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En attendant la rétrospective Bo Widerberg, l’essentiel que Malavida Films nous réserve pour le 11 juin — avec onze œuvres du cinéaste suédois et un documentaire inédit, I huvudet på Bo (Being Bo Widerberg) de Jon Asp et Mattias Nohrborg qui, lui, sortira en salles le 2 juillet —, ce dernier vient d’être projeté en première mondiale à Cannes ce jeudi 15 mai.

Une belle approche de ce réalisateur incontournable — le commentaire dit qu’on le surnommait « le Maître, l’Œil du cyclone, le Fauteur de troubles, le Sensualiste » —, nourrie de nombreux extraits de films et de documents de tournage, d’interviews télévisées auxquels viennent s’ajouter des entretiens avec ses proches, ses collaborateurs et des cinéastes qui reconnaissent ce qu’ils lui doivent ou qui parlent de lui, jusqu’au Français Olivier Assayas.

Le film ne cache pas non plus la face sombre de Bo Widerberg, son instabilité, ses épisodes maniaco-dépressifs, y compris sa méchanceté envers Marika Lagercrantz, l’actrice de La Beauté des choses (1995), dernier film de Bo.

Thommy Berggren, acteur fétiche de Bo Widerberg (Photo Malavida)

Bien sûr, le documentaire est riche en renseignements envers cette personnalité majeure du cinéma suédois, mal connue chez nous. En France, l’ombre de Bergman a sans doute fait du tort à Widerberg, qui lui-même détestait le cinéma de son aîné.

C’est que Bo Widerberg, à l’instar des jeunes Turcs des Cahiers, trouve affligeant le cinéma de son propre pays. Il l’écrit dans une série d’articles dans Expressen et en fait un livre. Il traite Bergman de « cheval de Dalécarlie ». « Il ne parlait pas, décrétait Widerberg, des aspects intéressants de la Suède. » Avant d’ajouter : « Donnez-moi 200 000 couronnes et je vous montre comment faire un film. »

C’est alors que Widerberg découvre la Nouvelle Vague, avec Les 400 coups de Truffaut. Selon le cinéaste Tarik Saleh, « il sent qu’il doit faire de même ». Le producteur Kalle Boman est plus précis : « Ce moment où on saisit quelque chose brièvement, l’essence de la vie que la caméra doit saisir d’un point de vue romantique, c’est ce que Bo recherchait. » 

D’abord écrivain, Bo Widerberg se passionne vite pour le cinéma. Sa première épouse raconte une anecdote qui en dit long sur le personnage. Pour leur mariage, les beaux-parents de Bo offrent de l’argent au couple. Il l’utilise pour acheter une caméra. Sa femme est furieuse et ils passent leur nuit de noces à se disputer.

Bo Widerberg et Anita Ekberg (Photo Malavida)

Selon tous ces témoins, Bo Widerberg veillait « à ce que les acteurs apportent de la vie à la scène ». C’est ainsi que, pour Amour 65, il propose un rôle à Anita Ekberg, alors auréolée du succès de La dolce vita de Fellini. L’actrice débarque sur le tournage et déclare aux caméras de télévision, à propos de son metteur en scène : « Il me rappelle Fellini, il est aussi fou ! ». Widerberg lui demande de jouer dans le film son propre personnage, qui s’appellerait Anita Ekberg et serait différent de ce qu’est l’actrice dans la réalité. Celle-ci finalement refuse.

Being Bo Widerberg aborde aussi, et c’est une évidence, ce qui fera le sel du cinéma de Widerberg : ses convictions politiques. Dans Ådalen 31 (1969), il traite d’une grève qui s’achève dans un bain de sang, l’armée tirant sur les manifestants. Lors de la projection du film au festival de Cannes, ses techniciens ne sont pas admis dans la salle. « C’est de la ségrégation sociale », se scandalise-t-il. Il quitte la salle en chantant L’Internationale. Il obtiendra le Prix spécial du jury, présidé cette année-là par Luchino Visconti. Son précédent film, Elvira Madigan, avait valu en 1967, toujours à Cannes, le prix d’interprétation féminine à Pia Degermark.

« Elvira Madigan » (Photo Malavida)

En 1971, il commence à New York le tournage de Joe Hill, l’histoire d’un syndicaliste américain d’origine suédoise du début du XXe siècle, exécuté en 1915. Le film est produit par la Paramount mais Widerberg refuse de se laisser dicter les conditions du studio. Le tournage est stoppé et reprendra en Suède avec un nouveau producteur. À nouveau, il est primé à Cannes, remportant le Prix du jury ex-aequo avec Amour de Karoly Makk.

Malgré tous ses succès, Widerberg est rejeté par le cinéma suédois et réussit une nouvelle performance avec le film policier Un flic sur le toit (1976) et sa spectaculaire séquence du crash d’un hélico.

« Un flic sur le toit » (Photo Malavida)

Widerberg tournera encore cinq films jusqu’en 1995 et La Beauté des choses, gardant jusqu’au bout cet esprit indépendant qui le caractérisait. « Je veux sortir des simulacres », déclarait-il à un journaliste vers la fin de sa vie.

Being Bo Widerberg est une belle approche du cinéma de Bo Widerberg et ne peut que donner envie de se précipiter sur ses films. Onze seront donc en salles le 11 juin : Le Péché suédois, Le Quartier du corbeau, Amour 65, Elvira Madigan, Ådalen 31, Joe Hill, Tom Foot, Un flic sur le toit, L’Homme de Majorque, Le Chemin du serpent et La Beauté des choses.

Jean-Charles Lemeunier

« Being Bo Widerberg » de Jon Asp et Mattias Nohrborg
Projeté au festival de Cannes le 15 mai 2025 dans la section Cannes Classics
Sortie en salles par Malavida Films le 2 juillet 2025.

Une réflexion sur “« Being Bo Widerberg » de Jon Asp et Mattias Nohrborg : L’anticonformiste du cinéma suédois

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