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Le jeu de mot bilingue est certes facile mais comment ne pas reconnaître la classe d’Isabelle Huppert, ce 18 octobre, alors qu’elle recevait à Lyon le prix Lumière ?

Isabelle Huppert (debout) dans la salle du centre des congrès

Organisé par Thierry Frémaux et ses équipes de l’Institut Lumière, celui-ci a déjà honoré par le passé, depuis Clint Eastwood en 2009, une belle collection de personnalités du cinéma. On ne se lasse pas de les citer : Milos Forman (2010), Gérard Depardieu (2011), Ken Loach (2012), Quentin Tarantino (2013), Pedro Almodovar (2014), Martin Scorsese (2015), Catherine Deneuve (2016), Wong Kar-wai (2017), Jane Fonda (2018), Francis Ford Coppola (2019), les frères Dardenne (2020), Jane Campion (2021), Tim Burton (2022) et Wim Wenders (2023). Qui, tous, sont venus à Lyon présenter leurs films et se frotter aux milliers de spectateurs qu’attire ce festival.

Car Lumière a su trouver son public, à la fois composé de cinéphiles purs et durs, de curieux, de ceux qui veulent voir de près acteurs et metteurs en scène, etc. Du cinéma muet aux avant-première, l’éventail est large qui remplit chaque année toutes les salles de la métropole lyonnaise. Un public qui totalisait, pour cette quinzième édition qui s’est tenue du 12 au 20 octobre, quelque 170 000 spectateurs. Venue en fin de festival, la ministre de la Culture, Rachida Dati, ne put s’empêcher de comparer, admirative : « Trois fois le stade de France ! »

Dans la foule, Claire Denis, François Ozon, Ludivine Sagnier, James Franco et Coralie Fargeat (Photo JCL)

Le soir du 18 octobre, au centre des congrès de Lyon, le festival avait mis les petits plats dans les grands. On entendit Camélia Jordana et Sandrine Kiberlain entonner tour à tour le I Will Survive de Gloria Gaynor dans une très belle version bluesy et Nuit de folie de Début de soirée, deux chansons appréciées par Isabelle Huppert.

C’est une habitude, les soirées du festival sont toujours entrecoupées d’extraits de films. Comme Carmen Chaplin était présente, rien de tel que la séquence où son grand-père est sur le ring, dans Les Lumières de la ville, pour déclencher un tonnerre d’applaudissements. Puis les organisateurs montrent une archive du festival de 2012, alors qu’Isabelle Huppert présentait avec Michael Cimino, devant 5 000 personnes, La Porte du paradis.

« Ces images sont bouleversantes pour moi, commenta ensuite l’actrice. Elles me rappellent la joie de Michael et sa souffrance. Le tournage dans le Montana avait été épique et, à la sortie du film, les portes de l’enfer s’étaient ouvertes toutes grandes pour Michael. Venir le présenter à Lyon, plus de 30 ans après sa sortie, fut pour lui comme une réconciliation. Ce qu’il avait toujours attendu du côté des États-Unis, il l’a reçu en France ! »

« Ma préférence » par Julien Clerc (Photo JCL)

Pour honorer Isabelle, Julien Clerc vint ensuite interpréter au piano Ma préférence avant qu’Alfonso Cuaron et Noémie Merlant remettent le prix Lumière à l’interprète de tant de films importants. Cuaron confessa « son amour profond pour le cinéma français », surtout « dans la ville où il est né ».

Alfonso Cuaron et Noémie Merlant (Photo JCL)

Après avoir cité quantité de titres et de noms, de La Belle et la Bête à Godard, de Clouzot à Franju, de Rabbi Jacob à Renoir et Guitry, tirés d’« une malle au trésor », il rappela qu’Isabelle Huppert était « l’une des plus grandes instigatrices de ce mystère ». Puis il partagea sa fascination pour Huppert avec l’actrice Irène Jacob, elle-même présidente de l’Institut Lumière.

Un prix amplement mérité (Photo JCL)

« Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter tout ça ?, s’est exclamé Isabelle Huppert à l’issue de toutes ces déclarations de mots doux. Je n’ai fait que des films ! C’est au-dessus de toute imagination. » Avant d’ajouter, espiègle : « J’aime beaucoup recevoir des prix ! »

« Ce n’est pas n’importe quel prix, poursuivit-elle. Le prix Lumière, ce n’est pas rien. Avant les frères Lumière, il y avait la peinture. Depuis eux, tout a bougé… et me voilà en pleine lumière ! »

On reconnaît Claire Denis, François Ozon, Ludivine Sagnier, Vincent Perez, Karine Silla et Emmanuelle Béart (Photo JCL)

Une lumière partagée ensuite avec tous les invités présents, qui la rejoignirent sur scène. Citons pêle-mêle : François Ozon, Ludivine Sagnier, Emmanuelle Béart, Carmen Chaplin, Sandrine Kiberlain, Vincent Perez, Karine Silla, Julien Clerc, Camélia Jordana, Lucien Jean-Baptiste, Rithy Panh, Régis Wargnier, Noémie Merlant, Alfonso Cuaron, Claire Denis, Coralie Fargeat, Guillaume Gallienne, Abd al Malik, Christian Carion, Anthony Delon… et James Franco qui, de passage à Paris, avait tenu à assister au festival.

La conférence de presse

Le lendemain, dans la salle de conférence du MIFC (Marché international du film classique, qui se déroule tous les ans au sein du festival Lumière), Isabelle Huppert s’est entretenu avec la presse.

À propos de sa carrière internationale, elle a estimé que « le langage est commun dans la manière de tourner un film ». « Hong Sang-soo, avec qui j’ai travaillé plusieurs fois, se questionne sur ce sujet. Comment se comprendre, se reconnaître tout en ne parlant pas la même langue ? Le cinéma a cette vocation à être international, comme s’il donnait des nouvelles du monde entier. »

Malgré tout, les méthodes de travail sont différentes. Elle a évoqué les répétitions avant les tournages : peu nombreuses en France, encore moins en Autriche et multiples aux États-Unis. « Pour Amateur de Hal Hartley, nous avons répété pendant quatre semaines et tourné cinq. Pialat disait que les meilleurs films sont ceux que l’on ne verra jamais. Ils finissent avant « Action ! » et commencent après « Coupez ! ». Pialat nous faisait entrer dans la scène un peu clandestinement. »

Isabelle Huppert et Thierry Frémaux, le directeur du festival Lumière (Photo JCL)

Sur l’avenir du cinéma avec l’arrivée des plateformes et du streaming, elle n’a pas osé s’avancer. « On parle toujours du verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut être du côté de Jean-Luc Godard et dire que le cinéma est un art destiné à disparaître. De l’autre côté, on peut espérer une survie possible. »

À propos de la cérémonie de la veille, Isabelle Huppert a employé l’adjectif « troublant ». « C’est un moment où on ne se reconnaît pas complètement dans ce qu’on dit de vous. Ça outrepassait ma personne. En parlant de moi, on parlait de mes films, de quelque chose qui nous dépasse un peu et pour laquelle j’ai fait une très petite contribution. »

Et sur toutes ces affaires d’accusations de viols ou de harcèlement qui secouent le cinéma français, elle a lâché : « Cela devait être dit. Toute souffrance mérite qu’on se penche dessus. »

Enfin, sur son jeu-même, Isabelle s’e’est réfugiée derrière Michael Haneke qui a l’habitude de dire que « le sentimentalisme est la bête à abattre ». Elle a surenchéri : « J’aime évoquer la froideur. Dans ma manière de jouer, l’émotion naît de cette froideur et de la distance. Sinon, trop d’émotion tue l’émotion ! Ça ne se travaille pas. C’est une nature, un goût. J’aime voir représenter les émotions de cette manière-là. C’est comme l’histoire du scorpion qui ne peut pas s’empêcher de piquer.. Je ne peux pas m’empêcher d’être ainsi, c’est ma nature. »

Jean-Charles Lemeunier

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