séquence, il prend soin d’y ajouter un gag qui en dit long sur son goût de la dérision.

Robert Hoffman et Nieves Navarro

Même si, comparé aux grands gialli de l’époque, ce Chassés-croisés reste mineur, nul doute que Pradeaux maîtrise parfaitement le sujet qu’il a écrit avec Arpad De Riso, Alfonso Balcazar et George Martin. Sont ainsi semés des indices pouvant mener à de fausses pistes, d’autres à de vraies, sans que le spectateur ne puisse deviner à l’avance l’identité du coupable.

Jean-Charles Lemeunier

Chassés-croisés sur une lame de rasoir

Année : 1973
Titre original : Passi di danza su una lama di rasoio
Origine : Italie
Réal. : Maurizio Pradeaux
Scén. : Maurizio Pradeaux, Arpad De Riso, Alfonso Balcazar, George Martin
Photo : Jaime Deu Casas
Musique : Roberto Pregadio
Montage : Enzo et Eugenio Alabiso
Durée : 91 min
Avec Robert Hoffman, Susan Scott, George Martin, Anuska Borova, Simon Andreu, Salvatore Borgese, Gualtiero Rispoli…

Sortie en Blu-ray par Le Chat qui fume le 30 septembre 2024.

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