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En regroupant quatre courts-métrages de Youri Norstein en versions restaurées sous le titre du Conte des contes et en les projetant en salles pour les fêtes de fin d’année, Malavida va permettre aux enfants de diversifier leurs sorties. Quoi de tel, aux côtés des attendus Wicked, Mufasa ou Sonic 3, de découvrir la poésie des œuvres du cinéaste russe Youri Norstein ? Le Conte des contes, c’est donc quatre histoires tirées du folklore russe, présentant pour chacune d’entre elles des dessins très différents les uns des autres.

Le premier court-métrage, La Bataille des Kerjenets (1971), est bâti sur un opéra de Rimski-Korsakov, lui-même inspiré d’une légende : celle de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia. Assiégée par les Tatars, Kitège disparut aux yeux de ses ennemis grâce aux prières de Fevronia. Pour illustrer cette belle histoire, Norstein utilise la beauté des icônes et des fresques médiévales. Au rythme de l’opéra, on suit ainsi l’avancée des armées, le combat, la construction de bateaux…

Même si l’on ne comprend pas toujours qui est qui dans cette Bataille de Kerjenets, on ne peut qu’admirer la virtuosité de l’animation et la splendeur des fresques orthodoxes.

Le film suivant, Le Héron et la Cigogne (1974), est l’adaptation d’un conte populaire russe. Lequel a été retranscrit par l’écrivain Vladimir Dahl. Également lexicographe, Dahl conçut un Dictionnaire raisonné du russe vivant auquel se référaient encore, un siècle après, des auteurs tels que Soljenitsyne et Nabokov.

Placé sous le signe de la comédie douce-amère, Le Héron et la Cigogne prête aux deux oiseaux voisins des sentiments amoureux proches de ceux des humains. Le héron demande la cigogne en mariage et est rejeté. Mais la cigogne s’en mord les ailes et retourne voir le héron en disant qu’elle accepte sa proposition. Vexé, ce dernier la repousse. Puis, désolé par ce coup de colère, va rechercher la cigogne qui, etc.

Dans un décor champêtre qui varie au fil des saisons, au sein de ce qui ressemble à une datcha abandonnée, une certaine mélancolie s’empare des protagonistes et de l’histoire elle-même. Le film fustige les atermoiements, qu’ils soient de la part de volatiles ou d’humains, en montrant qu’ils font partie de leur nature. De notre nature. Tandis que la Nature, avec un grand N, pour sa part vit, meurt et ressuscite. Ajoutons que Le Héron et la Cigogne a reçu le Grand prix du festival d’Odense (1975) et le prix spécial du jury au festival d’Annecy, la même année.

Le Conte des contes (1979) est encore plus mélancolique, qui retrace des vies et des morts, le quotidien de la Russie éternelle. « Ne te couche pas au bord du lit, psalmodie une berceuse, ou le petit loup gris viendra et t’emportera par le flanc. » On ne s’étonnera pas si ce court a été nommé meilleur film d’animation de tous les temps aux Olympiades de l’animation à Los Angeles en 1984.

Dans cette illustration de la vie campagnarde, on trouvera ainsi un taureau qui joue avec une petite fille à sauter à la corde, sous le regard d’un chat paresseux, un homme qui passe par là, rentrant sans doute d’un travail dans les champs, et s’arrête un temps boire un coup offert par le paysan. Mais ce passant revient-il vraiment du travail ? Une autre séquence montre en effet un bal populaire avec des couples enlacés sur une chanson qui raconte la fin d’un amour. Puis, les hommes partent à la guerre et les femmes restent seules, dans le vent.

La vie est également faite de cela, de solitude, de peine, d’oiseaux dans un arbre enneigé et aussi et surtout de poésie.

Celle-ci traverse Le Conte des contes sous la forme du petit loup gris dont la comptine initiale nous parle. Un petit animal tout mignon et au regard triste, que l’on surprend au milieu de carcasses de voitures, dessinées dans un style très réaliste. On le retrouve en train de se faire cuire des patates au feu de bois. Norstein en profite pour nous offrir un magnifique plan d’obscurité et de lumière qui soudain s’allume, lorsque le loup souffle sur les braises. Et quand il découvre un bébé dans la forêt, il le berce en lui chantant la comptine : « Do do, l’enfant do, ne te couche pas au bord du lit ou le petit loup gris… » En quelques minutes, Norstein nous a raconté toute l’histoire de son pays, ses joies et ses peines, vue à travers les yeux tristes du petit loup. Un beau conte qui mêle récit et émotions.

Le Petit Hérisson dans la brume (1976) est tout aussi fort et lui aussi a été élu, en 2003, meilleur film d’animation de tous les temps. Cette fois par un collège de 140 critiques et réalisateurs du monde entier.

Le petit hérisson du titre veut amener à son ami ours de la confiture pour qu’ensemble, ils puissent passer la soirée à compter les étoiles. Mais la brume s’est levée et, courageux, il va l’affronter tout seul au risque de se perdre. Il verra un cheval dans le ciel, aura peur d’une feuille morte, fera de multiples rencontres, quelques-unes rassurantes, d’autres moins.

Si les enfants pourront prendre une jolie leçon de courage, ils seront sensibles, comme leurs parents, à l’étrangeté poétique qui se dégage de ce joli conte. Et si, en regardant les nuages, on veut imaginer qu’un cheval galope dans le ciel, c’est qu’il y est vraiment.

Jean-Charles Lemeunier

« Le Conte des contes » de Youri Norstein. Sortie en salles par Malavida Films le 4 décembre 2024.

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